
Un cadeau à 15 millions d’Anne Hidalgo devrait « sauver » Vélib’ de la faillite
Smovengo, la société privée qui, depuis deux ans, a repris le Vélib’ à Paris, vient de bénéficier d’une étonnante faveur.
Son bienfaiteur ? Le Syndicat mixte Autolib’ et Vélib’ métropole (SAVM), qui regroupe une centaine de communes de banlieue sous la direction, de fait, de la Mairie de Paris. Selon un « protocole transactionnel » signé lors des derniers jours de décembre, Smovengo devra s’acquitter d’une pénalité riquiqui de 6 millions à la suite des innombrables manquements à son contrat constatés en 2019 : vélos introuvables ou en rade, stations inexistantes, bugs informatiques et bancaires, etc.
Ce montant représente moins du tiers de celui qu’aurait normalement dû régler la société si le contrat signé avec le SAVM, en mai 2017, avait été strictement appliqué. Selon l’annexe n° 1 au programme fonctionnel (sorte de « tarif » sanctionnant 24 manquements possibles au contrat), les pénalités s’élevaient à au moins 19 millions, et ce, en ne tenant compte que des deux critères principaux : disponibilités des stations et vélos.
Ainsi, selon le site Nocle, qui met en ligne les données publiques de Smovengo, 11.666 vélos, en moyenne, étaient disponibles chaque jour à Paris, bien loin des 19.000 promis. Pénalité contractuellement prévue : 6,6 millions. Côté stations, selon les mois, entre 79 et 292 (sur 1.400) n’étaient pas en service, justifiant une pénalité de 7,4 millions. Total de la douloureuse : 14 millions.
Encore s’agit-il d’un minimum. Le contrat prévoyait une fourniture complémentaire de plus de 5.000 vélos (jamais honorée par le SAVM, vu les performances calamiteuses de Smovengo). Déjà incapable de remplir la première tranche de 19.000 bécanes, l’entreprise l’aurait été encore plus de fournir les vélos supplémentaires : on en arrive alors à 19,5 millions de pénalités. Et les autres manquements au contrat (dont la mise en place de l’overflow, la possibilité de garer des vélos surnuméraires, promise et jamais mise en place) ? En fait, la pénalité qui a frappé Smovengo est presque un cadeau.
Interrogé sur cette curieuse mansuétude, le SAVM a répondu au « Canard » qu’il « appréci[ait] la qualité d’exécution du contrat, au regard des engagements pris et en fonction de son appréciation de la responsabilité du prestataire ». Un morceau de langue de bois auquel la Mairie de Paris a joint ces justifications : « Le syndicat n’a pas souhaité pénaliser outre mesure Smovengo, compte tenu du caractère exceptionnel du mouvement social (grèves et manifs contre la réforme des retraites) et des efforts consentis par l’entreprise pour maintenir du mieux possible le service à niveau. » Un argument des plus convaincants, puisque la grève des transports a, au contraire, stimulé les locations de vélos !
Ce cadeau étonne : en 2018, le SAVM s’était montré sans pitié avec Smovengo, lui infligeant une punition de 22 millions (soit plus de la moitié de son chiffre d’affaires). La Mairie de Paris avait commandé un audit de son inspection générale, qu’elle avait mis en ligne en février 2019. Il en ressortait que le contrat avait été négocié en roue libre. Et la conclusion était assassine : Smovengo « a indiqué (et peut-être cru) pouvoir tenir ses engagements mais n’en avait apparemment pas la capacité ».
Smovengo (qui ne publie pas ses comptes) a déjà perdu 20 millions environ en deux ans, selon un proche des actionnaires (dont fait partie Norauto, qui appartient à la famille Mulliez). « S’il n’y avait pas eu une baisse des pénalités, Smovengo serait aujourd’hui en faillite », ajoute-t-il. Funeste perspective pour la candidate Hidalgo, qui redoute un réveil, avant les municipales, de la polémique sur Vélib’, laquelle a déjà pourri une partie de son mandat.
Pour la solution au problème, prière de revenir après les élections.
Hervé Martin. Le Canard enchaîné. 19/02/2020