L’équité. Mot inconnu pour les futurs retraités.

Jusqu’ici, les réformes des retraites ont été menées au nom de l’équilibre financier. […] Qu’en est-il demain?

Piloté par un haut-commissariat dirigé par M. Jean-Paul Delevoye, le projet a pour objectif officiel de créer un système universel remplaçant les quarante-deux régimes actuels, et censé être plus juste, plus simple, plus lisible […]

Aujourd’hui, le système se compose de régimes de base en annuités et de régimes complémentaires à points (notamment l’Association pour le régime de retraite complémentaire (Arrco) pour tous les salariés et l’Association générale des institutions de retraite des cadres (Agirc) pour les seuls cadres). Ce sont des régimes par répartition : les cotisations des actifs servent directement à payer les pensions des retraités.

Une évidence toujours bonne à rappeler : Dans les régimes par capitalisation, elles alimentent des placements financiers dont le rendement futur (incertain) déterminera le montant de la pension. La capitalisation relève d’une logique d’assurance individuelle, aux antipodes de la solidarité qui est au fondement de la protection sociale française.

En effet, à l’âge de départ légal (62 ans actuellement), un régime en annuités garantit un taux de remplacement (rapport entre la pension et le salaire) pour une carrière complète définie par un nombre d’années cotisées (de quarante ans et quatre mois à quarante-trois ans selon la date de naissance) ; il donne donc une visibilité sur la future pension.

Dans un régime à points — l’option choisie par le gouvernement, d’après les documents rendus publics —, les cotisations servent à acheter des points tout au long de la vie active. Au moment de la retraite, le montant de la pension est calculé en multipliant le nombre de points acquis par ce qu’on appelle la « valeur de service ». Cette dernière (tout comme le prix d’achat) sont ajustés chaque année par les gestionnaires des caisses de retraite de manière à équilibrer les finances. Il n’y a ni taux de remplacement garanti ni notion de carrière complète, donc pas de visibilité sur la pension.

Laquelle reflète au plus près la somme des cotisations versées au cours de la carrière : elle renforce la « contributivité » du système. En revanche, la part de solidarité (attribuée sans contrepartie de cotisations) est fort réduite.

La logique de contributivité s’oppose à la logique de solidarité et de justice sociale, qui implique une redistribution envers les personnes qui n’ont pu acquérir que peu de droits à une pension.

Une autre option (qui avait la préférence du président) avait été envisagée au départ : le régime en comptes notionnels, comme en Suède. Les cotisations sont versées sur un compte individuel. Au moment du départ, le montant accumulé est revalorisé (selon le taux de croissance du revenu d’activité moyen), puis il est divisé par l’espérance de vie restante en théorie, qui varie selon la classe d’âge.

Concrètement, des personnes partant à 65 ans et appartenant à une classe d’âge dont l’espérance de vie estimée est de vingt ans verront le montant de leurs droits acquis (et donc le niveau de leur pension annuelle) divisé par vingt ; si elle est de vingt-cinq ans, il sera divisé par vingt-cinq, etc. Plus l’espérance de vie est élevée, plus la pension sera faible. La somme des pensions perçues pendant la retraite s’approche ainsi encore plus de la somme des cotisations versées, donc d’une pure contributivité.

Cette option semblait écartée. Toutefois, le document de travail de février du haut-commissariat sur les « règles de pilotage du système universel » indique que « la prise en compte de l’espérance de vie est nécessaire », tandis que M. Delevoye déclare que la valeur du point intégrera l’espérance de vie (2).

Théoriquement, les femmes, qui vivent en moyenne plus longtemps, ne devraient pas être pénalisées : les directives européennes interdisent toute discrimination en fonction du sexe. Mais il se trouve que de nombreux individus ne respectent pas l’espérance de vie théorique de leur classe d’âge !

Ainsi, les ouvriers meurent en moyenne six ans plus tôt que les cadres. Le niveau de revenu joue également un rôle : les 5 % les plus aisés ont une espérance de vie supérieure de treize ans à celle des 5 % les plus pauvres chez les hommes, et de huit ans chez les femmes (3).

Si le calcul du point intègre aussi l’espérance de vie, le système opérera une forte redistribution des ouvriers vers les cadres, et des bas revenus vers les hauts revenus.

Contrairement à ce qui est promis, un euro cotisé ne donnera pas « les mêmes droits », puisque ceux-ci dépendront de l’année de naissance et de l’âge de départ.

De plus, avec ce système, le calcul de la pension prend en compte l’ensemble de la carrière, et non plus les vingt-cinq meilleures années de salaire comme c’est le cas aujourd’hui dans le régime général, ou les six derniers mois, comme dans la fonction publique. Toute période non travaillée entraîne donc une réduction de la future pension. Les personnes ayant eu des périodes de chômage non indemnisé ou de temps partiel, des carrières courtes, des bas salaires sont mécaniquement pénalisées. Lors de la réforme de 1993, le calcul avait déjà été modifié pour prendre comme référence la moyenne des vingt-cinq meilleures années, au lieu des dix meilleures auparavant (une première étape vers plus de contributivité)

La réforme a abouti à une baisse importante du montant de la retraite, plus sévère encore pour les femmes, qui, du fait de carrières plus courtes, comptent davantage de mauvaises années. Pour les générations nées entre 1945 et 1954, la baisse de la pension de base a atteint 16 % pour les hommes et 20 % pour les femmes (4).[…]

[…] Le gouvernement a beau affirmer qu’il maintient le principe de la répartition, son plan intègre l’ouverture à la capitalisation. Sur la tranche de salaire mensuel supérieure à 10 000 euros brut (contre 27 016 euros actuellement), on ne cotisera plus dans le système commun ; ces hauts revenus devront souscrire une épargne retraite en placements financiers, qui donnera droit à des avantages fiscaux (payés donc par tous les contribuables, ainsi que le prévoit d’ores et déjà la loi Pacte adoptée le 11 avril dernier). Cette mesure est présentée comme un facteur de justice. […]

Quant à la prétendue liberté de choisir entre partir et continuer à travailler pour acquérir des points supplémentaires, elle se réduit à peu de choses lorsqu’on sait que la moitié seulement des personnes sont encore employées au moment de liquider leur retraite, et que l’usure professionnelle survient bien avant l’âge de départ dans de nombreux métiers. De plus, repousser le moment de s’arrêter pourrait s’avérer un mauvais calcul, car il n’y a pas de garantie que la valeur du point ne baisserait pas.

L’orientation vers un pilotage automatique pour équilibrer le système empêche tout débat sur les enjeux politiques de l’évolution des retraites. Fixer un plafond aux dépenses qui leur sont liées permet d’éviter la discussion pourtant essentielle sur le partage de la richesse produite entre revenus du travail (masse salariale incluant les cotisations) et revenus du capital (dont on sait qu’ils ne cessent d’augmenter). La seule solution mise aujourd’hui en avant consiste à arbitrer entre les intérêts de ceux qui travaillent et de ceux qui ont travaillé, entre population active et population retraitée…


Christiane Marty. Le Monde Diplomatique. Titre original : « au nom de l’équité d’avantages d’inégalités ». Source (extrait) nous vous recommandons la lecture complète de cet article fort intéressant au demeurant. MC


  1. Haut-commissariat à la réforme des retraites, dossier de presse, 10 octobre 2018.
  2. « Le grand entretien », France Inter, 21 mars 2019.
  3. Nathalie Blanpain, « L’espérance de vie par niveau de vie : chez les hommes, treize ans d’écart entre les plus aisés et les plus modestes », Insee Première, no 1687, Paris, 6 février 2018.
  4. Carole Bonnet, Sophie Buffeteau et Pascal Godefroy, « Disparité de retraite entre hommes et femmes : quelles évolutions au fil des générations ? », Économie et statistiques, no 398-399, Paris, 2006.
  5. Haut-commissariat à la réforme des retraites, dossier de presse, 10 octobre 2018.
  6. Chloé Duvivier, Joseph Lanfranchi et Mathieu Narcy, « Les sources de l’écart de rémunération entre femmes et hommes dans la fonction publique », Économie et statistiques, no 488-489, 2016.
  7. « Le grand entretien », France Inter, 11 octobre 2018.
  8. Ibid.
  9. « Tableau de l’économie française, Édition 2018 », Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), Montrouge, 27 février 2018.
  10. « Le grand entretien », France Inter, 21 mars 2019.

10 réflexions sur “L’équité. Mot inconnu pour les futurs retraités.

  1. fanfan la rêveuse 02/05/2019 / 7h01

    Bonjour Michel,
    Si je ne me trompe, ce système s’il se met en place va littéralement spolier les retraités, plus encore les plus vulnérables.
    Comment cela peut-il être, nous sommes en 2019 et non au moyen-âge…

    Bonne journée à vous ! 🙂

    • Libres jugements 02/05/2019 / 10h13

      Bonjour Françoise,
      La similitude que je vois entre le Moyen Âge (et ce que nous en avons appris dans les livres d’histoire de Michelet) correspondait à la fois aux seigneurs locaux ou de régions qui collectaient des impôts, réduisant leur subordonnés à la servitude.
      Dans l’actualité contemporaine, force est de constater que les seigneurs ont changé d’appellation avec la novlangue, ils sont devenus ministres, capitaines d’industrie, actionnaires-thesaurisants. Malheureusement leurs subordonnés (les salariès, ceux qui produisent leur richesse) restent toujours corvéables à merci et dans la servitude.

      En ce mois de mai fait ce qu’il te plaît dit le dicton, il ne m’empêche pas de vous souhaiter une bonne journée.
      Cordialement
      Michel

  2. bernarddominik 02/05/2019 / 8h50

    Pour un actif il est essentiel de savoir quel sera le montant de sa retraite.
    Il me paraît normal que ceux qui ont une espérance de vie plus longue travaillent plus longtemps, et dans la pratique c’est le cas pour les cadres du privé, la solidarité s’exerce à travers un minimum garanti, supprimer 42 caisses va entraîner des économies d’échelle, rendre plus facile la mobilité professionnelle (j’ai refusé un emploi au crédit agricole breton pour éviter une amputation de ma future retraite).
    D’autre part il supprimera les compensations entre caisses complexes et mal acceptées, et permettra une vrai égalité.
    Le système Arco-Agirc fonctionne très bien, la valeur du point de cotisation/pension a été régulièrement réévalué, ce qui a assuré des pensions stables en pouvoir d’achat, c’est en bloquant l’indexation pour éviter de tenir compte de l’espérance de vie que les gouvernements ont tenté de déstabiliser le système.

    Je rappelle que Agirc-Arco ont 71 milliards de réserve et sont, avec les nouvelles réformes, équilibrés

    • Libres jugements 02/05/2019 / 10h41

      Bonjour Bernard,
      Bien évidemment le pactole de 71 milliards, ne pouvait qu’attirer les convoitises de l’État et y voir un moyen de renflouer la sécurité sociale en incorporant le système de retraite Agirc-Arco à la SS.
      c’est ainsi que des personnes (qui comme moi) ont surcotiser un moment dans leur période active, donné les montants importants, pour acquérir une retraite un peu plus décente (à l’époque je cotisais au maximum de la possibilité, c’est-à-dire au taux de 18 % de mon salaire, une énorme ponction certes mais qui me garantissait un montant de retraite important – en tous cas beaucoup plus important que celui de la sécurité sociale de base … euh ! la suite m’a prouvé le contraire). En incorporant la totalité, y compris en normalisant par le bas les différents régime de retraite, en interdisant toutes réévaluations sur la progression du PIB annuel, en 20 ans, le montant de ma retraite a diminué de 38 % (a ce jour et ne sais ce qu’il en restera demain).
      Aussi Bernard me permettrez-vous de ne pas être du tout d’accord avec le nivellement par le bas de toutes les caisses, d’autant qu’il est faux de dire (d’ailleurs comme vous l’avez souligné dans un autre commentaire) que le système actuel de retraite est déficitaire et le sera d’autant plus avec les années à venir. C’est là un faux bien entretenu asséné a longueur de médias, pour convaincre les salariés qu’il faut faire disparaître l’ensemble de la sécurité sociale – je dis bien l’ensemble de la sécurité sociale qui comprend rappelons le : le handicap, les accidentés du travail, la maladie-soins-Hôpitaux, la dépendance, les retraites.
      La solution préconisée par le gouvernement après la destruction de la sécurité sociale n’est que de s’ouvrir au marché assurantiel privé, dont on voit relater dans différents feuilletons américains, tout comme dans différents reportages, les limites et contraintes des « couvertures » qu’ils assurent … ou plutôt qu’ils n’assurent pas, quant aux montants des retraites rappelons qu’ils sont transformé en fonds de pensions, présents en bourses avec l’énorme risques d’un krach, et de se retrouver sans aucune retraite.
      Très cordialement
      Michel

  3. jjbey 02/05/2019 / 9h31

    Le but final c’est 19 milliards d’économies sur le dos des retraités, pas de divergences là dessus.
    Le système utilisé importe peu que l’objectif soit atteint …

  4. bernarddominik 02/05/2019 / 12h24

    Je ne dis pas que les regimes Arco agirc sont en déficit, mon syndicat me donne tous les ans un état de ces régime. Ce que je dis c’est qu’on ne peut pas raisonnablement ne pas tenir compte de l’espérance de vie dans la définition de l’âge de départ à la retraite. Et le choix agirc Arco a été de minorer les pensions de ceux qui prennent leur retraite avant 65 ans. Une façon de ne pas mécontenter certains syndicats. Il y a 2 façons de voir les retraites par répartition, soit il s’agit d’un système mutuel où les cotisations ouvrent des droits proportionnels, ou c’est une prestation sociale et les cotisations sont une ponction supplémentaire. Dans le premier cas le social est à la charge de la collectivité puisque votre retraite dépendra des cotisations, dans le second le social et les privilèges sont payés par les prélèvements sociaux, et les prélèvements pour la retraite sont en fait a la main de l’état, donc sans justice lien direct avec les prélèvements, ce ne sont plus des cotisations.

    • Libres jugements 02/05/2019 / 12h41

      Bernard assuré moi d’une chose
      A l’origine, la sécurité sociale Ambroise Croizat avait bien conçu la sécurité sociale avec une caisse à part de l’État géré conjointement par le patronat et les syndicats.
      Dites-moi les raisons qui ont fait que cette caisse indépendante à l’origine a été intégrée dans le budget national de l’État ?

      Il est important de revenir à la genèse des événements pour expliquer les dérives successives, pour que chacune chacun possède tous les éléments de réflexion.
      En toute amitié
      Michel

  5. bernarddominik 02/05/2019 / 15h33

    Le système conçu par A Croizat reposait sur l’absence de dépassements d’honoraires, mais laissait une ouverture au privé avec le ticket modérateur. En autorisant les dépassements d’honoraires le gouvernement a entraîné la multiplicité des choix de complémentaires maladie et les a rendu plus rentables, du coup le privé s’est installé sur ce secteur. La retraite n’était qu’un volet complémentaire et en créant un plafond avec 2 niveaux de cotisation, la retraite faisait au maximum la moitié du plafond et fonctionnait comme les arrêts maladie. C’est un système tellement batard et compliqué (basé sur une nombre limité d’années et un nombre de trimestres avec un système de malus, le bonus a été créé par Sarkozy) que l’arco et l’agirc ont du être généralisées pour le privé, afin de permettre par une cotisation adéquate de recevoir une retraite correcte.
    Pour moi A Croizat est l’exemple type du haut fonctionnaire qui conçoit une usine à gaz soit disant universelle mais avec tant d’exceptions que ça n’a plus grand sens

  6. bernarddominik 02/05/2019 / 15h59

    Je répond plus précisément à la question. La gestion conjointe syndicats patronat n’est pas arrivée à un concensus face à l’augmentation des dépenses de santé. Ce qui a entraîné un déficit, garanti par l’état, et comme le déficit croissait malgré la CRDS , l’état a pris les choses en main. Quant au volet retraites, les compensations entre régimes, la réforme de Mitterrand (pour baisser le chômage) a entraîné une confusion entre traitement social du chômage et retraite, en faisant payer l’un par l’autre, les pré retraites généreuses (qui ont bien servi le patronat avec la bénédiction des syndicats) tout ça a perverti un système déjà conçu comme plus social qu’une assurance. Ce qui avait l’avantage de faire payer aux seuls salariés du privé le social. Aujourd’hui avec l’uberisation les travailleurs « indépendants » (oui je met des guillemets une indépendance bien factice) le gouvernement a pris conscience que le système risque de déraper, et la conséquence serait pire que les GJ. Et entre social et assurance mutuelle, il a choisi l’assurance mutuelle, il y aura surement un minimum vieillesse, mais c’est à la CSG d’assurer le social, les cotisations ce n’est pas un impôt ni une taxe.

    • Libres jugements 02/05/2019 / 17h37

      Merci Bernard pour ces réponses qui même un peu longues, correspondent à la réalité.
      Il n’est pas dans mon idée de créer une polémique.
      Pour ma part je resterai à une lecture simplifiée de la genèse de la sécurité sociale et si elle était restée dans sa conception, ne présenterait pas aujourd’hui de problème particulier – permettez-moi d’insister sur ce point – et ne nécessiterait pas un peu aujourd’hui et beaucoup demain au recours à l’assurantiel privé.
      Quant aux différents régimes de retraite, rappelons-nous deux choses; la première que les conditions de travail des salariés étaient bien différentes en 1945 (mineur de fond, aciéries, ouvriers du bâtiment, conducteurs de train à vapeur, etc.) ; la deuxième chose il a pris en compte de la pénibilité était bien réel et permettait à certains de prendre une retraite différenciée. Il est vrai qu’aujourd’hui, bien des tâches sont effectuées par des machines compensant une partie de la pénibilité mais que dire, comment quantifier la pénibilité des horaires tronçonnés, décalées, de nuit en ajoutant le problème des transports du à l’éloignement des lieux d’habitation pour des raisons financières.

      Alors comment terminer notre essai d’explications, Bernard, pour qu’il satisfasse au mieux, les questions que toutes personnes un peu curieuses, cherchera un jour ou l’autre la réponse, face aux déferlement des fausses infos sur la pérennité de la sécurité sociale qui (demain assurément) ne sera plus public par la volonté des financiers aux aguets.
      En toute amitié
      Michel

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