Autoritarisme !

Voilà une enquête d’opinion comme on nous en propose régulièrement, qui dessine à gros traits un portrait robot du Français moyen, qui ne croit plus en ceci ou en cela, qui a le moral en berne, veut être mieux protégé, et juge son pays en déclin…

L’exercice a évidemment ses faiblesses (1). Il brasse des généralités.

« Les » députés, « les » médias, « les » syndicats subissent tous le même opprobre. Au diable les nuances et le pluralisme ! […] Mais ce prisme déformant nous permet tout de même d’apercevoir quelques réalités.

L’urgence écologique, par exemple, est bien là, désormais installée dans la conscience collective. Même si la moitié des personnes interrogées ne veulent pas que le combat contre le réchauffement climatique se fasse au détriment du social.

Mais une autre réalité, très inquiétante celle-là, se confirme d’année en année. Une remise en cause de la démocratie, et son corollaire, une fascination pour la figure chimérique du chef. Un Bonaparte ou un général Boulanger qui mettrait au travail les chômeurs, puisque ceux-ci, nous dit le sondage, ne font pas les efforts nécessaires pour retrouver un emploi, et qui fermerait nos frontières aux migrants, puisqu’on ne se sent plus vraiment « chez soi ».

« Ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste. » Pascal

On est frappé au passage par la porosité entre ces réponses et une partie du discours macronien… Il paraît donc que 36 % des Français seraient dans cette disposition d’esprit. Ceux-là, nous dit-on, ne croient plus dans la démocratie. Face à ce constat, on peut s’en tenir à une condamnation morale de ces « mauvais citoyens ». Ce fut longtemps le choix de la gauche. Inversement, on peut, comme l’extrême droite, flatter leur obscurantisme, au nom du « peuple-qui-a-toujours-raison ».

La première attitude est contre-productive ; la seconde est criminelle.

Ni ceci ni cela, donc. Mais on doit s’interroger sur cette démocratie libérale qui suscite un tel rejet et qui risque de nous entraîner, tôt ou tard, dans de désastreuses aventures.

La démocratie, la vraie, ne peut pas être ce système menteur qui nous parle d’égalité et d’universel, quand toute une politique dit le contraire. Elle ne peut pas être antisociale.

L’affaire des retraites illustre parfaitement cette contrefaçon. Tous les mots sont pipés. La notion de privilège n’est utilisée que pour diviser. Dans le schéma libéral, les privilégiés ne sont jamais les super-riches. Et que dire de l’égalité ? C’est Rousseau mal revisité par Macron. On se pince quand deux mots révolutionnaires, comme égalité et universalité, sont au cœur de l’argumentaire gouvernemental pour justifier une réforme injuste. Comme si les régimes spéciaux n’avaient pas été conçus après-guerre pour corriger des inégalités inhérentes à la pénibilité des métiers, aux irrégularités d’horaires, et à la faiblesse des salaires. Comme si la retraite à 55 ans des conducteurs de métro ne venait pas en compensation d’une vie passée dans un tunnel, avec le stress de professionnels qui, chaque jour, ont la responsabilité de milliers de vies humaines. Prétendre créer une égalité de traitement au travers du seul système de retraite alors que tout, par ailleurs, produit de l’inégalité relève de l’imposture.

Si le gouvernement se mêlait vraiment d’égalité, il agirait sur d’autres leviers. Il n’aurait pas supprimé l’impôt sur la fortune. Il se préoccuperait d’imposer plus fortement les revenus financiers. Il relèverait les taux des tranches supérieures de l’impôt (solution notamment préconisée par Thomas Piketty). Il irait peut-être jusqu’à fixer un seuil de richesse, comme le suggère la Fondation Copernic (2).

Nous sommes évidemment très loin de tout ça. […]

L’insincérité de cette réforme saute aux yeux. Comme l’insincérité du discours gouvernemental en général.

Un discours entièrement déterminé par l’obsession de contraintes budgétaires qu’il faut tenir sans toucher à la répartition des richesses. Rarement on a eu plus qu’aujourd’hui le sentiment qu’une politique n’avait pour objectif que de circonvenir l’opinion. À mesure que se profile la probabilité d’une mobilisation sociale qui pourrait égaler celle de l’hiver 1995, le gouvernement multiplie les subterfuges qui aggravent la crise de confiance.

La réforme, nous dit-on, ne s’appliquerait qu’en 2040. En espérant que la lutte des classes sera soluble dans le temps. Et, plus grave encore, Emmanuel Macron ressort le joker sarkozyste de l’immigration pour embarquer l’opinion dans un combat douteux. Où l’on voit que la démocratie libérale entretient avec les idées antidémocratiques une intimité plus étroite qu’il y paraît.

[…] … il n’est pas exagéré de dire que la crise de confiance que provoque Macron, peut annoncer de sombres lendemains.


Denis Sieffert. Politis.fr. Titre original : « La tentation autoritaire ». Source (extrait bien que l’article soit en accès libre)


(1) Enquête Ipsos Sopra-Steria avec la Fondation Jean-Jaurès et l’Institut Montaigne. Cf. Le Monde du 17 septembre.

(2) Lire Vers une société plus juste, un manifeste publié par la fondation Copernic, 110 pages, 10 euros

4 réflexions sur “Autoritarisme !

  1. bernarddominik 22/09/2019 / 11h45

    En ce qui me concerne je suis sidéré par l’amalgame, le mélange, qui en fin de compte ne servent qu’à masquer une réalité, où lorsqu’on pose la question avec les termes adéquats, la réponse de la grande majorité des français est très claire. Non l’égalité devant la retraite n’est pas cette égalité factice qui ne tient pas compte des conditions de travail. Moins d’un quart des employés de la RATP travaillent dans un tunnel, la réforme tiendra obligatoirement compte de cette spécificité, mais je ne vois pas de différence entre un comptable de la RATP, de la SNCF ou d’une entreprise privée. La justice doit être pour tous. Arrêtez de défendre une société féodale. Et certains syndicats agissent comme les corporations du moyen âge.

    • Libres jugements 22/09/2019 / 11h54

      Chacun est libre d’avoir un avis, votre commentaire vous regarde
      Fraternellement
      Michel

  2. fanfan la rêveuse 23/09/2019 / 7h36

    Bonjour Michel,
    Vous savez moi, les sondages, je n’en tiens pas compte car on fait dire ce que l’on veut à un sondage de par l’orientation des réponses que nous ne pouvons choisir vraiment…
    Une certitude, depuis le mouvement des gilets jaunes il y a une fracture qui s’est encore un peu plus prononcée entre les Français.
    D’un côté il y a ceux qui gagnent bien leur vie et qui en ont assez de payer et ceux qui galèrent toujours et encore… Voila ce que ce gouvernement a mis, un peu plus, en place…

    Bonne journée Michel !
    🙂

    • Libres jugements 23/09/2019 / 16h26

      Bien d’accord avec vous Françoise, qu’il ne faut pas se fier à un unique sondage.
      Toutefois quand les sondages provenant de différentes organisations, associations, entreprises et gouvernement, affichent dans plusieurs les mêmes tendances, nous pouvons en tenir compte pour une réflexion sur une généralité des problèmes de la société française.
      et dans le cas qui nous intéresse effectivement la quintessence des sondages portant leur sous-entendu: « D’un côté il y a ceux qui gagnent bien leur vie et qui en ont assez de payer et ceux qui galèrent toujours et encore… »

      Très amicalement
      Michel

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