Des comiques au tribunal.

On s’attendait à du grand spectacle.

Les premiers jours du procès des époux Fillon n’ont pas déçu. Avec François et Pénélope sur scène, la tragédie tourne vite à la farce. L’invisible assistante parlementaire (pour près de 1 million d’euros) a répété son rôle, mais elle rame sur le sable de Sablé. Pendant plus de vingt ans, cette collaboratrice modèle a vu beaucoup de monde, mais personne (ou presque) ne l’a vue. Elle a beaucoup écrit, mais personne n’a rien lu. Elle a reçu énormément de lettres, mais personne ne les a envoyées…

Aux questions gênantes (c’est-à-dire toutes), elle répond : « C’est mon mari qui décidait de ma rémunération », « Les détails administratifs, c’était mon mari », « Les congés, il faut voir avec mon mari ».

Mais on ne voit rien non plus du côté de « Mon mari » François Fillon. Cet ex-ministre du Travail assure tranquillou que l’on peut tout à fait travailler pendant de longues années sans laisser la moindre trace. Cet ancien candidat à la présidence de la République – pour devenir garant de ses institutions, donc se dérobe ouvertement à la justice. Fillon envoie maintes fois paître les magistrats en brandissant la séparation des pouvoirs et en répétant en boucle qu’il n’a « pas de comptes à [leur] rendre »

« C’est un peu court », comme disait Cyrano…

  • Collée à l’oral.

Pénélope a commencé très fort : « C’est vrai qu’il n’y a pas tellement d’éléments euh… tangibles de mon travail », lâche-t-elle lors de sa première intervention, le 28 février. « Concrets ! Éléments concrets ! » bondit son avocat, Pierre Cornut-Gentille, pour couvrir les rires dans la salle. Pénélope vient de passer un mauvais quart d’heure à expliquer que, son boulot, c’était surtout à l’oral… Depuis le début des années 80, Penny n’a guère sorti le stylo pour rédiger ses coûteux rapports (malheureusement disparus) sur l’« aménagement du bocage sabolien » ou l’« organisation du secrétariat » de son mari : « C’était très général, .très local, c’étaient des gens avec qui je parlais… » A son travail d’assistante parlementaire, elle met une même ardeur : « C’étaient beaucoup de rencontres avec les habitants… ». Paroles, paroles…

  • Petit de chez petit.

Pressée par les magistrats, qui s’étonnent de l’absence de traces de son travail, Pénélope finit par expliquer qu’il lui arrivait parfois d’écrire… mais « de petites choses ». Manque de chance, tout a fini à la poubelle.

Ses rapports savants ?« Des petits rapports, pas des choses lourdes, chuchote-t-elle. Je les ai donnés à mon mari, je ne sais pas ce qu’il en a fait ensuite. » Lui : « J’ai des archives dans les ministères, à la mairie de Sablé, mais pas comme député. Les archives ont été détruites à la fin du mandat. » C’est ballot.

Même « miniaturisme » pour le boulot parlementaire. Elle concoctait « des petites revues de presse » et rédigeait « des petits résumés pour [son] mari ». Quant à ses conseils censés nourrir les discours de son époux : « Je les rédigeais sur des petites cartes, qu’il mettait dans sa poche et qu’il jetait ensuite… ». Tout était petit, et tout a été perdu. Mais les salaires, eux, étaient gros, et pas perdus pour tout le monde.

  • Cause toujours.

La préparation de ces fameux discours n’a, bizarrement, jamais été évoquée par le couple lors de l’instruction. Face au tribunal, Fillon se lance : « Il n’est pas un discours qu’elle n’ait pas relu. Outre les fautes d’orthographe, elle me donne son sentiment. (…) Elle a sans doute dû oublier (son rôle dans la préparation de ces laïus). » Las ! le même avait aussi expliqué, un peu plus tôt, que « les trois quarts » de ses discours étaient « improvisés ». Discours toujours !

  • Boîte postale.

François l’assure, son épouse traitait beaucoup de « courrier, une masse considérable de demandes ». Seules 1.626 lettres d’intervention datant de 2012 et 2013 ont bien été retrouvées, et toutes étaient traitées par de vrais assistants : les flics y ont découvert leurs initiales, pas celles de Penelope.Lundi 2, d’une grosse valise noire, l’avocat de Fillon sort ses « preuves ». La première, un agenda, pour « montrer la densité du travail » effectué, dit Fillon. Sauf que « vous n’apparaissez pas dessus ! » balance le président à Penny. La seconde « preuve » : des courriers déjà visés par Sylvie Fourmont, la secrétaire. Pénélope : « C’était utile d’avoir une double vue… ». A triple foyer ?

  • Séquence émotion.

Après avoir répété combien Pénélope était utile au député Fillon dans la Sarthe, il a fallu (sans rire) expliquer pourquoi, en 2012, elle a poursuivi ce travail rural, payé 4.110 euros brut par mois, alors que François avait été élu député… de Paris. Penny : « Il était député de Paris mais élu de toute la France, ce n’était pas incongru d’avoir quelqu’un dans la Sarthe, où il avait encore beaucoup d’attaches. » La présidente du tribunal : « Pourquoi ne pas vous être présenté dans la Sarthe, alors ? » Fillon sèche, puis répond, ému «Je me suis déraciné (…). J’ai toujours eu un regret d’avoir fait ce choix ». Fichu exode rural…

  • Not so British.

Confrontée à la fameuse vidéo de son interview de 2007 au « Sunday Telegraph », dans laquelle elle affirme n’avoir « jamais été son assistante ou quoi que ce soit de ce genre », l’ex-interviewée galère un peu : « La presse anglaise voulait me présenter comme la première dame de France, ce que je ne voulais pas, j’ai délibérément réduit ce que j’avais fait. » Dans une autre version, elle assure qu’il s’agit plutôt d’un problème de traduction : « Dans ma tête, je pensais à « parlementary assistant ». C’est, en Angleterre, celui qui travaille au Parlement à côté du parlementaire. » Et c’est à cette mal « comprenante » que Fillon confiait la correction de ses discours ?

  • Trombine bien cachée.

Pourquoi, pendant trois décennies, le nom de Penelope n’est-il jamais apparu dans le trombinoscope de l’Assemblée, contrairement à ceux de nombreux collaborateurs ? François lâche : « Les habitants de la Sarthe, ils ne savent pas ce que c’est, un trombinoscope. » Et de lancer aux magistrats : « Est-ce que vous avez trouvé d’autres collaborateurs sarthois dans le trombinoscope ? »Euh, oui… Par exemple, Jeanne Robinson-Behre, collègue de « travail » de Pénélope, figurait dans tous les documents de l’Assemblée…

  • Amnésie fatale.

Le 30 janvier 2017, au cours du week-end qui suit les premières révélations du« Canard enchaîné », Sylvie Fourmont, la fidèle secrétaire de Fifi, se précipite au domicile du couple pour lui bricoler à la va-vite un CV en forme de pense-bête (il sera retrouvé lors des perquisitions). Problème : aucune des activités de Pénélope d’avant 1998 ne figure sur cette chronologie. Peut-être parce que « Le Canard » ne les a pas encore découvertes ?

Confrontée à ce trou de mémoire, Penny soupire : « J’étais sous le choc de toute cette histoire ». Et pourquoi ne pas en avoir parlé aux poulets ? « J’étais déjà sous l’émotion de cette enquête… »Et François Fillon de renchérir : « C’était un tremblement de terre

(…). Il n’est pas absurde que j’aie oublié. » Question du parquet : « Pourquoi Sylvie Fourmont [a-t-elle] établi la chronologie [de ce CV] ? » Pénélope Fillon : « Elle avait des documents, des choses. Moi, je n’avais rien. » C’est un peu le problème…


Isabelle Barré, Hervé Liffran et Christophe Nobili. Le Canard enchaîné. 04/03/2020


4 réflexions sur “Des comiques au tribunal.

  1. Sigmund Van Roll 11/03/2020 / 0h10

    Comment peut on imaginer la réaction de français non introduits dans les termes juridiques qui soupçonnent un politicien véreux, escroc au vue de la population française qui juge ses démêlés avec la justice.
    Ben c’est tout simplement une honte, un dégoût de la politique française car l’un ou l’autre sont mouillés dans des affaires de trafic d’influence.

    Sur mon plan personnel, je n’accorde plus aucune confiance à nos députés en raison de leur malhonnêteté vis à vis de nous mêmes.
    Leurs opinions, leurs impressions personnelles vis à vis de certains sujets qui fâchent ne sont que des tissus de mensonges de manière permanente 🤮🤮🤮🤮🤮

    • Libres jugements 12/03/2020 / 14h07

      Bonjour Sigmund,

      je ne voudrais surtout pas paraître insolent ou laisser à penser que j’entendrais donner des leçons en répondant à ton commentaire, condamnant l’ensemble sans restriction des élus députés de la France.
      Je pense que comme dans la population, il y a un pourcentage de personnages véreux, très souvent les beaux parleurs, celles ou ceux qui se haussent du col et se gaussent, celles ou ceux qui n’hésitent pas à écraser père et mère et tous membres de leurs entourages, pour parvenir à leurs fins.
      Dans le même temps, ayant un peu grenouillé dans cette atmosphère, je puis témoigner qu’il y a des personnes parfaitement désintéressées et qui ne voient qu’une chose, représenter et défendre celles et ceux qui les ont élus.

      Bien évidemment, une réponse en toute amitié
      Michel

  2. bernarddominik 11/03/2020 / 8h56

    François Fillon vit sur un grand pied grâce à l’argent de la république, c’est un professionnel de la politique, quelqu’un qui n’a jamais travaillé hors des cercles du pouvoir.
    Il y a 10 ans ce procès était inconcevable tant l’habitude de se servir était entrée dans les mœurs des gouvernants, quelque chose est en train de changer, mais il faudra aller plus loin et séparer le pouvoir financier du pouvoir politique, en espérant que les corrupteurs et les corrompus comprennent la leçon. Mais tout n’est pas joué, il faudra voir si les juges sont à la hauteur des réquisitoires, car tout ce petit monde se côtoie, se retrouve dans les grands restaurants, et aux garden parties de l’Élysée et de Matignon. Et c’est en coulisse que tout se joue.
    Il y a eu Balkany, touché mais pas coulé.

  3. jjbey 11/03/2020 / 23h52

    Fillon c’est la droite qui se sert dans le pot de confiture (en traitant de privilégiés les cheminots pour ne parler que d’eux), qui voulait augmenter la TVA injuste aux petits revenus….
    On retrouve les mêmes un peu partout mais il y a des députés honnêtes et des partis qui n’ont jamais trahi le peuple alors les mélanger dans « tous pourris » est un malhonnêteté intellectuelle ou bien un grand manque de discernement.

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