L’écologie et l’industrie chimique

Allez, venez, on a le temps, et c’est très beau.

La mer du Japon est à deux pas, et le lac Shinji est l’un des plus grands de l’archipel, le septième, dit-on. Circonférence ? Entre 45 et 48 km, ça dépend des jours. Il est relié à la mer par un lagon, et ses eaux sont donc saumâtres, mais d’une qualité rare. On y trouve en conséquence une très grande variété de poissons, de mollusques et de crustacés de ces eaux-là.

Lac Shinji – Japon

Le lac est connu dans tout le Japon pour cette richesse, et notamment pour ses prodigieux gisements de Corbicula japonica, une palourde pour laquelle plus d’un Japonais raisonnable se damnerait.

Le lac a inventé pour les attraper des instruments uniques dans toutes les îles de l’archipel, qu’on appelle joren. Ajoutons, tant qu’on est en paradis, que le site appartient à la convention internationale de Ramsar, qui recense les hauts lieux ornithologiques sur terre. Le lac reçoit autour de 240 espèces d’oiseaux d’eau, et parmi elles, des milliers d’oies rieuses et de fuligules milouinans.

De quoi vit-on sur place ?

De tourisme, d’écotourisme souvent, et de pêche aux crustacés et aux poissons, aussi nombreux que variés. Tout va donc bien, mais tout va aussi mal qu’ailleurs, ainsi que vient de le montrer une étude menée par la chercheuse Masumi Yamamuro, et qui vient de paraître dans Science (1).

Objet de ce travail : les néonicotinoïdes, ces insecticides tueurs d’abeilles, interdits en France – mais pas ailleurs – depuis septembre 2018. Ainsi que note la revue, « Yamamuro et al. now show that these compounds are indirectly affecting species through trophic cascades ». Yamamuro et ses collègues montrent que ces pesticides affectent indirectement des espèces au travers de cascades trophiques.

Ma traduction n’est pas exaltante, et je précise. Les « cascades trophiques » sont les chaînes alimentaires qui tiennent et maintiennent le vivant. Or elles sont fragiles. Quand on commence l’épandage du néonicotinoïdes imidaclopride (le fameux Gaucho en contenait) (sur les rizières qui bordent le lac, en 1993, le zooplancton) la masse des minuscules invertébrés meurt aussitôt.

Sa biomasse printanière baisse de 83 %, et fort logiquement, la production de mollusques et de poissons se nourrissant de lui s’effondre. Dès la première année, la pêche d’un délicieux petit poisson, le wakasagi, passe de 240 tonnes à… 22. Un effondrement de 90 %. Celle d’anguilles baisse de 75 %. Réputée, l’équipe japonaise a rassemblé vingt années de données sur la qualité de l’eau du lac, mais aussi celle des rivières qui se jettent en lui après avoir traversé les rizières.

Ce n’est qu’une étude de plus, j’en suis bien d’accord. Mais il faut raisonnablement la relier à bien d’autres désormais qui montrent la réalité d’effets en cascade des néonicotinoïdes, sur les oiseaux notamment. En France, on l’a dit, ces poisons sont interdits depuis un an, après vingt-cinq ans d’une bataille qui aura épuisé une génération de combattants. Mais les néonicotinoïdes restent l’insecticide (pesticide) le plus vendu dans le monde. Il est massivement épandu dans plus de 120 pays, sans soulever le moindre problème.

La Chine, territoire clé d’un marché qui se chiffre en milliards d’euros, est le véritable eldorado de cette chimie de synthèse, facilement imposée sur place par la bureaucratie totalitaire. Sans grande surprise, la première étude sur le sujet, parue en juin 2019 (2), montre une pollution de l’eau des rivières chinoises par les néonics bien plus grave qu’aux États-Unis, longtemps champions mondiaux.

Dernier point dérisoire : est-ce utile ? Les commerciaux de l’agrochimie (Bayer-Monsanto, BASF, ChemChina) sont des petits génies. Une étude publiée le 9 septembre 2019 (3) montre que les traitements des semences de soja aux États-Unis par des néonicotinoïdes «ne procurent que de négligeables bénéfices aux fermiers américains ». Encore ce titre est-il trompeur. Après analyse de 194 études réalisées sur douze ans et dans 14 États producteurs de soja, il apparaît que les néonicotinoïdes ne permettent pratiquement aucune augmentation des récoltes. Ces gens sont des truands de haute volée.


Fabrice Nicolino – Charlie hebdo. 13/11/2019


  1. science.sciencemag.org/content/366/6465/620
  2. sciencedirect.com/science/article/pii/S0160412019302004
  3. nature.com/articles/s41598-019-47442-8

2 réflexions sur “L’écologie et l’industrie chimique

  1. jjbey 15/11/2019 / 20h58

    Faudrait leur en faire manger………….

Les commentaires sont fermés.