L’incompréhensible « futur » retraite à point.

[…] … force est de constater que la clarification n’est pas complète.

Malgré un document en apparence assez fourni (1.024 pages), seulement 93 pages sont consacrées à la véritable étude d’impact [qui] présente de multiples cas types qui ont fait l’objet de nombreux commentaires.

Il faut pourtant reconnaître d’emblée leur inutilité pour mesurer l’impact de la réforme : un cas type est par construction l’analyse d’une personne fictive qui peut se rapprocher de 1 ou de 100 000 personnes.

Les cas types présentés n’étant même pas soumis à la législation effective de la réforme, leur utilité pour comprendre les effets de la réforme est proche de zéro.

A l’inverse, l’étude d’impact proprement dite utilise des outils puissants de projection qui permettent de simuler pour des millions de Français, sur la base de données réelles, les effets potentiels de la réforme.

Le gouvernement […] présente plusieurs résultats de ces simulations.

La première question importante est de savoir quelles sont les implications budgétaires de la réforme.

L’étude d’impact est assez claire sur l’évolution des dépenses de retraite : elles passeraient de 13,8 % du PIB aujourd’hui à 12,9 % en 2050, soit une baisse de 0,9 point de PIB.

  • Est-ce que cette baisse est un renoncement à l’idée d’une réforme à budget constant ? Non, répond le gouvernement, il fallait en fait comprendre « budget constant en 2050 », et non aujourd’hui…

La mesure essentielle permettant cette baisse (− 0,6 point de PIB) est donc le report de la réforme systémique, et en particulier le report de l’indexation de la valeur du point sur la croissance des salaires, qui ne sera effective qu’en 2042.

De ce fait, la dépense de retraite va bénéficier plus longtemps de l’indexation-prix du système actuel, et sous l’hypothèse d’un taux de croissance de 1,3 %, la dépense de retraite baisserait à l’horizon 2050.

Une mesure additionnelle tient à la réforme paramétrique proposée par le gouvernement d’ici à 2027, à savoir la mise en place de l’âge pivot à 64 ans [Tiens- tiens, le revoilà], qui pourrait être remplacée par des mesures proposées par la conférence de financement (− 0,3 point de PIB).

  • Projections incertaines Ce que l’étude d’impact ne dit pas clairement, ce sont les effets sur les recettes.

On comprend, entre les lignes, que c’est la contribution de l’Etat qui va ainsi baisser de 0,9 point de PIB à l’horizon 2050. Mais cette baisse de la contribution de l’Etat ne prend pas en compte les revalorisations de carrière annoncées aux enseignants, et qui devront avoir des conséquences budgétaires importantes (pas de trace de celles-ci dans le document).

  • Enfin, l’étude ne dit rien sur le caractère très incertain de ces projections.
  • En maintenant vingt ans de plus le système actuel, le gouvernement conserve la dépendance à la croissance du système actuel (que l’étude d’impact dénonce avec raison dans la première partie u document).
  • Aucune simulation n’est présentée pour des variantes de taux de croissance, comme le fait pourtant habituellement le Conseil d’orientation des retraites (COR).

La seconde question majeure, qui a fait l’objet de tant de controverses dans le débat public, est de savoir quels sont les effets redistributifs de la réforme :

  • est-ce que celle-ci est une réforme pour favoriser les hauts salaires, les premiers de cordée, les carrières dynamiques ?
  • Ou est-ce une réforme qui réduit les inégalités de retraite, et qui profite aux carrières heurtées et aux bas salaires ?

L’étude d’impact est pour le moins succincte sur cet aspect majeur. […] Le principal résultat présenté est la variation de pension par quartile (la population est découpée en quatre blocs de niveau de pension) pour la génération 1980 uniquement.

On y voit plusieurs choses : les gagnants sont concentrés dans les deux quartiles du bas, c’est-à-dire que les gains de pension vont aux plus faibles pensions, tandis que les effets sont neutres pour les 50 % des plus hautes pensions.

Un tel effet conduit bien à une réduction sensible des inégalités à la retraite.

  • Mais, pour autant, tous les doutes sont-ils levés ? Pas vraiment.

La première observation évidente est que tout le monde gagne : les pensions moyennes sont systématiquement plus élevées dans le nouveau système que dans le système actuel.

  • Comment est-ce possible ?
  • Comment est-ce cohérent, surtout, avec la baisse de la dépense de retraite présentée plus haut ?

La principale explication est la hausse de l’âge de départ en retraite dans le scénario avec réforme.

  • Sous l’effet de l’attraction de l’âge pivot, les simulations projettent une augmentation progressive de l’âge moyen de départ en retraite à 65 ans, contre 64,5 ans pour les générations nées dans les années 1990. Cette augmentation de l’âge de départ permet d’offrir de plus hautes pensions tout en affichant une réduction de la dépense. Mais cela ouvre la question de savoir quels seront les effets redistributifs selon que la réforme augmente plus l’âge de départ des plus basses ou des plus hautes pensions.
  • Le fait de présenter les résultats par quartile ne permet pas non plus d’évaluer dans quelle mesure le changement de plafond dans le nouveau système pourrait bénéficier aux plus hauts salaires.

Avec la hausse des cotisations entre le plafond de la Sécurité sociale et trois fois le plafond, il est à attendre des pensions plus élevées pour ces salariés, reflétant en premier lieu l’augmentation de leur effort contributif.

  • Là encore, l’étude d’impact ne permet pas de faire la part de ce qui tient à un effet redistributif réel, et de ce qui est de l’ordre de la convergence des taux de cotisation.

Enfin, l’étude n’apporte pas d’évaluation du financement de l’abaissement du plafond supérieur (de 25.000 euros à 10.000 euros par mois). La baisse du plafond entraîne en effet mécaniquement un surcoût transitoire : il faut que quelqu’un paie la dette représentée par les droits acquis entre 3 et 8 plafonds.

  • Expliciter le montant de cette dette et la façon de la payer aurait été la seule façon de permettre de savoir si une telle mesure correspond à un objectif partagé, ou non.

Dans son ensemble, cette étude d’impact, qui devait apporter clarté et transparence, ne va malheureusement pas fournir tous les éléments pour permettre un débat serein.

Les parlementaires se trouvent dépourvus de plusieurs analyses-clés pour discuter sur la base de faits établis. C’est dommage pour la réforme, mais surtout pour notre démocratie. […]


Antoine Bozio. Le Monde. Titre original : « Ce que ne dit pas l’étude d’impact sur la réforme des retraites ». Source (Extrait)


2 réflexions sur “L’incompréhensible « futur » retraite à point.

  1. tatchou92 07/02/2020 / 14h00

    un bel exemple d’enfumage, d’incompétence qui agglomère toutes les colères, tous les mécontentements justifiés, toutes les inquiétudes, celles de nos jeunes en particulier.. Une belle parodie de consultation à l’Assemblée, demain au Sénat, retoquage possible par le Conseil Constitutionnel, poursuite du mouvement de grève…et détermination des salariés et des populations engagés dans ce bras de fer. On ne peut pas dire que le bilan soit actuellement « globalement positif »..pour l’image de notre Pays et celle de l’économie..

  2. jjbey 07/02/2020 / 17h08

    Baisse de la part des richesses crées consacrées aux retraités avec pus de retraités ça fait mécaniquement moins pour chaque retraité. L’enjeu est simple comment économiser 19 milliards sur le dos des retraités. La réponse: la retraite par point…..j’oubliais le « s »…..

Les commentaires sont fermés.