Le gibier : « Conforama » et les créanciers vautours !

Pourquoi changer l’ordre conçu pour et par la finance et ses actionnaires ?

[…] Le 22 juillet dernier, le Parisien-Aujourd’hui en France révélait que le détaillant de mobilier avait cédé ses filiales espagnole et portugaise pour un montant estimé à 300 millions d’euros.

Cette somme, précisait le quotidien, devant servir à rembourser partiellement la dette du groupe mais surtout à verser 87 millions d’euros d’intérêts à ses détenteurs. « Un scandale » d’autant plus « insupportable » pour les syndicats CGT (majoritaire) et FO que, le 2 juillet dernier, Conforama avait annoncé la suppression de 1 900 postes (21 % de ses effectifs), la fermeture de 32 magasins de l’enseigne et 4 magasins Maison Dépôt.

  • « Les licenciements financent les intérêts », dénonce le délégué syndical CGT Abdelaziz Boucherit.
  • Mais ce scandale en cache un autre, et de plus grande taille. Sous couvert de financer son redressement, Conforama et certains de ses créanciers ont mis en place un mécanisme qui, s’il n’est pas stoppé, va conduire à son démantèlement.

Taux d’intérêt usuriers

Le 11 avril 2019, le tribunal de commerce de Meaux (Seine-et-Marne) a enregistré un protocole de conciliation conclu entre les deux parties le 3 avril.

Dans un document publié le 15 du même mois, Conforama présente les modalités de cet apport supplémentaire de 316 millions d’euros par ses créanciers. D’une durée de quatre ans, le prêt est assorti de taux d’intérêt usuriers pouvant dépasser les 10 à 12 %. Mais, surtout, le montage retenu consacre une prise de pouvoir des créanciers et va leur permettre de faire main basse sur les actifs du détaillant de meubles.

Le protocole prévoit en effet que leur soit octroyé « un privilège » de paiement dit « new money ».

Cette disposition permet à ses bénéficiaires d’accéder à un rang privilégié pour le remboursement de créance, juste derrière celui détenu par les salariés, toujours prioritaires en cas de liquidation judiciaire, par exemple.

Pour Conforama, ce privilège a été complété par la création de « fiducies de sûreté ». Ces contrats permettent de transférer la propriété d’un bien aux créanciers qui devront le restituer quand le débiteur aura remboursé sa dette.

Dans le cas où ce dernier n’y parvient pas, les créanciers empochent la mise.

Dans le cas de Conforama, des documents que nous avons pu consulter font apparaître que 85 actifs dont 71 magasins ont été placés sous fiducie. Curieusement dépréciée comptablement il y a peu, la valeur réelle de ces biens immobiliers atteindrait entre 650 et 700 millions d’euros, soit plus du double des 316 millions prêtés.

Les créanciers, selon nos informations, neuf fonds spéculatifs (Attestor, Baupost, Centerbridge, Davidson Kempner, Farrallon, KKR, Monarch, Oz Management et Silver Point), ont donc tout intérêt à ce que Conforama ne respecte pas ses obligations.

Or celles-ci sont draconiennes, non seulement le groupe doit rembourser mais il doit aussi améliorer ses ratios financiers dans des proportions importantes. Le document publié par Conforama le 15 avril dernier fixe par exemple pour objectifs de faire passer l’Ebitda (excédent brut d’exploitation) de 54 millions d’euros en 2018 à 221 millions d’euros en 2021 et la trésorerie de – 196,9 millions d’euros en 2018 à 129,9 millions en 2021.

Selon nos informations, des objectifs intermédiaires, parfois trimestriels, ont été fixés pour les exercices 2019 et 2020. S’ils ne sont pas atteints, ils entraîneront la spoliation immédiate du groupe par ses créanciers. « On voit mal comment Conforama peut tenir ses engagements, surtout en commençant par céder les filiales rentables d’Espagne et du Portugal », commente notre source. Lesdites filiales généraient en effet 450 millions de chiffre d’affaires, soit 11 % de celui du groupe, et contribuaient à limiter son déficit.

[…]

Pourquoi Conforama a-t-il accepté un protocole de conciliation aussi défavorable ?

La réponse est à chercher du côté de son propriétaire, le groupe sud-africain Steinhoff. Depuis décembre 2017, la multinationale est au cœur d’un gigantesque scandale financier. Ses anciens dirigeants sont accusés d’avoir falsifié les comptes à très grande échelle.

Selon une enquête interne réalisée par le cabinet PwC, la fraude aurait gonflé artificiellement de 6,5 milliards d’euros les bénéfices du groupe. Après audit, le montant des actifs du groupe a été divisé par deux, à 16,4 milliards d’euros, les fonds propres ont reculé de 15 milliards d’euros, à seulement 641 millions d’euros fin 2018.

La valeur en Bourse de Steinhoff a reculé de 14 milliards, avant la crise, à 490 millions d’euros. Quant à l’endettement, il atteignait plus de 10 milliards d’euros en 2017 dont 8,5 milliards d’euros en Europe.

« Steinhoff est en situation de faillite. Le groupe est pris à la gorge par ses créanciers et n’a pas vraiment d’autre choix que de leur céder », commente notre source.

[…]

L’importance du scandale financier Steinhoff tranche avec l’inaction du gouvernement. Après les révélations du Parisien, la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, avait assuré qu’elle attendait avec Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des réponses claires sur la stratégie de restructuration.

Étonnante déclaration alors que le comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri), placé sous l’autorité de Bercy, a validé le montage par lequel les créanciers sont en train de spolier Conforama. […] « 9 000 emplois menacés, un scandale financier d’ampleur internationale, et le gouvernement reste l’arme au pied. »


Pierre-Henri Lab. Titre original : « Révélation. Conforama : un hold-up à 700 millions d’euros ». Source (extrait)

4 réflexions sur “Le gibier : « Conforama » et les créanciers vautours !

  1. bernarddominik 09/09/2019 / 7h54

    Ce sont essentiellement des fonds américains, leur pouvoir en France est considérable, ils ont le soutien du gouvernement américain, ils font la loi dans le monde entier. La France n’a pas les moyens de s’y opposer car ils contrôlent les principaux leviers de la finance dont ceux des fonds de retraite anglo saxons. Conforama n’a rien de stratégique, donc l’état préfère peut être une faillite qu’une injection de fonds risquée.

  2. fanfan la rêveuse 09/09/2019 / 10h39

    Réflexion :
    L’état doit-il et peut-il intervenir dans tout ces cas
    Doit-il et peut-il injecter l’argent du contribuable à tour de bras
    N’est-ce-pas au propriétaire de cet enseigne de mettre tout en oeuvre pour sortir de sa faillite, d’autant qu’il semble ne pas être un très bon gestionnaire…
    Finalement ne demande t’on pas à l’état d’être un messie.

    • Libres jugements 09/09/2019 / 17h29

      Bonjour Françoise,

      Comme toujours la réponse ne peut pas être simple en la matière.
      Il existe un système de société où l’État est propriétaire de la totalité de ce qui est cultivé, fabriquer et vendu; c’est la société collectiviste. Elle a existé pendant plusieurs années dans les républiques socialistes soviétiques. Elle avait l’avantage de produire le stricte besoin en consommation quotidienne, le matériel et matériaux nécessaire à la vie de toute la population. Elle présentait pourtant un gros défaut celui de ne présenter qu’un catalogue de produit et fabrication unique et de nécessité absolue. Apparemment tout le monde mangeait à sa faim mais la diversité de l’offre n’était pas au rendez-vous et les rayonnages des magasins n’offraient aucun attrait a l’inverse de ce que présentait l’Occident capitaliste.

      La société de consommation de l’Occident capitaliste, offre une multitude de produits, de servitudes, que l’on peut acquérir à différentes couts et dans différentes conditions. Toutefois
      la multiplication d’enseignes vendant à bas prix des importations de pays où la main-d’œuvre ne coûte pratiquement rien, permet à des entreprises de bénéficier de rentabilités exorbitantes et offre la possibilité d’ouverture de multiples succursales. Cela pose le problème de rentabilité de l’ensemble. D’autre part pour faire fonctionner de telles succursales il faut non seulement payer les infrastructures mais aussi le personnel. Le plus souvent ces entreprises se multipliant dans les zones d’activités commerciales le mètre carré est relativement bon marché, les maires, intercommunalités, conseillers territoriaux ou conseillers régionaux, voire les députés locaux, s’empressent de pourvoir en subventions ces entreprises, sous prétexte qu’une fois en place et aidées, elles permettront de résoudre le problème rural du chômage.

      La plupart de ces entreprise ferment dès qu’elles ne bénéficient plus des subventions diverses et qu’importe si le personnel est licencié et ne retrouve pas rapidement un emploi.
      Pour pallier à une fermeture bon nombre d’entreprises ne trouvant plus de ressources financières auprès des banques, se tournent vers des fonds de pensions américain ou anglo-saxon qui deviennent les maîtres (et leurs bourreaux) et pour rentabiliser leur mise de fonds, utilise la méthode de la revente par découpes systématiques de leurs achats. C’est le cas typique qui menèrent nombre d’entreprises a disparaitre sous leur forme première : Conforama, Fnac, Tati, La Redoute, Les trois Suisses, etc.

      En vous remerciant Françoise, de tous les commentaires avisés, en vous souhaitant à vous et votre famille une bonne continuation.
      Michel

      • fanfan la rêveuse 10/09/2019 / 7h59

        Bonjour Michel,
        Tout d’abord merci pour votre explication détaillée.
        En vous lisant, et en pensant ainsi, je comprend que sortir de ce fonctionnement ne sera pas simple. Pour autant, si je ne me trompe, la responsabilité est au propriétaire car il en veut toujours plus, cela lui jouant un mauvais tour…
        Il faut donc rectifier le mode de pensée et de fonctionnement.
        Belle journée à vous ! 🙂

Les commentaires sont fermés.