L’égalité hommes femmes selon Cécilia Garcia-Peñalosa

Quotas ou contraintes visant à pallier le manque d’opportunité des femmes dans de nombreux métiers n’ont pas toujours les effets escomptés.

Explications :

Depuis une vingtaine d’années, bien des mesures ont été déployées, en France comme dans beaucoup d’autres pays à haut revenu, afin de pallier le manque d’opportunités pour les femmes dans de nombreux métiers. Nous commençons à avoir suffisamment de recul pour pouvoir poser la question de leur efficacité. Parfois, la réponse est surprenante.

D’incontestables succès ont été obtenus. Un exemple connu est celui des grands orchestres américains qui, dans les années 1970, étaient presque exclusivement masculins, la proportion de femmes se situant autour de 12 %. L’un après l’autre, les orchestres ont commencé à mettre en place des auditions à l’aveugle dans lesquelles le juré était placé de l’autre côté d’un écran qui occultait l’identité du candidat ou de la candidate (aujourd’hui, parmi ces grands orchestres, seul celui de Cleveland n’utilise pas cette procédure). L’impact sur le recrutement de femmes a été immédiat et, en 2000, certains de ces orchestres avaient atteint 35 % de femmes musiciennes.

Pas de loi ou de contrainte externe, mais un simple changement de procédure choisi par les orchestres eux-mêmes, dont les répercussions se sont avérées majeures.

Ce type d’expérience a inspiré un nombre important de mesures visant à augmenter les opportunités pour les femmes. Malheureusement, elles peuvent être parfois contre-productives.

Considérons d’abord le cas des quotas, censés réduire la discrimination envers les femmes, dans les jurys de concours majoritairement masculins. Un premier effet négatif vient du fait que, dans les professions où les femmes sont peu nombreuses, la parité implique, de façon mécanique, que celles-ci y consacrent bien plus de temps que les hommes et, ce, au détriment d’autres activités. Or, en général, faire partie d’un comité n’est pas valorisé du point de vue de l’évolution de la carrière, ce qui pénalise les femmes à un stade avancé de leur vie professionnelle. Ces coûts pourraient être justifiés si la parité bénéficiait aux femmes plus jeunes.

Est-ce vraiment le cas ?

Une étude s’est focalisée sur les concours dans le système judiciaire en Espagne (notaires, juges, procureurs), en regardant la probabilité de réussite de 150 000 candidates et candidats entre 1987 et 2005. Chaque année, plusieurs jurys examinent les candidatures. Ces jurys sont hétérogènes dans leur composition, et la proportion de femmes qui y siègent varie, mais elle est souvent faible ou nulle. Les auteurs de l’étude s’attendaient à ce qu’une plus grande proportion de femmes dans les jurys ait pour effet une réduction de la discrimination envers les candidates et se traduise par une plus grande probabilité de réussite pour ces dernières. Les données montrent exactement l’effet contraire : un jury plus féminisé réduit le taux de réussite des candidates, car les femmes qui y siègent semblent être plus exigeantes avec les candidates qu’avec les candidats.

Beaucoup de professions qualifiées sont caractérisées par une période probatoire avant une titularisation ou une promotion. Cela concerne les associés des cabinets d’avocats, les internes en médecine, et, dans de nombreux pays, les jeunes professeurs des universités. Le faible taux de promotion et de titularisation des femmes dans ces métiers est souvent attribué au fait que ces périodes coïncident avec le moment de la maternité, et les femmes passent ainsi une partie de ces années précieuses à s’occuper de leurs bébés ou jeunes enfants.

Des politiques ont été adoptées dans certaines professions afinn de niveler les différences et de réduire les inégalités entre femmes et hommes. A titre d’exemple, en 2001, les universités américaines ont mis en place un système qui octroie une année supplémentaire par enfant, et, dans un souci d’égalité en matière de genre, ce délai est indifféremment accordé aux femmes et aux hommes. Contre toute attente, l’adoption d’une telle politique a considérablement réduit le taux de titularisation des femmes, qui est descendu de 22 %, tout en augmentant celui des hommes de 19 %. Plus précisément, les hommes utilisent cette période supplémentaire pour travailler davantage et publier plus, creusant ainsi l’écart en termes de publication avec les femmes et, par conséquent, l’écart en termes de titularisation.

Les quotas en politique sont souvent justifiés par le fait que les rôles modelés changent les attitudes et ouvrent des possibilités pour les générations qui suivent. Là encore, l’effet boomerang peut être important, renforçant des stéréotypes.

C’est le cas, par exemple, pour la gestion d’une mairie. La mauvaise gestion par un maire est attribuée à sa personnalité ou à son affiliation politique, celle d’une femme maire serait inhérente à sa condition de femme. En d’autres termes, les femmes ne seraient pas compétentes en politique.

En France, Quentin Lippmann, de l’École d’économie de Paris, a examiné les élections municipales de 2014. En regardant des listes électorales comparables du point de vue de la parité, il montre que la probabilité qu’une femme succède à une femme au poste de maire est plus faible que pour une femme d’être élue à la suite d’un homme.

Les stéréotypes semblent plus marqués quand une femme est au pouvoir. Peut-on conclure que les politiques en faveur des femmes sont contre-productives ? Pas nécessairement, eu égard aux exemples dont les effets positifs sont attestés. Mais la vigilance s’impose.

Légiférer sur des quotas ou prolonger la période probatoire d’un statut sans en considérer soigneusement l’ensemble des conséquences peut s’avérer dangereux. Les meilleures intentions en vue de réduire de manière significative les inégalités entre femmes et hommes peuvent parfois se retourner contre celles que l’on voudrait aider.


Cecilia Garcia-Peñalosa est économiste, directrice de recherche au CNRS, également directrice d’études à l’EHESS (chaire : genre, croissance et développement) et membre d’Aix-Marseille sciences économiques (AMSE) – Le Monde. Titre original : « Cecilia Garcia-Peñalosa Les mesures en faveur des femmes peuvent se retourner contre elles » Source (Extrait)


2 réflexions sur “L’égalité hommes femmes selon Cécilia Garcia-Peñalosa

  1. bernarddominik 11/03/2019 / 07:26

    Sans recrutement « à l’aveugle » les orchestres européens ont autant de femmes que d’hommes et dans des registres souvent surprenants. Ce qui montre que le talent se voit.

    Aux USA, les quotas ont eu des effets pervers et en France la parité dans les conseils municipaux a eu aussi des effets pervers.
    C’est le talent et l’engagement personnels qui doivent être le vrai moteur de la place des femmes, pas imposer une incompétente sous le seul prétexte de sa féminité.

    • Libres jugements 11/03/2019 / 14:38

      Merci pour votre commentaire Bernard.

      Toutefois il m’a fait un petit peu tiqué sur la dernière formule concernant le fait d’imposer une incompétente dans une organisation quelconque. J’aurais, à titre personnel, préférer entendre que les incompétents ne sont pas plus féminins que masculins à certains posts décisionnaires. Encore faut-il souvent clarifié le rôle que l’on fait jouer ou que l’on distribue aux incompétents de service placer la pour remplir une fonction bien spécifique ; je pense alors, à ces DRH n’ayant aucune connaissance de l’entreprise mais dans le la fonction est avant tout de ne faire aucun sentiment quelconque pour virer un quota de personnel assigné par la direction. Mais nous sommes là dans un autre débat.

      Quant au quota, il s’exprime (sans doute s’impose-t-il pour une question d’audience et par conséquent les revenus financiers publicitaires) le plus souvent dans des séries télévisées ou il faut à la fois : une personne de petite taille, un handicapé (ou un malade en phase terminale), un couple homosexuel (homme ou femme peut importe) avec adolescents de préférence s’opposant à cette parentalité, des personnes d’origines étrangères (aux États-Unis, latinos, noirs-africains, asiatiques) (en France, maghrébins, des dom-tom), etc.

      Bonne journée en tout cas.
      Fraternité
      Michel

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