Crise des hôpitaux les nourrissons otages d’une médecine de de guerre

Alerte ! […] la « dinguerie » dans les hostos a franchi un nouveau cap.

Le 12 novembre 2019 dans l’après-midi, trois nourrissons de la région parisienne atteints de bronchiolite ont dû être transportés en réanimation… à Amiens, à Reims et à Rouen (à 150 bornes du domicile des parents !) L’un des bébés venait de l’hôpital de Saint-Denis, l’autre de celui d’Aulnay-sous-Bois, le troisième de Longjumeau.

Une vraie promenade de santé… « Et vous imaginez, pour la famille ? C’est catastrophique ! » bondit Stéphane Dauger, le chef du service de réanimation pédiatrique de Robert-Debré. Aucune place n’était disponible dans la capitale : comme si Paris était un camp de brousse…

Réa dans le coma

Ce n’est pas la première fois, cet automne, qu’un tel point de rupture est franchi.

  • Le 17 octobre, un bébé hospitalisé à Pontoise a dû être transporté jusqu’au CHU d’Amiens pour trouver une place en réanimation.
  • Le 22 octobre, rebelote : un bébé emmené toutes sirènes hurlantes de Poissy à Orléans.
  • Le 23 octobre, un autre nourrisson est parti de Poissy vers le CHU d’Amiens.
  • Et, pour un quatrième, à Etampes, le Smur a encore dû foncer jusqu’à Orléans !

« C’est du jamais-vu ! alerte le Dr Noëlla Lodé, coordinatrice des Smur pédiatriques d’Ile-de-France, qui confirme cette série d’exploits au « Canard ». Les dernières années, c’est arrivé de façon ponctuelle : on a eu un ou deux cas de transfert en province, trois maximum, dans tout l’hiver. Là, on a déjà sept cas alors que l’épidémie de bronchiolite va durer jusqu’à la mi-janvier ! » La raison est « identifiée », explique la coordinatrice, et elle est inédite : « Dans tous les services de réanimation parisiens (à Necker, au Kremlin-Bicêtre, etc.), des lits sont fermés, uniquement par manque d’infirmières. » Les budgets sont là, mais le personnel, lui, a fui des conditions de travail de malade et des salaires pas assez attrayants, comme « Le Canard » l’a raconté la semaine dernière (13/11).

Un tri d’alarme

A l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, faute de bras pour les faire tourner, 900 lits sont fermés sur l’ensemble des services. Et les fermetures s’enchaînent en province. Pour la pédiatrie, « cette situation (…) est vécue comme une médecine de guerre », ont dénoncé 2.000 soignants dans « Le Parisien » (14/11) : il faut sans arrêt « choisir quel enfant hospitaliser en priorité, quelle chirurgie pourtant indispensable différer ». « Par manque d’infirmières, on réduit les dialyses de quatre à trois heures, explique au Palmipède Olivia Boyer, néphrologue à l’hôpital Necker. Et on refuse des enfants tous les jours, même des épileptiques qui convulsent ! »

Après huit mois de crise aux urgences et deux ans d’alertes éperdues, l’ordonnance du gouvernement arrive bien tard pour enrayer cette fuite des soignants. Car c’est à un vrai cercle vicieux que l’hôpital est confronté. Les infirmières les plus expérimentées sont parties, laissant les jeunes se former dans un climat de stress qui les fait déguerpir plus vite encore. Et celles qui restent sont pressées comme des citrons… « On nous appelle sans arrêt pendant nos congés et nos jours de repos pour boucher les trous dans les plannings, alors qu’on bosse déjà un week-end sur deux. C’est du harcèlement et ça nous épuise encore plus vite », explique une infirmière en réanimation à la Pitié-Salpêtrière.

Pour le « choc d’attractivité » promis par Macron, y a du boulot…

Buzyn, quelle vista !

  • Quel pif ! Agnès Buzyn a bien raison de rappeler à tout bout de champ que, pour y avoir travaillé, elle connaît bien les hostos. Le 8 avril 2018, alors que des mouvements de grève éclatent un peu partout, la ministre lève les yeux au ciel (« Libération ») : « J’en ai assez du discours catastrophiste sur l’hôpital (…). Beaucoup d’hôpitaux fonctionnent très bien, sans déficit, avec une très bonne ambiance de travail. » C’est même le pied ! Dans le plat…
  • 20 février 2019. Invitée à Sciences-Po, la ministre se gargarise : « Je sais exactement de quoi je parle (…) quand je dis que je pense que je vais pouvoir sauver l’hôpital public. » Rien que ça ! Neuf mois et une crise des urgences plus tard, l’hôpital est en soins palliatifs… Même pas besoin, ajoute à l’époque notre ministre visionnaire, d’y injecter de l’oseille : « L’hôpital public, on ne va pas le sauver simplement en rajoutant des moyens et des financements. Parce que, cette manie française de penser que, quand quelque chose va mal, il faut juste rajouter de l’argent supplémentaire », hein, ça va bien !
  • 9 octobre 2019. Dr Buzyn est contente d’elle (« Les Echos ») : avec le projet de loi de finances, « nous préservons l’hôpital ». En réalité, le budget 2020 de la Sécu prévoit… 800 millions d’euros d’économies pour les hôpitaux. Hurlements dans les brancards !
  • 28 octobre 2019. Sur RTL, Macron promet (enfin) des « moyens » supplémentaires car, « patatras ! on arrive au bout d’un modèle qui tirait sur la corde depuis dix, quinze ans, et ça craque maintenant ». Patatras ! y a plus qu’à pondre la bonne ordonnance…

Isabelle Barré. Le Canard enchaîné. 20/11/2019