Les « Gilets jaunes », et les sondages ?

Le succès d’une mobilisation se mesure d’abord à sa dimension, le nombre de grévistes ou de manifestants. Ensuite à son résultat, bien sûr, mais conditionné par ce qui précède. D’où l’importance des chiffrages et des querelles sur le nombre.

On devrait pourtant employer l’imparfait car si le succès d’une mobilisation se mesure toujours, il passe dorénavant sous la toise des sondages : combien de Français approuvent-ils ou non le mouvement ?

 […] Dans nos sociétés, la mesure exerce une fascination telle qu’on néglige d’en interroger le statut. […] De quoi craindre, du côté du pouvoir, une contagion ou une sanction électorale différée. […]

Ainsi, le mouvement des « gilets jaunes », avec ses formes inédites de contestation, a été immédiatement évalué au regard du nombre de ronds-points occupés, du nombre de personnes présentes sur ceux-ci et du nombre de manifestants les samedis ; ensuite seulement selon le soutien populaire mesuré par les sondages.

Secret de polichinelle : le soutien élevé de « l’opinion publique » a dans un premier temps largement motivé le recul très rapide de l’Elysée sur la taxation du diesel. Peut-être trop rapide pour ne pas encourager de nouvelles revendications — quand on sait que toute mobilisation rassemble en dépit des divergences.

On remarquera que le rôle des sondages n’a pas été évoqué par les protagonistes, ni par le gouvernement ni par les « gilets jaunes ». On pourrait penser que les bénéficiaires de ce soutien « populaire » s’en seraient vantés. Ils ne l’ont pas fait parce qu’ils se prévalaient d’un soutien concret, matérialisé par le rassemblement physique d’un peuple plus que par des pourcentages. La mystique d’un tel type de mobilisation spontanée et autonome n’est pas en affinité avec les principes d’une mesure rationnelle de l’opinion. […]

Comme le soutien massif du début, cette érosion est inscrite dans la fabrication de l’opinion publique. Combien parmi les sondés du début du mouvement soutenaient les gilets jaunes parce qu’ils étaient hostiles à l’augmentation des taxes sur le diesel — au passage il est difficile de se prononcer pour une augmentation fiscale ? combien étaient d’accord avec la dénonciation de la baisse du pouvoir d’achat ? combien hostiles au gouvernement ? combien hostiles aux élites ? etc.

Par contre, ils n’ont pas été consultés pour se prononcer en faveur du référendum d’initiative citoyenne (RIC) ou en faveur d’élections anticipées. Mais une fois lancée l’idée du RIC, combien pourraient lui être hostile de même qu’aux sujets qu’il s’agirait de traiter ? Les sondés sont après tout des internautes volontaires pour s’exprimer par sondage — et recevoir par là une modique gratification. En somme, la réponse est largement dans la question.

Ensuite, comme dans tout mouvement qui se prolonge, ce qui s’y passe a des effets sur la perception de ce mouvement. Dans une large mesure, « ce qui se passe » diffère selon que l’on s’attache à la violence de rue ou à la violence policière. Derrière ces luttes d’interprétation se joue la perception positive ou négative du mouvement. Jusqu’où peut-elle en déterminer l’issue ?

Mais si les sondages importent aux gilets jaunes, il ne faudrait pas oublier qu’ils peuvent importer aux sondeurs, dans la mesure où les perspectives institutionnelles trouveraient quelque traduction concrète… Il est alors intéressant de se demander les conséquences qu’auraient sur les sondages la mise en place de RIC . Ce serait assurément une bonne affaire pour les sondeurs qui trouveraient là de nouveaux terrains de promotion de leur entreprise : d’une part, la réalisation de sondages sur les sujets de référendum ; d’autre part, la réalisation de sondages sur les intentions de vote aux référendums.

Que de contrats en perspective ! Leur activité, rythmée par des élections trop rares, deviendrait alors une activité permanente. Autant d’occasions d’apparaître sur les plateaux de télévision et dans les colonnes des journaux !

Il y a certes un inconvénient symbolique dans l’adoption éventuelle du RIC : pourquoi pas en effet ne pas procéder plutôt par sondages, s’ils sont si exacts que les sondeurs le disent, et que les usagers le croient en leur prêtant crédit ? Ne seraient-il pas bien moins chers que des référendums ? Que leur manque-t-il ? Le rituel du vote sans doute (1). Les méfiances qui les entourent, assurément.


Alain Garrigou, Le monde Diplomatique. Titre original : « Les « gilets jaunes » à la mesure des sondages ». Source (Extrait)


(1) On peut ainsi lire sur le site de l’institut Elabe un article intitulé « Cliquer n’est pas voter » : « Si l’élu veut garder sa fonction d’arbitrage, s’il veut prouver son utilité comme gardien de la cohérence, si le parlementaire veut revivifier sa fonction représentative, il n’a pas d’autres choix que d’inventer de nouveaux mécanismes de décision politique. Le référendum à questions multiples peut évidemment y contribuer ; le referendum d’Initiative Citoyenne s’il est encadré pour ne pas remettre en cause les principes de la démocratie représentative peut aussi constituer une respiration démocratique entre deux scrutins. »


Les statistiques, c’est comme les bikini : ça donne des idées mais ça cache l’essentiel ».

Coluche

2 réflexions sur “Les « Gilets jaunes », et les sondages ?

  1. fanfan la rêveuse 10/03/2019 / 12h05

    Une réalité, on fait dire au sondage ce que l’on veut bien, puisse que la ou les question sont dirigés de par la personne qui les met en place, alors méfiance ! 🙁

    • Libres jugements 10/03/2019 / 17h17

      Bien évidemment, depuis que les sondages existent, les organisations de sondages et leurs commanditaires, font dire tout et son contraire, fonction des questions posées et des analyses « convenant » aux payeurs du questionnaire.

      Mais c’est mieux de pouvoir le démontrer.

      Fraternellement
      Michel

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