Salariés, « ZONAR » Vous connaissez ?

L’existence du logiciel Zonar a été révélée au grand public en novembre dernier grâce à une étude réalisée par deux professeurs de l’université Humboldt de Berlin, Philipp Staab et Sascha-Christopher Geschke, pour le compte de la Fondation syndicale Hans-Böckler.

Pendant deux ans, ces derniers ont mené des interviews avec dix salariés de Zalando, analysé des supports de formation et discuté avec des experts en droit du travail et de la protection des données. Au bout du compte, les deux chercheurs livrent une conclusion sans appel.

Pour eux, la méthode d’évaluation dite de « feedback à 360° » conduit à un contrôle accru de l’activité professionnelle qui renforce le stress, ainsi qu’à une formidable récolte de données sur les salariés, le tout sans véritable contrôle ni interne ni externe.

À la suite de cette découverte, le chargé régional de la protection des données du Land de Berlin a annoncé l’ouverture d’une enquête début 2020.

Quant au syndicat des services Verdi, il s’inquiète du fait que la gestion des ressources humaines et les rythmes de travail soient de plus en plus soumis au contrôle de logiciels et d’intelligences artificielles (IA) sans que les salariés et leurs représentants soient forcément consultés. Comme cela semble être le cas chez Zalando.

« Au lieu du traditionnel entretien annuel avec son chef, le système Zonar propose des sessions d’évaluation deux fois par an. L’évaluation de l’automne porte sur la carrière et l’engagement. Celle du printemps, sur l’augmentation salariale. Pendant ces périodes d’environ deux semaines, les cinq mille managers du siège berlinois désignent cinq à huit personnes dans l’entreprise pour les évaluer. Leurs avis sont ensuite compilés par le logiciel qui livre une analyse détaillée de la personne. C’est ce que l’on appelle un feedback à 360° », explique Erik Weber*, un cadre supérieur de Zalando qui a bien voulu raconter sa propre expérience pour Médiapart.

Une fois les « nominés » validés par le supérieur hiérarchique, chacun d’entre eux se prononce sur les capacités du collègue, son comportement dans l’entreprise, la qualité de son travail ou encore la manière dont il pourrait s’améliorer. L’algorithme de Zonar génère aussi un classement en trois catégories : les faibles, les bons et, pour quelques élus, les très performants.

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Pour Zalando, pour qui Zonar est une manière de soutenir « le développement personnel » de ses salariés, les reproches avancés ne se basent que sur dix témoignages et ne sont pas du tout représentatifs de l’avis de la majorité. En outre, « le recours à Zonar doit être soumis à consultation auprès des représentants des salariés comme l’y oblige la loi sur l’organisation des entreprises. Ce que nous avons fait », explique-t-on au service de presse de Zalando en précisant que pour Zonar, un représentant du syndicat Verdi et les comités sociaux et économiques (CSE) de deux sites logistiques ont donné leur accord à l’utilisation du logiciel.

Le même service de presse précise enfin que la question de la protection des données des salariés n’est pas problématique puisque ceux-ci auraient donné leur accord quand ils ont signé leur contrat de travail.

Le démenti du syndicat Verdi est cinglant : « À notre connaissance, il n’y a eu aucun accord pris au sein de l’entreprise dans le cadre de la codétermination », affirme la porte-parole Eva Völpel. Selon le syndicat, Zalando n’a pas non plus demandé l’avis d’un de ses représentants.

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De son côté, Erik Weber rejette l’affirmation selon laquelle il aurait donné son accord pour l’utilisation de ses données : « Je suis arrivé dans la société avant 2018. L’obligation de protéger systématiquement les données privées datant de 2018, je n’ai jamais pu signer un contrat de travail autorisant à utiliser mes données dans Zonar. Et depuis, je n’ai jamais signé aucune autorisation spécifique. Je suis donc curieux des conclusions de l’enquête annoncées par le Chargé de la protection des données du Land de Berlin. » 

C’est précisément à cause de la quantité des données recueillies, et des conditions nébuleuses de leur utilisation, qu’un contrôle de la conformité de Zonar et des conditions de sa mise en œuvre par Zalando va avoir lieu prochainement.

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Les questions posées par Zonar, comme celles de l’utilisation non encadrée de technologies puissantes pour gérer les salariés, se retrouvent dans bien des entreprises, ainsi que le montre le Baromètre de l’innovation 2019, récemment publié par Verdi et l’Université technique de Munich.

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Thomas Schnee. Médiapart. Titre original : « L’entreprise Zalando accusée de jouer à Big Brother avec logiciel Zonar ». Source (extrait)


* Le nom a été changé.

5 réflexions sur “Salariés, « ZONAR » Vous connaissez ?

  1. bernarddominik 12/01/2020 / 21h10

    Ce qui m’étonne le plus dans l’évolution actuelle du capitalisme, ce sont les contraintes de plus en plus fortes exercées sur les employés, avec un système de boîtes russes où les cadres sont eux mêmes dans un système de contraintes qui les force à exercer une surveillance et constamment suivre les objectifs fixés avec une rigidité telle que le management en devient contraire à la recherche du profit, pourtant le but même du capitalisme. Le management repose sur la fixation d’objectifs et le contrôle de l’évolution de leurs réalisation. Ainsi chez BNPP a été créée la méthode de conduite de projet MCP qui régit de manière rigide comment mener un projet, la documentation obligatoire, les managers ont les yeux rivés sur la MCP, si bien que si le projet n’a pas appréhendé la totalité des aspects du sujet traité, l’obligation de suivre exactement ce qui a été prévu, bloque toute initiative. Le résultat est l’augmentation considérable des bugs, ou oublis, dans les logiciels. Sur les 4 dernières années j’ai signalé un nombre important d’erreurs, dont une n’a jamais pu être corrigée car un cas d’espèce pose problème par rapport à la conception globale. J’ai même écrit au médiateur de BNPP, qui a avoué son impuissance (je suis marié avec un compte joint mais mon épouse a gardé son nom, le logiciel a créé un faux nom pour mon portefeuille d’actions en mélangeant les 2 noms) . Quasiment toutes les entreprises notent leur personnel, et finalement zonar n’est qu’une évolution de cette idée. Je ne sais pas où on va, mais un jour le ras le bol va faire exploser tout ça.

    • Libres jugements 13/01/2020 / 13h13

      Bonjour Bernard,
      Voilà bien un texte qui aurait mérité d’être placé en article sur ce blog.
      Permets-moi de te rappeler que tu es inscrit sur ce blog, comme « contributeur » et à ce titre si tu le souhaites faire passer de tes textes, tout comme le font indirectement mes deux acolytes, Jean-Jacques (JJBey) et Danielle (Tatchou92) n’écrivant pas directement, mais me signalant très souvent des articles correspondants à des événements précis ou indiquant quelques lectures et sources possibles, ta contribution sera bien évidemment édité sans problème.
      Très amicalement
      Michel
      Michel

  2. jjbey 13/01/2020 / 10h45

    Facile, on fixe des objectifs, le salarié ne sait pas s’il est en capacité des les atteindre et même s’il sait qu’ils sont impossibles à atteindre il n’osera pas en discuter.
    Les objectifs non atteints, il ne revendiquera pas d’augmentation et éventuellement acceptera une rupture conventionnelle de son contrat de travail…..

  3. Danielle ROLLAT 13/01/2020 / 14h49

    La machine à broyer le salarié et à lui faire fermer le clapet..

  4. bernarddominik 13/01/2020 / 16h23

    En 2006 mon manager m’a demandé de graver un tera octets sur disques optiques numériques (DON) en 2 mois.
    A cette époque un DON faisait 3,5 giga octets utiles il fallait donc graver 285 DON.
    Mais mon manager avait oublié le temps de montage/ démontage des DON, le temps de transfert des données, le fait qu’on n’avait que 2 têtes de lecture/ écriture, le temps de duplication des DON, et de retirer manuellement les duplicatas, le fait qu’on ne peut graver que la nuit sinon on prive le personnel d’accès aux autres archives, et en plus il m’avait refusé une augmentation de la taille des disques tampons pour stocker les fichiers avant gravure.
    Il me faudra en réalité 14 mois.
    Et pour cela il m’a fait convoquer par la DRH pour faute grave !
    Heureusement j’étais syndiqué.

    Le management prend souvent des engagements auprès de la direction en ignorant comment ça marche, un planning est fait, et comme il n’ose avouer à la direction qu’il a fait une promesse intenable il s’en prend à celui qui fait le travail, le traitant de fainéant ou d’incompétence.
    Ça se passait dans une grosse filiale de BNP Paribas (leasing solutions un des plus gros loueurs de matériel professionnel de l’UE).

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