Aimer son corps, accepter ce qu’il représente.

Le milieu de la mode ne jure plus que par le body positivisme, coup marketing, bonne conscience ou lame de fond ?

“ […] Mes courbes, mes rondeurs… j’aime tout chez moi.” En 2015, la mannequin américaine – alors dite grande taille – Ashley Graham prononce ces mots lors d’un TEDx Talk qui sera vu près de trois millions de fois. Elle exprime ainsi sa mission : “Je suis une activiste du corps. Moi, ‘grande taille’ ? Je dirais plutôt que je suis à MA taille.”

En refusant fermement l’appellation classique (qui la différencierait donc d’une “vraie” mannequin), elle fait tant de vagues qu’elle atterrit dans une campagne Dolce & Gabbana, ou encore sur les couvertures de L’Officiel, Vogue, Glamour. Elle devient, en 2017, la première top model non maigrelette à grimper dans le palmarès des plus hauts salaires – et, en parallèle à cette gloire, va régulièrement donner des conférences féministes, notamment aux Nations Unies.

Que défend-elle exactement ? Non pas simplement la lutte contre la grossophobie (ou la discrimination des personnes en surpoids), mais une philosophie devenue aujourd’hui virale : le body positivisme.

Surnommée body-posi (une tendance clé pour 2019, selon le magazine Forbes), celle-ci vise tout simplement à célébrer tous les corps, sans hiérarchie. […]

La valse avec la mode

Depuis, le secteur de la sape et de la pop culture a sauté sur ce nouveau marché récemment apparu. Rihanna lance Fenty Beauty, une marque de cosmétiques qui s’adresse à toutes les teintes de peaux (aussi choquant que cela puisse paraître, personne ne l’avait fait avec cette ampleur avant elle). Puis elle surenchérit en lançant Savage x Fenty, une marque de lingerie pour tous les corps, âges et identités ; cette volonté de démultiplication des idéaux est déjà appelée en marketing le “Fenty Effect”. La top Winnie Harlow, atteinte du vitiligo, une maladie de peau, a fait la couverture de Elle et défilé pour Kenzo. Le Grazia anglais a dédié un numéro à des mannequins en situation de handicap en septembre 2018. Et Tommy Hilfiger collabore avec Chloe Ball-Hopkins, reporter à la BBC qui se déplace en fauteuil roulant, avec une salopette psychédélique que l’on peut enfiler sans se lever. […]

La continuation d’une histoire féministe

Le body-posi ne date pas de votre dernier like. Dès le milieu du XIXe siècle, des femmes se battent pour ne plus devoir porter un corset, remettant en cause l’inatteignable idéal féminin. Puis dans les années 1960, les écrits de l’auteur engagé Lew Louderback dénoncent la pression extrême autour du poids. Mais c’est en 1996 que deux activistes, Connie Sobczak et Elizabeth Scott, lancent l’organisation The Body Positive, dans le but d’“offrir une liberté hors des suffocants messages sociétaux qui enferment chacun dans un combat perpétuel contre son corps”.

Comment expliquer le retour en force de cette tendance aujourd’hui ? Qu’il s’agisse de […]la Women’s March ou du mouvement MeToo, le contexte est propice à une envie de solidarité et de changement. Alors que règne sur la première puissance mondiale un amerloque blond aux yeux bleus, bien né, raciste et inculte, comment ne pas chercher des représentations alternatives aux incarnations classiques du pouvoir ?

Aujourd’hui, une nouvelle génération 3.0 se fait connaître par ses photos sur Instagram, affichant fièrement ses différences. […]

Pourquoi cet engouement ? En se dépouillant partiellement de l’imaginaire normatif de la beauté, ces corps célèbrent des enveloppes dont les contours n’ont pas encore été markétés. Ici, on se met à poil (littéralement et métaphoriquement) avec fierté, et les frontières entre les âges, les ethnies et les genres ne seraient plus qu’un leurre. Là, les souffrances, échecs, aveux, hontes livrées sur les réseaux sociaux deviennent les antidotes d’une audience assoiffée de nouveaux idéaux.

[…] La philosophe Judith Butler élabore la notion de performativité plurielle. Soit une forme d’empowerment, d’auto-affirmation construite dans l’ombre des coutumes, qui passe par l’opposition aux représentations dominantes, pour promouvoir les représentations “maîtrisées”.

Pourtant, ces tournants identitaires sont imbriqués, comme rarement auparavant dans l’histoire du féminisme, dans le système capitaliste. […] Ces quelques corps-élites, étendards de ces causes, sont-ils aujourd’hui soumis à de nouvelles formes de hiérarchisation ? Policés pour mieux être dépolitisés ?

Pour Gabrielle Deydier, […] loin des paillettes, la réalité est bien différente : “Même si une marque communique sur ses grandes tailles, l’expérience en magasin est odieuse. On ne veut pas de la grosse lambda dans sa boutique. Ça fait tache. On nous décourage de tout achat ou on nous suggère de commander sur internet”, ajoute-t-elle.

[…] Misogynie, racisme, phobie du vieillissement : l’inclusivité pourrait-elle être un remède à ces maux ?


Alice Pfeiffer, Manon Renault – Les Inrocks – titre original : « Enquête sur le tournant inclusif de la mode ». Source (extrait)


Une réflexion sur “Aimer son corps, accepter ce qu’il représente.

  1. jjbey 03/03/2019 / 23h51

    XXXL, Renoir avait des modèles sympathiques, Twigy est morte de vouloir trop maigrir, le premier respect que l’on doit à l’être humain est de le prendre comme il est et de se respecter soi-même quelque soit ses propres dimensions. On se téléphone et on se fait une bouffe……

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