Monaco et sa « lèse-majesté » !

Jamais, dans l’histoire de la principauté, quiconque n’avait osé commettre pareil crime de lèse-majesté…

La démarche était restée secrète : le 30 août 2019, la première présidente de la cour d’appel de Monaco a reçu un courrier d’un juge d’instructions du tribunal monégasque la priant procéder à l’interrogatoire de « Son Altesse Sérénissime le Prince Albert II » comme témoin dans un dossier de trafic d’influence et de corruption.

En annexe de la lettre, signée par le juge Edouard Levrault, figurait une liste de 105 questions « utiles à la manifestation de la vérité », toutes plus irrévérentes les unes que les autres. La patronne de la cour d’appel (1a seule autorisée à interroger les membres de la famille princière) était invitée à « les poser au Souverain ».

Magistrat français détaché sur le Rocher, Edouard Levrault travaillait à l’époque sur le volet monégasque d’une affaire financière internationale mettant aux prises le proprio de l’AS Monaco, l’oligarque russe Dmitri Rybolovlev, et l’homme d’affaires suisse Yves Bouvier.’

Rocher déstabilisé

En 2015, le premier avait accusé le second de l’avoir escroqué en lui vendant, au prix astronomique de 2 milliards d’euros, 38 tableaux (dont le contesté « Salvator Mundi », attribué à Léonard de Vinci). Peu après, Rybolovlev était soupçonné d’avoir distribué cadeaux et largesses à ses amis du palais afin que la justice monégasque sévisse contre Yves Bouvier.

Ayant découvert cette « affaire dans l’affaire », le juge d’instruction décide de frapper fort. A la fin de 2017, il perquisitionne le bureau du directeur des affaires judiciaires de Monaco (l’équivalent du garde des Sceaux), puis le met en examen. Peu après, il réserve le même sort à l’ancien procureur général de la principauté, à l’ex-ministre de l’Intérieur et au patron de la police ! De quoi se faire un paquet d’amis…

Au printemps 2019, les autorités monégasques, toutes de colère froide, décident que le détachement du juge Levrault prendra fin le 31 août suivant. Les protestations du magistrat restant sans écho, celui-ci passe ses dernières semaines de boulot à poser des bombes à retardement. Dont la demande d’interrogatoire de Son Altesse…

Hélicos et bonnes bouteilles

Le juge veut tout savoir sur les relations que l’oligarque russe entretenait avec Albert II : la liste des voyages en jet ou en hélico privé qu’il lui payait, les lieux des fiestas où il l’invitait, et même la valeur « des bouteilles d’alcool [qu’il lui a offert] en guise de cadeau de fin d’année ».

Plus osé encore : Levrault souhaite obtenir du prince des explications sur d’importants retraits d’argent liquide effectués sur le compte Barclays de la Croix-Rouge monégasque, dont Albert II détient, la signature.

Pour barrer la route à ce malpoli, la première présidente de la cour d’appel de Monaco a dégainé une objection subtile dans un courrier du 2 septembre 2019, adressé au successeur du juge. Personne, martèle-t-elle, ne peut procéder à l’interrogatoire princier, car elle-même et tous les magistrats de sa juridiction en sont « empêchés » pour des « raisons personnelles » ou de procédure. Argument d’une haute précision juridique !

De toute façon, le prince et ses potes avaient pris leurs précautions.

Le 22 mai 2019, Albert II a signé une « ordonnance souveraine » accordant à l’ensemble du personnel du palais une immunité pénale qui « ne peut être levée que par le prince ». Surtout, cette législation d’opérette a conféré une « juridiction personnelle » àAlbert II.

En d’autres termes, le prince devient son propre juge. II peut jeter le dossier à la poubelle, s’entendre lui-même comme témoin ou confier cette tâche à une cour spéciale toute dévouée à sa personne, dont les débats et décisions demeureront secrets…

Depuis le renvoi de leur collègue Levrault, les juges locaux ont rectifié la position : on efface toutes les procédures en cours et (surtout) on ne recommence rien ! Ainsi, les poursuites contre le vendeur de tableaux suisse ont été annulées par la cour d’appel locale en octobre dernier, et celles qui visaient les supposés trafics d’influence princiers du Russe Rybolovlev pourraient subir peu ou prou le même sort au mois de mai prochain…

En toute légalité monégasque.


Hervé Liffran. Le Canard enchaîné. 04/03/2020


2 réflexions sur “Monaco et sa « lèse-majesté » !

  1. bernarddominik 10/03/2020 / 21h38

    Si on rajoute à ça le scandale financier qui touche l’ex roi d’Espagne, ces têtes couronnées ne se satisfont pas de leur liste civile. Monaco est un minuscule état moyenâgeux, ce serait Giscard d’Estaing qui aurait dissuadé De Gaulle d’occuper Monaco, un état croupion qui sert de blanchisseuse aux financiers véreux.

  2. jjbey 10/03/2020 / 22h57

    Le fait du prince, vous ne connaissiez pas? relisez cet article et vous saurez, encore que ce n’est qu’une partie des malversations connues dont sont capables ces roitelets

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