Prix cassés via internet !

Les recettes [pas si magiques] des sites Internet

L’avantage aux acheteurs prive les caisses publiques de 2 milliards d’euros et supprime des recettes aux distributeurs et commerçants locaux. MC

Les prix cassés proposés par Amazon, Cdiscount, la Fnac, etc. ne sont pas toujours dus à leur génie commercial.

Dans environ un tiers des cas, ils s’expliquent par « une gigantesque fraude à la TVA », comme l’analyse un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) publié par « Les Echos » (9/12). Ce système, qui, selon les estimations officieuses de Bercy, prive l’État de près de 2 milliards d’euros, n’est cependant pas le seul moyen employé par ces sites pour offrir des prix imbattables. Petite revue des méthodes utilisées par les géants du Net pour broyer la concurrence.

Amazon de non-droit

Les illégales, d’abord : les fameuses market places, un système décrit par « Le Canard » (26/9/18). Des marchands, souvent chinois, expédient (généralement en Grande-Bretagne) les produits aux prix chinois « sortie d’usine », très inférieurs aux tarifs hors taxes européens.

Pourquoi la Grande-Bretagne ?

Parce que, Commonwealth oblige, ce pays exonère les marchandises venues de Hongkong de tout droit de douane. Les produits sont ensuite réexpédiés vers les pays de l’Union européenne via les sites de vente…

L’acquéreur d’un appareil photo Canon EOS 5D Mark IV peut ainsi l’avoir déniché à la Fnac pour 2.999 € (le 9 décembre 2019), contre 2.050 € (moins 32 %) (toujours à la Fnac) via la market place sino-britannique Fantasy Digital. En principe, c’est aux particuliers de régler la TVA (ici, 400 €). Mais la quasi-totalité d’entre eux (sciemment ou par ignorance) omettent de le faire et ne risquent presque aucun contrôle. C’est la « fraude massive à la TVA » dénoncée par le rapport de l’IGF.

Certes, la loi va évoluer (lire l’encadré ci-dessous), mais Amazon & Cie ont trouvé la parade. « Ils se sont aperçus, indique Yves Puget, directeur de la rédaction du magazine professionnel « LSA » « que, pour un même produit, il existe des écarts de prix très importants selon les pays en Europe. »

L’astuce : acheter le produit là où il est vendu le moins cher pour le revendre à prix cassé dans un pays où il coûte bonbon.

Exemple : en 2013, Coca-Cola a lancé une opération consistant à inscrire un prénom choisi sur une liste de 1.000. Très vite sont apparues sur le marché français une multitude de canettes siglées de prénoms… ukrainiens ou lituaniens, venant de contrées où le Coca est nettement moins cher.

Au parfum

Mieux encore : dans la plupart des pays européens, des plateformes de vente se sont constituées achetant directement à l’usine au prix de production pour ensuite revendre via Internet.

Ainsi pour les parfums des plus grandes marques :

  • Aqua Allegoria, vendu 97 € dans les boutiques Guerlain, est cédé à 65 € par plusieurs sites.
  • La lavande Yardley, 40 € environ en magasins, est à 20 € chez Amazon.

Commentaire d’une responsable d’Inter-parfums, fabricant et distributeur : « Ces prix sont dus à des circuits de distribution parallèles, sur lesquels nous ne souhaitons pas nous exprimer. »

Le fabricant allemand de matériel sanitaire haut de gamme Grohe s’illustre pareillement. La plateforme Reuter Store, à Francfort, diffuse tous ses produits avec un rabais de 40 à 60 %.

Justification d’un responsable : « Nous achetons de très grandes quantités et n’avons que très peu de frais administratifs (pas de revendeurs ni de distributeurs, pas de magasins physiques à gérer, etc. ») Bilan :

  • un mitigeur de bain généralement proposé à plus de 1.000 € par un revendeur traditionnel
  • disponible à 600 € chez Reuter Store.

Au grand dam des distributeurs : « Aujourd’hui, de moins en moins de plombiers s’approvisionnent chez nous. Ils vont chez Reuter. »


Lucratifs « hébergeurs »

Pourquoi les sites ayant pignon sur rue tolèrent-ils les pratiques des market places fraudant la TVA ? Parce qu’elles rapportent 8 % de commission pour la Fnac, par exemple. Et même plus, si on veut bénéficier d’un bon positionnement sur l’écran. A la clé, pour le magasin l’image d’un site compétitif, paradis des bonnes affaires (et cela en toute bonne conscience). « Nous sommes seulement hébergeurs, indique une porte-parole de la Fnac.Notre rôle est de nous assurer que la vente se passe bien. Nous n’avons pas à vérifier le paiement de la TVA par les acheteurs. »

Ça va changer. A partir de 2021, les sites devront s’assurer que la TVA a bien été réglée préalablement à la livraison du produit.


Hervé Martin. Le Canard enchaîné. 11/12/2019