Main basse sur l’Amazonie

Même dans le camp des adversaires du président brésilien, la passe d’armes très médiatisée qui l’a opposé à son homologue français suscite des sentiments partagés.

  • Pour empêcher M. Jair Bolsonaro de livrer l’Amazonie à l’agrobusiness, faut-il remettre en cause le principe de la souveraineté territoriale des États, comme le suggère M. Emmanuel Macron ?

Se présenter en contradicteur privilégié d’homologues étrangers qualifiés d’« illibéraux », voilà un exercice auquel le président français Emmanuel Macron se prête volontiers (1).

 […] Les incendies qui ravagent la forêt amazonienne depuis le début de l’année ont offert [à Macron] un adversaire au profil idéal : le président brésilien d’extrême droite Jair Bolsonaro, misogyne, homophobe et climatosceptique. Alors que […] la politique de déforestation désormais encouragée par Brasília (2), M. Macron a suggéré de conférer « un statut international à la forêt amazonienne, au cas où les dirigeants de la région prendraient des décisions nuisibles pour la planète (3) ».

[…]

Le premier ministère brésilien entièrement consacré à l’environnement est inauguré en 1992. Quelques mois avant le Sommet de la Terre de Rio, qui se tient la même année, le président Fernando Collor de Mello annonce la création d’un territoire yanomami de 9,4 millions d’hectares. La politique de développement du Brésil s’affichant « durable » et respectueuse des populations autochtones, inutile d’imaginer empiéter sur sa souveraineté, explique-t-on en substance à Brasília.

Retournées dans leurs baraquements, les forces armées demeurent inquiètes. À leurs yeux, les réserves indiennes constituent le prélude à une « balkanisation » de l’Amazonie qui donnera naissance à de petits îlots indigènes « facilement manipulables par les pays riches ». Quant à l’exigence écologique, elle faciliterait l’émergence de « normes internationales éloignées du vieux principe d’égalité de droit entre les États, de non-intervention et d’autodétermination des peuples » (13).

L’ennemi d’hier aurait donc troqué le rouge pour le vert, les fusils pour les organisations non gouvernementales (ONG) ; la menace n’en aurait pas pour autant disparu. Le 10 décembre 1991, l’ancien ministre des armées Leônidas Pires Gonçalves explique au quotidien Folha de São Paulo que le secrétaire d’état à l’environnement lui inspire « la même haine que celle qu’il avait éprouvée jadis pour le dirigeant communiste Luís Carlos Prestes ».

En nommant au poste de ministre de l’environnement M. Ricardo Salles, ancien directeur de la Société rurale brésilienne (un bastion de l’agrobusiness), M. Bolsonaro renoue avec la vision de ses amis militaires. Oubliés, les discours de ses prédécesseurs sur le développement durable et la promesse de protéger l’environnement : à ses yeux, l’Amazonie est une source de richesses à défendre afin d’en tirer profit. Une telle posture facilite le retour des antiennes « globalistes »… et des soupçons.

Car il n’a pas échappé à Brasília que les grandes puissances qui élèvent la protection de la nature au rang de priorité pour les pays du Sud s’épargnent le plus souvent le fardeau d’en faire autant. Sans compter que, en 2007, la « communauté internationale » avait ignoré la proposition de Quito de protéger le parc national amazonien Yasuní en échange du versement de la moitié des sommes qu’aurait dégagées son exploitation (14). Néanmoins, la détestation que des millions de Brésiliens éprouvent pour M. Bolsonaro les conduit à assimiler les interrogations de leur président à une faribole paranoïaque.

Monsieur Macron, considérant que la destruction de l’Amazonie est un « problème mondial » et interdisant à quiconque de prétendre que « ça le concerne seul » (Twitter, 26 août 2019), projette de présenter à la conférence de Santiago de 2019 sur les changements climatiques (COP25) une « stratégie de long terme » visant à assurer le « bien-être des populations » amazoniennes et à garantir « un développement durable et écologique » dans la région (15). De sorte que réémerge l’idée d’un droit d’ingérence climatique calqué sur celui, humanitaire, qui avait justifié les interventions militaires occidentales en Somalie (1992), en Haïti (1994), en ex-Yougoslavie (1999)…


[…] Renaud Lambert. Le Monde Diplomatique. Source (Très court extrait)


  1. Lire Serge Halimi et Pierre Rimbert, « Libéraux contre populistes, un clivage trompeur », Le Monde diplomatique, septembre 2018.
  2. Cf. Herton Escobar, « There’s no doubt that Brazil’s fires are linked to deforestation, scientists say », Science, Washington, DC, 26 août 2019.
  3. Agence France-Presse (AFP), 29 août 2019.
  4. Luiz Alberto Moniz Bandeira, Presença dos Estados Unidos no Brasil, Civilização Brasileira, Rio de Janeiro, 2007. Les informations et citations du paragraphe suivant sont également tirées de cet ouvrage.
  5. Correio Mercantil, Rio de Janeiro, 12 septembre 1853.
  6. Malcolm Hadley, « La nature au premier plan. Les premières années du programme environnemental de l’Unesco, 1945-1965 », dans collectif, Soixante Ans de science à l’Unesco, 1945-2005, Unesco, Paris, 2006.
  7. J. Taketomi, « Artur Bernardes, a luta contra os EUA e a internacionalização da Amazônia », 24 septembre 2017.
  8. « Pourquoi l’Amazonie ? Présentation d’une recherche et d’un espace », Bulletin de l’Association de géographes français, no 441-442, Paris, mars-avril 1977.
  9. Ana Cristina da Matta Furniel, « Amazônia. A ocupação de um espaço : internacionalização x soberania nacional (1960-1990) » (PDF), dissertation présentée en vue de l’obtention de la maîtrise en relations internationales, Université catholique de Rio de Janeiro, 14 décembre 1993.
  10. Ibid.
  11. Alexei Barrionuevo, « Whose rain forest is this, anyway ? », The New York Times, 18 mai 2008. M. Gore affirme en 2019 n’avoir jamais prononcé ces paroles.
  12. Cité par Chantal Rayes, « Amazonie : Bolsonaro répond à la pression internationale », Libération, Paris, 24 août 2019.
  13. Documents de l’école de commandement de l’armée de terre brésilienne publiés en 1998 et 2001 et cités par Adriana Aparecida Marques dans « Amazônia : pensamento e presença militar » (PDF), thèse présentée pour l’obtention du doctorat en science politique, université de São Paulo, 2007.
  14. Lire Aurélien Bernier, « En Équateur, la biodiversité à l’épreuve de la solidarité internationale », Le Monde diplomatique, juin 2012.
  15. Silvia Ayuso, « El G7 moviliza 18 millones para combatir el fuego en la Amazonia », El País, Madrid, 26 août 2019.
  16.  « A internacionalização da Amazônia », O Globo, Rio de Janeiro, 23 octobre 2000.

2 réflexions sur “Main basse sur l’Amazonie

  1. fanfan la rêveuse 05/10/2019 / 10h09

    Avant de s’occuper des autres Mr Macron devrait balayer devant sa porte. Car il se permet de donner son opinion, conseils alors qu’il est tout, sauf exemplaire en matière d’écologie…

    Attention, je ne nie pas pour autant que les incendies en Amazonie sont un réel souci pour la planète. Honnêtement à la place de Mr Bolsonaro je rirais ouvertement à la face de Mr Macron au vue de ce qui s’est passé tout au long de l’année en France et il y a encore quelques jours…

    Faut il avoir une haute opinion de soi pour avoir de telles paroles…

    • jjbey 06/10/2019 / 23h49

      Donner des leçons c’est bien mais encore faut-il se trouver en capacité de la faire. Macron utilise la forêt amazonienne comme on le fait tous les jours de faits divers brandit à la face du public pour éviter de parler des choses qui fâchent ….. Bien vu l’artiste

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