Almodóvar et l’histoire de l’Espagne.

Extrait très partiel d’une interview de Pedro Almodóvar au sujet documentaire d’Almudena Carracedo et Robert Bahar, Le Silence des autres, sorti récemment en France, que vous avez produit et qui semble avoir un point commun avec Douleur et Gloire [son dernier film].

Almodóvar : Ce film parle de la guerre d’Espagne de 1936 et des nombreux disparus de cette guerre que l’on recherche toujours, plus de quatre-vingts ans après les faits, parfois en vain parce qu’ils ont été enterrés dans des charniers qui étaient tenus secrets. Comme dans Douleur et Gloire, les fantômes du passé reviennent toujours…

La démocratie espagnole a une véritable dette morale vis-à-vis des familles des victimes de la guerre d’Espagne de 1936. Cette dette, il faut la payer maintenant. Il y a cent mille disparus ! L’Espagne est le deuxième pays, après le Cambodge, à avoir eu le plus grand nombre de disparus. C’est un chapitre cruel, sanglant de notre histoire qui n’a pas été refermé. La droite espagnole dit qu’il ne faut plus parler de cette période, qu’il ne faut pas ouvrir les fosses communes parce que ça va rouvrir des blessures, et je pense que c’est exactement le contraire. Les familles des victimes ont absolument besoin de retrouver le corps des victimes, et c’est urgent de le faire parce que cette génération-là, qui a connu cette guerre civile et ces personnes disparues, est aussi en train de disparaître.

Les gens qui sont nés en démocratie n’ont pas la mémoire de la guerre civile. Si on ne recherche pas ces victimes rapidement, elles vont toutes rester enterrées sous des autoroutes, comme c’est souvent le cas. C’est ce que nous réclament ces familles de victimes. Mais la génération suivante ne réclamera pas les corps, et la blessure de la guerre restera ouverte. Cette dette morale doit être payée AUJOURD’HUI. La démocratie espagnole sera incomplète tant qu’elle ne l’aura pas fait. Pour moi, ce n’est pas une question politique, mais une question d’humanité. Ces familles ont besoin, pour faire leur deuil, d’enterrer ces corps et de pouvoir aller porter des fleurs sur leur tombe. Parce que c’est ce que font les êtres humains pour faire leur deuil, surtout quand on a perdu quelqu’un de façon tragique. En Espagne, la réconciliation a été faite entre les deux camps de la guerre civile de 1936 au moment de l’adoption de la nouvelle constitution, en 1978. Mais la réparation n’a pas été faite, ou en tout cas n’est pas achevée.


Une interview signée de Jean-Baptiste Morain, pour Les Inrocks. Titre original : « Pedro Almodóvar : “Ce travail de détective de soi-même” » Source (extrait)


Une réflexion sur “Almodóvar et l’histoire de l’Espagne.

  1. jjbey 24/05/2019 / 23h33

    Franco vit toujours dans 317 rues d’Espagne, José Antonio Primo de Rivera en 373 , la réparation n’est toujours pas faite effectivement. Heureusement il n’y a plus de rue Pétain en France pas plus que de rue Mussolini ou Hitler….. »El pueblo, unido, jamas ser sera vincido », on peut toujours le crier mais il est toujours fécond le ventre d’où jaillit la bête immonde.

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