Locavore, une utopie ?

« Locavore » celui qui consomme local … Un article qui pourra vous paraître trop long mais qui est pourtant une des bases pour une société nouvelle. MC

La crise du Covid-19 pointe les limites d’un marché alimentaire mondialisé. L’occasion de valoriser les circuits courts et la consommation locale?

C’était avant le Covid-19, en 2008. Stéphane Linou, un habitant de Castelnaudary, dans l’Aude, disait adieu aux fraises d’Espagne, aux avocats du Guatemala et devenait le premier « locavore » français.

Son défi? Se nourrir 100 % local, pour populariser les circuits courts, pointer les fragilités du système alimentaire et surtout, « insister sur l’enjeu vital de notre résilience », soit notre capacité à nous remettre d’un traumatisme, d’un choc, tant à l’échelle individuelle que collective.

Ce conseiller municipal, ancien conseiller général de l’Aude, s’était alors appuyé sur un scénario de pandémie grippale imaginé par l’Organisation mondiale de la santé : dans cette projection, toutes les chaînes d’approvisionnement, transporteurs compris, étaient bloquées. Une décennie et quelques pandémies plus tard, nous n’en sommes pas (encore) là. « Mais jamais notre résilience alimentaire n’est apparue aussi cruciale », constate Stéphane Linou.

Mieux, ce qu’on caricaturait comme un caprice de bobo, une obsession d’écolo ou de collapsologue, est devenu une affaire d’État, comme en témoigne l’inédite fin du discours d’Emmanuel Macron, le 12 mars dernier : « Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie au fond, à d’autres, est une folie ».

Quelques jours plus tard, sur BFM, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, évoquait à son tour « une prise de conscience» sur les limites de la mondialisation et du « champ concurrentiel » concernant les besoins essentiels. Conclusion : « On ne peut pas déléguer son autonomie alimentaire ».

Il aura donc fallu un virus capable de gripper la marche planétaire pour que l’on redécouvre ce que Stéphane Linou appelle « le plus vieux sujet du monde », soit les liens entre alimentation et sécurité. […] …si, dans nos sociétés de surabondance, manger était une question réglée.

« Nés le ventre plein, convaincus de progresser vers un avenir sécurisé, nos élus sont à l’image de la société, explique-t-il. Nous pensons les risques en termes de sécurité sanitaire (salmonelles…), ou de santé (diabète, obésité, maladies cardio-vasculaires)… ». Mais nous avons oublié ce qui fut notre préoccupation essentielle jusqu’aux années 1960 : l’accès à l’alimentation.

Les derniers témoins des crises alimentaires d’après guerre sont en train de disparaître. « Il y a encore quelques semaines, il fallait se plonger dans des prospectives avec des hypothèses de crise majeure pour se dire: mais si, il y a un problème! ajoute Catherine Darrot, sociologue au CNRS et enseignante à Agrocampus Ouest.

Certes, de plus en plus de Français ont pris conscience des déséquilibres chroniques qui frappent notre alimentation, mais sans vrai sentiment d’insécurité. Pour la première fois, cette crise nous touche tous. Nous sommes tous enfermés, nous devons tous nous approvisionner, plus personne ne se déplace. Résultat, ces questions redeviennent concrètes ».

Bien sûr, nous sommes loin de la pénurie. Mais comme une loupe géante, la crise du Covid-19 dévoile les innombrables vulnérabilités de notre système mondialisé, qui a imposé le principe que produire près de chez soi n’était plus nécessaire pour s’alimenter à bas coût. […]

[…]

[…] « Pourtant, comme pour l’hôpital, les chercheurs n’ont cessé de répéter aux pouvoirs publics que notre chaîne alimentaire n’est pas si solide et qu’on joue avec le feu… » Àcommencer dans les transports, maillon fondamental autant que talon d’Achille ahurissant de nos systèmes mondialisés. […] « Depuis les années 1980, le modèle dominant, libéral, est le suivant: maximisons les marchés, et pas l’autonomie des populations, résume Catherine Darrot.

Les produits industriels sont voués aux marchés globaux. On ne cherche pas à produire pour le local, puisqu’on importe à bas prix. Et on ne stocke pas. C’est la même logique pour les masques: on estime que le stockage et la prévention coûtent trop cher ».

Dans ce système à flux tendu, la pression sur les transports et la logistique est d’autant plus forte, et nos chaînes d’approvisionnement sont d’autant plus vulnérables : une flambée des prix de l’énergie, une catastrophe naturelle, un conflit social ou une pandémie, et tout peut s’arrêter. […]

Nous avons oublié la géographie ; le monde agricole est devenu un continent abstrait ; et la nourriture, une marchandise comme une autre : disponible, résistante, consommable de janvier à décembre. Soit l’opposé de ce qu’elle est en réalité : imprévisible, fragile, saisonnière. […]

D’un bout à l’autre de la chaîne, il y a des humains, dont on redécouvre le rôle vital : transporteurs, salariés des grandes enseignes ou vendeurs de fruits et légumes, et bien sûr agriculteurs.

« La France compte moins de paysans que de tracteurs : 1 % de la population, soit 3% de la population active, s’occupe de la nourrir, rappelle Anne-Cécile Brit, ingénieure en alimentation durable. C’est trop peu, d’autant que c’est une population vieillissante (donc fragile face à l’épidémie), dont 43 % partira à la retraite d’ici à dix ans ! » […]

[…]

« Ces crises systémiques (sanitaires, climatiques, financières…) qui surgissent de la globalisation affectent toutes les dimensions de la société, souligne Catherine Darrot. On découvre qu’il faut les gérer. Et que la puissance publique était dans un état d’impréparation absolue face à des scénarios de cet ordre. Ces projections n’ont jamais été intégrées comme une pensée politique collective ». […]

L’enjeu :

[…] …prendre conscience de ces dépendances et des efforts à accomplir, individuellement et collectivement. Un nouveau site internet, élaboré par l’association Terre de liens, la Fédération nationale d’agriculture biologique et le Bureau d’analyse sociétale pour une information citoyenne (Basic), y contribue aussi de façon ultra-pédagogique. Et comble un autre vide invraisemblable : les documents de planification territoriale quantifient le nombre de crèches, de zones commerciales, de réseaux… mais pas les terres agricoles nécessaires pour alimenter la population locale. […]

Il ne s’agit pas d’atteindre 100% d’autonomie, puisque tout ne peut pas être produit partout. Mais plutôt, après des décennies de globalisation, d’expérimenter un nouveau modèle de « glocalisation ». « Cela consiste à relocaliser autant que possible pour satisfaire les besoins fondamentaux », explique Anne-Cécile Brit, qui vient aussi de contribuer, avec l’association Les Greniers d’abondance, à un passionnant rapport sur la résilience alimentaire. […]

Pour ce chantier, la France dispose de nombreux atouts : un potentiel agronomique impressionnant ; une gamme de climats et de terroirs unique en Europe ; et plusieurs expérimentations en cours, souvent inspirées de l’économie paysanne (combinaison d’autosuffisance et d’échanges) ou du biorégionalisme, courant de pensée écologique qui réorganise la société à l’échelle de « biorégions », définies par des frontières géographiques, et prenant en compte les populations et les écosystèmes.

« En préemptant le foncier dès que c’est possible, en encourageant les producteurs locaux, en travaillant sur des ceintures maraîchères et avec la restauration collective, détaille le géographe Gilles Fumey, les réussites sont nombreuses, à Saint-Étienne, Rennes, Lons-le-Saunier, Toulouse, Ungersheim, Loos-en-Gohelle. Ou Mouans-Sartoux, dans les Alpes-Maritimes, où le foncier est hors de prix et les cantines scolaires 100 % bio depuis dix ans ».

Autre bonne nouvelle, les solutions pour amplifier le mouvement sont bien identifiées : il faut reconnaître le rôle vital des agriculteurs et préserver les terres nourricières. Favoriser l’autonomie de fonctionnement des fermes, aujourd’hui dans une dépendance quasi totale aux énergies fossiles. Développer les outils de stockage et sensibiliser les populations aux risques de pénurie. Ou encore instaurer ce que le juriste François Collart-Dutilleul appelle la « démocratie alimentaire », […]

La crise du Covid-19 leur donnera-elle enfin un coup d’accélérateur ?

[…]


Weronika Zarachowicz. Télérama. Titre original : « L’autonomie alimentaire une illusion ? ». 15/04/2020. Source (extrait court)


4 réflexions sur “Locavore, une utopie ?

  1. Mébul 18/04/2020 / 17h45

    Un petit mélange de mots (ou il en manque un, ou un en trop) dans la 1re phrase, non ?

    • Libres jugements 18/04/2020 / 18h16

      C’est vrai Patricia et merci.
      Je fais cette correction.
      Je suis impardonnable, Je ne me relis que trop rarement.
      Je la flemme de taper sur les lettres du clavier, aussi j’utilise un logiciel de dictée … qui souvent comprend ce qu’il veut et interprète de manière quelquefois très fantaisiste.
      Vous mes amis blogueuses et blogueurs veuillez me pardonner.
      Cordialement
      Michel

      • Mébul 18/04/2020 / 19h17

        Mais il n’y a aucun problème Michel, tout va bien. Belle soirée !

  2. jjbey 19/04/2020 / 10h25

    Un ardéchois consommateur mangeur de ses propres mots comme nous le sommes de nos propres productions

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