Médias. Notez l’absence de femmes noires.

L’association afroféministe de Sciences Po Paris, Sciences Curls, organisait en avril 2019, une conférence sur la place et les représentations des femmes noires dans les médias.

Au deuxième étage de Sciences Po, à Paris, on repousse les murs. Les retardataires tentent de trouver une place en apportant des sièges supplémentaires. La conférence “Les femmes noires dans les médias : places et représentations” fait salle comble. Une quarantaine de personnes ont réussi à s’inscrire. L’association organisatrice, Sciences Curls, qui interroge les implications politiques et culturelles des cheveux afros, a reçu plus de 100 demandes, mais impossible pour elle de trouver une salle plus grande. Pour ne frustrer personne, l’asso a dû organiser un Facebook live.

17 %”. Ce pourcentage introduisant les interventions donne le ton : c’est la part de personnes perçues comme non-blanches à la télévision en 2018 selon le CSA. Alors, quand on demande aux intervenantes de citer un exemple de femme noire qui a fait la une des médias dernièrement, la tâche n’est pas si simple. “J’ai encore dû chercher longtemps. C’est caractéristique, il y a peu ou pas de traitement des femmes noires”, témoigne Léa Mormin Chauvac, journaliste à Libération.

Il en existe pourtant, même si elles restent rares. Sibeth Ndiaye a récemment fait les frais de commentaires racistes et sexistes sur les réseaux sociaux lors de sa nomination au porte-parolat du gouvernement. Sur Twitter, elle a été comparée et mise en compétition avec Rama Yade, secrétaire d’Etat sous la présidence Sarkozy : la première étant jugée “provocante” à cause de ses cheveux afros, et la seconde “respectueuse” de la fonction. Une façon raciste de distinguer ce que serait “une bonne” noire d’une “mauvaise” noire. “S’être attaqué comme ça à la coiffure afro d’une personnalité publique, c’est très symptomatique, affirme une autre intervenante, Mélanie Wanga, co-créatrice des podcasts Le Tchip (sur la pop culture noire) et de Quoi de Meuf (sur les féminismes intersectionnels), c’est une question très sensible en France.

Peu visibles dans les médias, les femmes noires sont, par ailleurs, souvent cantonnées à des rôles bien définis. Celle de la victime tout d’abord, comme Naomi Musenga, la jeune femme dont l’appel au Samu n’avait pas été pris au sérieux et qui est décédée quelques heures plus tard. A l’opposé on retrouve les figures des femmes surpuissantes et inaccessibles, issues de la pop culture, à l’instar de Beyoncé. Si Mélody Thomas, journaliste à Marie Claire, constate une plus grande visibilité des femmes noires dans les médias ces dernières années, quoique relative, elle s’interroge toutefois sur le prisme utilisé. “Les choses évoluent. Malgré tout, on reste sur une vision de la culture noire à travers la pop culture. Mais quelle est sa place dans la société ou la politique ?

L’influence des afroféministes

Un pan médiatique a longtemps accumulé clichés et stéréotypes sur les femmes noires : la mode. Iman, mannequin somalienne et fille de diplomates, était étudiante en droit quand le photographe Peter Beard la fait venir aux Etats-Unis et la met en scène comme une sauvage exotique. Naomi Campbell, quant à elle, supermodèle des années 90, a été très sexualisée. Après ces générations de top modèles noires animalisées, Mélody Thomas estime que “le regard a aujourd’hui changé sur ce qu’on attend d’une mannequin noire”. La preuve en la personne d’Adut Akech, sud-soudanaise de 18 ans, désignée “mannequin de l’année 2018”.

Ces stéréotypes suivent aussi les femmes noires, célèbres comme anonymes, sur les réseaux sociaux. Une des caricatures récurrentes : celle de la « angry black woman », la femme noire en colère. Une façon de décrédibiliser la parole des femmes noires en les présentant comme toujours agressives ou mal élevées. Face à une parole raciste qui se libère, les afroféministes, ces féministes qui travaillent tout particulièrement sur les intersections entre le racisme et le sexisme, sont régulièrement la cible d’attaques sur les réseaux sociaux. Pour autant, la communauté afroféministe s’est réellement approprié ce domaine virtuel. “Twitter est un espace d’éducation. Les afroféministes arrivent à y vulgariser des concepts et des théories pas nécessairement connues”, avance Mélanie Wanga.

Les médias traditionnels à la traîne

Si ces sujets circulent depuis quelques années sur les réseaux sociaux, ils ont encore du mal à percer dans les médias classiques. “Les utilisatrices de Twitter ont dix ans d’avance sur les médias traditionnels, défend Léa Mormin Chauvac. Ces derniers courent derrière les réseaux sociaux. Mais leur démarche ne me paraît pas sincère : j’ai l’impression qu’ils ne s’intéressent à ces sujets que pour retenir une audience.

Mélanie Wanga confirme qu’au début de sa carrière, les médias mainstream n’acceptaient pas ses sujets, de peur de voir baisser l’audience. C’est à travers un nouveau format, le podcast, que la journaliste a notamment pu développer les sujets afroféministes. “C’est très variable selon les médias et notre poste, analyse Christelle Murhula, jeune journaliste. Dans ma rédaction actuelle, le fait que je sois une femme noire fait qu’on accepte directement les sujets afroféministes que je peux proposer, car je serais plus concernée. Alors que dans d’autres rédactions mainstream, on me disait, au contraire, que je n’avais pas assez de recul.

Dans les rédactions, les journalistes noires se retrouvent souvent isolées, et risquent alors de se sentir illégitimes. Pour faire bouger les choses, Mélanie Wanga plébiscite une forme de sororité. « On peut s’appuyer sur des gens qui veulent aller dans le même sens, peut-être faire des projets en commun. Il ne faut pas rester isolée, mais aller vers des gens qui font des choses que vous admirez. » Être ensemble pour être plus fortes. Et ne plus jamais être invisibles.


Clara Robert-Motta. Les Inrocks. Titre original : « Entre clichés et invisibilité, les femmes noires toujours mal représentées dans les médias ». Source (extrait)


3 réflexions sur “Médias. Notez l’absence de femmes noires.

  1. jjbey 12/02/2020 / 23h41

    Soit black et tais toi, beauté exotique, page de mode……Pour ce qui est de la pensée, du dialogue politique, de l’engagement on doit encore attendre que l’on pense individu avant de penser couleur……………….

  2. fanfan la rêveuse 13/02/2020 / 7h38

    Il y a encore bien du chemin à faire…cela me dépasse… 😦

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