Il y a un an paraissait « le rapport Borloo »

 […] … les propositions chocs de l’ancien maire de Valenciennes pour relancer la politique de la ville  […]. Le président devait présenter ses conclusions en mai, nous avons à l’époque, enregistré avec quel mépris il avait rejeté ce rapport qui pourtant améliorait bien des relations avec les plus défavorisés.

Nous remettons à disposition ce texte qui nous semble d’une grande importance surtout dans les situations actuelles de conflit latent depuis plusieurs mois. MC

[…] Remis le 27avril 2018 à Édouard Philippe, le très attendu rapport Borloo sur la politique de la ville a déjà au moins atteint son premier but : remettre sur le devant de la scène le sort des quartiers populaires.

Chargé en novembre 2017 par Emmanuel Macron de proposer un plan de bataille pour les banlieues, […] Jean-Louis Borloo livre un document de 60 pages, « Vivre ensemble – Vivre en grand la République », où s’alignent des dizaines de propositions réparties en dix-neuf « programmes » thématiques.

Rénovation urbaine, éducation, mobilité, mixité, emploi… le rapport balaie large, oscillant entre une philosophie ambitieuse, un renforcement des moyens publics, souvent à rebours des choix gouvernementaux actuels, […].

Un rapport « diagnostic » sans concession

On ne peut pas reprocher  […] [Jean-Louis Borloo] de minorer le diagnostic sur ces 1.500 quartiers de la politique de la ville (QPV), dont 216 sont considérés en grande difficulté.

Dès les premières lignes, Jean-Louis Borloo dresse un bilan aussi lucide que terrible : « Près de six millions d’habitants vivent dans une forme de relégation, voire, parfois, d’amnésie de la nation réveillée de temps à autre par quelques faits divers ; un effort public en berne ; des maires de banlieue qui se battent en première ligne, qui craquent parfois et jettent l’éponge ; des agents publics et des bénévoles épuisés. »

Un constat résumé par une série de chiffres vertigineux, caractéristiques des inégalités qui gangrènent ces territoires où les communes ont, en moyenne, 30 % de capacités financières en moins. On y trouve trois fois plus de chômeurs. Moitié moins de pédiatres, dentistes et gynécologues. Deux fois moins de licenciés sportifs. Beaucoup moins de médiathèques, de bibliothèques, de crèches, de bureaux de poste…

« Les quartiers populaires, comme les zones rurales délaissées (…), ne demandent pas l’assistance, ni des financements exceptionnels, mais simplement le droit à l’égalité républicaine », martèle Jean-Louis Borloo.

[…] [Il] appelle à agir d’urgence : « Les valeurs républicaines ne peuvent pas progresser là où la promesse d’égalité n’est plus possible. La foi dans le système est fortement atteinte. »

Dix-neuf thématiques qui brassent large

Le rapport se décompose en 19 thématiques (« programmes »), indissociables les unes des autres, précise Jean-Louis Borloo, et qui constituent, selon lui, « un changement radical dans la conduite de l’action publique ». Un long chapitre est consacré à l’emploi.

  • Le rapport propose ainsi, en trois ans, de « doubler » le nombre d’apprentis et de jeunes en alternance, en mobilisant petites et grandes entreprises ainsi que le secteur public, qui devra recruter 50 000 apprentis dans les quartiers prioritaires.
  • Il préconise aussi de développer les emplois francs (proposés aux chômeurs de longue durée), de former et d’orienter 100 000 personnes vers le secteur du service à la personne, ou encore de déployer à titre provisoire 720 conseillers supplémentaires de Pôle emploi pour accompagner 150 000 demandeurs dans ces quartiers.

Autre gros morceau : la rénovation urbaine, « à l’arrêt depuis quatre ans », selon l’ancien ministre.

  • D’après lui, la réalisation des 400 projets actuellement en souffrance, et dont il demande la relance immédiate, permettrait la création de 40 000 emplois et des recettes pour l’État et les comptes publics.
  • Pour le financement, il propose la création d’un fonds de plus de 5 milliards d’euros abondé notamment par « la cession des participations de l’État en 2018 » (en clair, les 10 milliards de privatisations annoncés par le gouvernement).
  • Sur le plan social, le rapport propose de revaloriser le travail des 35 000 professionnels de l’action sociale, via des primes ou des promotions, de sécuriser le financement des 100 000 associations qui œuvrent dans ces quartiers ou encore de créer 200 maisons de santé supplémentaires.

Question éducation, l’ancien maire de Valenciennes plaide pour la création, dans les quartiers prioritaires,

  • de « cités éducatives » où, sous l’égide du principal de collège, seraient mis en réseaux écoles, associations, médiathèques, centres de loisir…
  • Autres mesures : le doublement du taux d’encadrement des élèves dans 8 000 classes de maternelle, ou encore le petit déjeuner et le déjeuner gratuits dans les écoles et collèges classés en éducation prioritaire.
  • D’autres points laissent plus sceptique. Comme la création de cette « académie des leaders », sorte d’ENA des banlieues où étudieraient 500 « jeunes filles et jeunes gens à très haut potentiel », recrutés à l’issue d’un concours et destinés à « fertiliser la haute fonction publique ».

La grande inconnue du financement

« Reste à savoir ce que le gouvernement va faire des préconisations Borloo », interroge Stéphane Troussel, président du département de la Seine-Saint-Denis, car le contenu de ce rapport, s’il est « positif », est « aussi malheureusement en totale contradiction avec toutes les décisions prises depuis un an par le président de la République et son gouvernement : baisse du nombre d’emplois aidés, baisse des subventions pour la politique de la ville, suppression des APL, affaiblissement des offices HLM, reports des calendriers », notamment sur le Grand Paris Express. « Un rapport, cela peut terminer à la corbeille de Matignon », prévenait, dès mercredi, Philippe Rio, maire de Grigny, qui attend de pied ferme le discours présidentiel sur le sujet annoncé pour le mois de mai. Nombreux sont ceux, parmi les élus, qui attendent les annonces budgétaires faites à cette occasion, échaudés par le dernier projet de la loi de finances.

Le grand discours d’Emmanuel Macron sur les quartiers populaires prononcé à Tourcoing, à la mi-novembre, n’a pas eu le moindre effet, quelques semaines plus tard, sur le vote du budget. Bien au contraire. Les amendements déposés pour accroître les crédits de la politique de la ville ont été rejetés. La baisse des APL (1,7 milliard) a été très douloureuse pour les bailleurs sociaux, qui sont des leviers d’action incontournables dans ces quartiers.

L’abattement de la taxe foncière sur les propriétés bâties dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville a été reconduit pour vingt-cinq ans, ce qui entraîne un manque à gagner pour les communes concernées. Cet abattement était jusqu’ici compensé par l’État, rappelle Jean-Louis Borloo. Ce n’est plus le cas. « Les villes qui ont le plus de logements sociaux sont donc pénalisées. C’est un manque à gagner très conséquent qui aggrave l’équilibre des finances locales de villes déjà fiscalement pauvres. »

Sans parler de la règle d’or imposée aux communes dont le budget dépasse 60 millions d’euros, tenues de ne pas dépasser 1,2 % de hausse de dépenses chaque année. Marc Vuillemot, maire de La Seyne-sur-Mer (Bouches-du-Rhône) et président de l’association Ville et Banlieue a annoncé qu’il refuserait d’appliquer cette mesure, votant un budget avec une augmentation de 1,4 %. Un acte de désobéissance qui n’a pas échappé à Jean-Louis Borloo.

Sur la question des moyens, son rapport n’est pas dénué d’ambition. Il suggère de « permettre aux villes classées en rénovation urbaine de pouvoir aller jusqu’à 2 % d’augmentation de dépenses par an sans inclure, dans l’augmentation, les dépenses liées aux programmes eux-mêmes ». Une mesure qui s’ajoute à la création d’un fonds d’urgence de 500 millions d’euros par an pour l’investissement ou d’une fondation pour relancer la rénovation urbaine, adossée à la Caisse des dépôts et des consignations. Il demande aussi la compensation de l’abattement sur la taxe foncière par l’État. Il faudra attendre le projet de loi de finances 2019, à l’automne prochain, pour voir si cet appel sera entendu. Le bruit médiatique autour du plan Borloo sera alors très loin…

Aux yeux de Stéphane Peu, député de Seine-Saint-Denis, département où 40 % de la population vivent dans un quartier prioritaire, le rapport Borloo n’est pas seulement une alerte, c’est un point d’appui politique. « Ce rapport, qui fait globalement consensus chez les élus des quartiers populaires, n’est pas une pétition de principe mais il est extrêmement précis, concret et chiffré. » Le président de la République, comme le gouvernement, va devoir se positionner sur ce plan qui représente environ 50 milliards d’euros, « soit la moitié de ce que va coûter au final le Cice ». […] … la mise en œuvre de ce plan Borloo « suppose une inversion à 180° de la politique qui est menée par le gouvernement depuis le mois de juin ».


Laurent Mouloud et Pierre Duquesne – Source (Extrait)


Peut-être qu’aujourd’hui, Jean-Louis Borloo morigène dans son coin : tu vois mec, peut-être que la « gronde » des gilets jaunes n’auraient pas eu lieu, si tu m’avais écouté… peut-être!

5 réflexions sur “Il y a un an paraissait « le rapport Borloo »

  1. jjbey 28/04/2019 / 10h51

    Le constat sans appel de Borloo et les financements préconisés pour remettre de l’ordre dans l’habitat populaire et faire cesser que sa population soit éternellement l’oubliée des financements a fini dans les oubliettes de la macronie. On voudrait mettre le feu que l’on ne s’y prendrait pas mieux……………….

    • Libres jugements 28/04/2019 / 14h08

      Bonjour Jean-Jacques.

      Je relève : « on voudrait mettre le feu qu’on ne s’y prendrait pas mieux… » n’est-ce pas ce qu’il a fait en esquivant toutes les questions/attentes incluses dans les cahiers de doléances, les maires en assemblée et dans les débats populaires, les gilets jaunes, et bien des salariés, dans son dernier discours/conférence de presse (en réalité une séance d’autosatisfaction d’un roitelet en perte de vitesse uniquement soutenue par les pouvoirs financiers).
      Posons-nous quand même la question de savoir ce que représente le manque de réaction de l’ensemble de la société littéralement floué par les annonces du locataire provisoire élyséen ; est-ce une démission totale (qui serait parfaitement étonnante), ou les prémices d’action beaucoup plus dure a venir … dont il Faudra craindre les débordements?

      Amitiés
      Michel

  2. bernarddominik 28/04/2019 / 17h20

    Ces anciens ministres qui donnent des conseils sur ce qu’eux mêmes n’ont pas fait me font bien rire. D’autant que ce Borloo là s’est bien gardé d’appliquer la loi qu’il a laissée à ses successeurs (Hollande et cie) sur la taxe carbone et les fameux portiques. Tout le monde sait donner des leçons…

    • Libres jugements 28/04/2019 / 19h26

      Permettez-moi Bernard de ne pas être d’accord avec votre analyse.
      Certes vous n’avez pas tort en disant que rien n’avait été fait pour les banlieues pendant plusieurs décennies; sur ce point je suis d’accord.
      Par contre lorsque Macron a demandé de faire un audit, d’élaborer un programme pour faire évoluer ces lieux où il est nécessaire de faire des efforts particuliers pour assurer à la fois une évolution de la société et permettre la sécurité, autant d’éléments contenus dans ce rapport, et que ledit commanditaire jette carrément à la poubelle des textes qui faisaient consensus, nous sommes en droit de nous poser la question de savoir, quelles étaient et qu’elles sont réellement encore aujourd’hui, les raisons cachées de cet abandon.

      En toute cordialité
      Michel

  3. bernarddominik 28/04/2019 / 19h01

    La Seyne sur Mer c’est dans le Var. Pour répondre à la problématique des maires, cela fait 30 ans que les municipalités investissent salles de spectacles, piscines, aires de jeux, ronds points, écoles, crèches, centres culturels, gymnases, stades…et depuis 30 ans les impôts locaux ont triplé. Toutes ces infrastructures demandent de l’entretien et du personnel. Il y a une véritable course aux équipements. Les revenus des communes augmentent plus vite que l’inflation car la valeur de l’immobilier est indexée sur un indice qui monte plus vite que l’inflation. Les maires veulent tous laisser leur nom à une réalisation prestigieuse, mais leurs équipements souvent ne servent qu’à une faible partie de la population.

Les commentaires sont fermés.