Décortiquons le « projet » Delevoye – 2

Des pensions soumises à des contraintes budgétaires de fer, un âge de départ réel sans cesse reporté… Le projet de retraite par points dévoilé jeudi par Jean-Paul Delevoye est synonyme de régression des droits sous couvert d’unification des régimes.

Un système à points applicable aux personnes nées à partir de 1963 et se trouvant à plus de cinq ans de la retraite, et dont l’âge pour bénéficier du taux plein sera fixé dans un premier temps à 64 ans… Dans le rapport qu’il a rendu ce jeudi à Édouard Philippe, le haut-commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, préconise un bouleversement complet des règles du système de retraites.

Si certaines règles communes vont être maintenues, au moins en apparence, dans le passage d’un système à l’autre, comme le maintien dans la loi de la référence à l’âge légal de départ à 62 ans, les repères collectifs tels que la durée de cotisation (166 trimestres aujourd’hui, soit 41,5 ans, avec un objectif de 172 trimestres, c’est-à-dire 43 ans en 2035) ou l’âge du taux plein pour tous à 67 ans, seront rayés de la carte au profit d’un compte unique en points, sur le modèle de la retraite complémentaire Agirc-Arrco. Celle-ci, comme la quarantaine de régimes de retraite existants, sera intégrée au régime universel, aux règles uniformisées.

Pour Jean-Paul Delevoye et ses équipes, cette réforme serait l’occasion de mettre en place un système « offrant la possibilité de choisir la date de son départ en fonction de son niveau de retraite, la notion de durée d’assurance s’effaçant derrière celle de points acquis ». Derrière cette simplification aux allures de justice, c’est une autre réalité qui se dessine.

1 La retraite repoussée à 64 ans… en attendant pire

Le 23 janvier dernier, Jean-Paul Delevoye avait promis : « Il n’y aura pas de décote, nous laissons la liberté de choix de partir à 62 ans. » Moins de six mois plus tard, c’est une autre musique : les assurés qui décideront de prendre leur retraite à l’âge légal pourront toujours le faire… mais ils en subiront les conséquences financièrement. Leur pension sera diminuée de 10 % à 62 ans et de 5 % s’ils partent un an plus tard.

En cause : la fixation d’un âge du taux plein à 64 ans (c’est-à-dire sans décote, ni surcote), qui « est celui qui permet de garantir et de maintenir constant le rendement d’équilibre du système », explique le rapport. Les assurés seront donc incités à repousser leur retraite pour maintenir le système à flot, à défaut de lui consacrer plus de recettes.

Plus grave : dans le nouveau système, « l’âge du taux plein sera un levier de pilotage du système de retraite », est-il précisé. En clair, l’âge de départ devient une variable d’ajustement du système. « Cet âge avancera plus ou moins rapidement, voire stagnera », selon l’espérance de vie. La règle serait la suivante : affecter les deux tiers de tout gain futur d’espérance de vie à la durée du travail. Pour Régis Mezzasalma, conseiller confédéral CGT sur les retraites, « dire que l’on maintient la retraite à 62 ans, alors que l’on prévoit simultanément un âge du taux plein qui évolue avec l’espérance de vie, c’est une fumisterie ».

2 Un corset budgétaire : la « règle d’or »

La « règle d’or » du système est celle qui détermine toutes les autres. Dans le système Delevoye, cette règle est celle du respect impérieux de la « trajectoire financière du système de retraite » et de son « équilibre » budgétaire. « Cette règle d’or devra garantir un solde cumulé positif ou nul par périodes de cinq années », stipule le rapport. Comme on reste dans une enveloppe constante (13,8 % du PIB au mieux à l’horizon 2070, selon le Conseil d’orientation des retraites), la seule variable sera inéluctablement la baisse des pensions. « À partir du moment où le nombre de retraités augmente, cela signifie moins de pension par tête », souligne Régis Mezzasalma.

Première conséquence de ce corset budgétaire de la « règle d’or » : le système actuel des retraites devra être ramené « à l’équilibre en 2025 », avant le passage au nouveau système. Problème : à ce jour, les prévisions montrent que « le système actuel connaîtrait un solde négatif compris entre 0,3 et 0,6 % du PIB à l’horizon 2025 », précise le rapport, qui appelle à inscrire dans le projet de loi de réforme, attendu en 2020, des « modalités de convergence vers l’équilibre financier en 2025 ».

Pas besoin d’être grand clerc pour savoir ce que cela signifie : les mesures « paramétriques » d’austérité, que le gouvernement entendait mettre en œuvre dès l’an prochain pour faire des économies, comme l’accélération de l’allongement de la durée de cotisation, n’ont pas été abandonnées. Elles sont simplement reportées de quelques mois, dans l’attente d’un moment plus propice.

3 Niveau des pensions : des garanties en toc

Jean-Paul Delevoye se targue d’en finir avec l’indexation des pensions sur l’inflation au lieu des salaires, à l’origine de leur décrochage des revenus d’activité, lesquels augmentent plus rapidement que les retraites. L’intention est louable. Mais à y regarder précisément, la règle proposée n’est pas si simple. Ainsi « les retraites continueront d’être revalorisées sur l’inflation », précise le rapport, qui ajoute ceci : « Les partenaires sociaux (…) auront la possibilité de se prononcer sur une éventuelle revalorisation des retraites en fonction de l’évolution des salaires. »

Celle-ci n’aura rien d’automatique : elle dépendra de l’appréciation de « la situation économique du pays ».

Les inégalités ne seront pas en reste, en dépit de l’insistance du rapport sur les nouvelles modalités de solidarité prévues, comme la bonification de 5 % à répartir entre les parents dès le premier enfant (contre 10 % à partir du 3e enfant aux deux parents aujourd’hui), ou la garantie pour le conjoint survivant d’une pension de réversion à hauteur de 70 % des revenus du couple. « Tous les correctifs que le haut-commissaire prétend apporter sont contredits par un système qui va refléter les inégalités de carrière et de salaire dans le calcul des pensions », basé sur l’intégralité des parcours professionnels et non plus sur les meilleures périodes, pointe Régis Mezzasalma.

Quant à la valeur du point au moment de liquider sa retraite, Jean-Paul Delevoye l’assure, elle ne pourra pas baisser, et sera revalorisée en suivant « l’évolution du revenu moyen par tête ». Des propos rassurants qu’il convient de relativiser, au regard des mécanismes d’ajustement sur l’âge du taux plein décrits plus hauts : cette variable sera en effet déterminante. Même si la valeur du point évolue avec les salaires, une pension pourra significativement baisser par le jeu de la décote associé au report de l’âge d’« équilibre » du système.

4 Fin du départ anticipé pour les métiers pénibles

L’unification des régimes entraînera aussi de lourdes conséquences sur les salariés des régimes spéciaux, notamment pour ceux qui avaient droit au départ anticipé : agents publics de « catégorie active », hospitaliers dont l’âge de la retraite est à 57 ans, égoutiers pouvant partir à 52 ou 57 ans, conducteurs de bus ou de train soumis à des règles spécifiques… « Dans le système universel, l’ensemble des droits à un départ anticipé au titre de la pénibilité devra être harmonisé », affirme le rapport. Dans ce cadre, « les dérogations des régimes spéciaux et de la fonction publique seront donc supprimées et les salariés de ces régimes se verront appliquer les mêmes règles que l’ensemble des autres salariés ». Une injustice difficile à digérer pour les intéressés.


Sébastien Crépel. Titre original : « Protection sociale. Les mauvais points du projet de réforme Delevoye ». Source


6 réflexions sur “Décortiquons le « projet » Delevoye – 2

  1. fanfan la rêveuse 21/07/2019 / 10h45

    Il est certain que lorsqu’on a des avantages comme de partir très tôt à la retraite, cette nouvelle loi va être difficile a digérer. Mais lorsque le système bat de l’aile, la solidarité ne doit elle être de mise ?

    Je vous avoue ne pas comprendre pourquoi et comment il a été possible de mettre en place tant de régimes. J’ai très souvent le sentiment qu’il n’y a pas une sorte de français mais une multitude…c’est cela l’égalité en France ? ! 🙁

    • Libres jugements 21/07/2019 / 12h58

      Bonjour Françoise,
      je vous fais ce jour une réponse rapide car il faudrait un certain temps pour remettre les choses en place revenir a la genèse . Vous dîtes que vous ne comprenez pas les différences « privilèges » selon les activités professionnelles liées à la retraite.
      Revenez historiquement à 1945 et aux fonctions professionnelles, aux conditions de travail, comme aux conditions d’embauche de l’époque. le travail à la mine, dans les aciéries, dans la conduite des locomotives à charbon de l’époque, dans les filières textiles, etc. comme également les conditions d’embauche de rétribution des employés des services étaient toutes autres et ont changé fort heureusement d’ailleurs dans les années 70-80.
      Certes il y a plus de mines, plus d’aciérie, mais il reste bon nombre de travaux pénibles et quoi qu’on puisse en dire le travail de nuit est plus contraignant que celui de jour même à salaire supérieur (lorsque c’est le cas et ce n’est pas toujours le cas) méritent aussi d’être considéré comme des possibilités de prendre sa retraite plus tôt que celle envisagée de 64 ans, voire beaucoup plus …
      Enfin pour en conclure il est faux de dire que le régime de retraite est déficitaire… s’il l’était, croyez-vous que les assurances-retraites s’en empareraient ?

      • tatchou92 21/07/2019 / 16h12

        CQFD !

      • fanfan la rêveuse 22/07/2019 / 7h15

        Bonjour Michel,
        Je sais que certains métiers étaient très pénibles, pour autant de nos jours ils le sont bien moins. Alors pourquoi garder, par exemple, la prime de chaussure des facteurs alors que de toute façon ils sont habillés par la Poste et ne vont plus à pied ? Un acquis d’antan n’est plus de rigueur de nos jours.

        Il y a encore des métiers pénibles, comme mon mari qui est maçon dans une toute petite entreprise, 64 ans ne le fais pas sourire du tout, encore 9 ans au lieu de 7 et croyez moi que cela va être bien difficile si cette loi passe. Le cas par cas sous Mr Hollande, si je ne me trompe, était une très bonne chose.

        Vous pensez donc que ceci est une excuse pour amoindrir le système de retraite puis mettre en place un complément retraite (assurance).
        Vous me dites que le système de retraite n’est pas déficitaire, d’accord je ne mets pas votre parole en doute. Mais alors, pourquoi personne ne se lève pour dénoncer cette manipulation ?

        Merci Michel pour votre partage très formateur, belle journée à vous !

        • Libres jugements 23/07/2019 / 10h55

          Bonjour Françoise,
          Vous avez parfaitement raison de signaler certains abus tels que celui que vous indiquer qui de nos jours n’a plus lieu d’être.
          Malheureusement chacun pourra trouver le privilège acquis dans l’ancienneté, lié à un emploi type, et en utilisant cet argument entendre dénoncer les « privilèges » d’une manière générale. Mais ce n’est pas parce que on prendra un exemple de mauvais plant, que la forêt ne doit plus exister.
          il y a encore des tailleurs de pierre, des maçons, des carriers, des gens qui travaillent dans certaines mines qui bien que n’étant plus de charbon apportent des problèmes lors de la vieillesse, il est impossible de nier toutes les maladies professionnelles liées à une activité spécifique ; demain, toutes ces personnes devront travailler autant que les ronds-de-cuir au nom de l’équité en nombre d’années de versement dédié à la cotisation salariale pour les retraites !
          Pas facile de juger, encore moins de prendre position lorsque nous ne détenons pas des chiffres exacts ni des projections dans le futur. Répétons simplement que s’il n’y avait pas rentabilité financière dans cette affaire, les assurantiels retraites ne seraient pas aux aguets des lois et décrets du gouvernement comme ils le sont.
          Vous souhaitant une très bonne journée malgré la chaleur ambiante.
          Michel

  2. jjbey 21/07/2019 / 18h47

    Tout ça pout piquer 19 milliards d’euros aux retraités. En faisant joujou avec l’égalité, le choix de se serrer la ceinture encore plus, …..On égalise par le bas, le montant des revenus de remplacement sera encore plus bas et pour avoir une retraite correcte il faudra prendre une assurance d’où cotisations supplémentaires et l’entrée des rapaces de la finance dans le système de protection sociale. Il y a du mouron à se faire si le jeunes ne font rien pour combattre ce système.

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