Le « cas » Vincent Lambert …

Vincent, devenu, bien malgré lui, l’enjeu d’une bataille judiciaire autour de l’acharnement thérapeutique.

10 ans et cinq mois ….

Le 29 septembre 2008, cet infirmier en psychiatrie est victime d’un grave accident de voiture qui le plonge dans un état pauci-relationnel puis végétatif. Il est alors marié à Rachel Lambert, elle-même infirmière, qui vient d’accoucher d’une petite fille. Lorsque Vincent Lambert se retrouve tétraplégique, François Lambert a 27 ans. Il n’a que quatre ans et demi de différence avec son jeune oncle.

À cette époque, l’étudiant en cinéma, passionné d’écriture de scénarios, est loin d’imaginer les répercussions de cet accident sur sa propre vie. Aujourd’hui, il est sur le point de devenir avocat et termine son dernier stage d’élève chez Me Chemla, à Reims, son propre avocat dans ce que l’on appelle communément « l’affaire Lambert ».

En six années de procédures, le sort de Vincent Lambert, âgé de 42 ans aujourd’hui, s’est figé, ballotté d’une décision médicale à une décision judiciaire. Malgré le souhait exprimé par Vincent oralement à son épouse de ne jamais être maintenu en vie à tout prix.

Nous retrouvons François Lambert un dimanche matin, place de la République, à Paris, muni de sa doudoune bleu électrique, immortalisée par des photos prises à la sortie de divers tribunaux. Depuis tout jeune, François Lambert s’est toujours senti en phase avec son jeune oncle, Vincent. Les deux nés à Châteauroux sont un peu sauvages et timides. Les deux étaient dotés du même esprit critique, avec un goût prononcé pour l’humour noir. Et il en fallait dans cette famille Lambert très atypique, voire névrotique.

Avant de devenir les parents de Vincent Lambert, Viviane Philippon et Pierre Lambert étaient mariés chacun de son côté et avaient respectivement trois et deux enfants. Viviane était la secrétaire de Pierre, gynécologue au centre hospitalier de Châteauroux et responsable départemental d’une ligue antiavortement.

Hors mariage, ils ont quatre enfants. Et décident seulement après la naissance du quatrième et dernier d’officialiser leur union. « Vincent était l’aîné de cette union cachée. Il a passé des années dans un pensionnat religieux géré par la Fraternité Saint-Pie-X. Ça l’a beaucoup meurtri. Il était à fleur de peau, comme moi. On se retrouvait bien dans notre sentiment latent de rébellion, plus caché chez lui que chez moi », lâche François Lambert.

Au tout début, François Lambert rend régulièrement visite à son oncle. « J’y allais toutes les semaines, je lui parlais, je lui faisais des massages. Je logeais chez Rachel ou chez la sœur de Vincent. J’avais l’impression qu’il avait des mouvements de tête. Il réagissait à des musiques ou à des bruits. Mais il fallait aussi éviter les surinterprétations. Après, j’y allais tous les mois, puis tous les trois mois. »

Entre 2008 et 2013, la famille Lambert fait face au drame, plutôt unie. François Lambert se souvient s’être retrouvé en 2009, avec la dizaine de frères et sœurs, les parents Viviane et Pierre, l’épouse Rachel au centre d’éveil de Berck-sur-Mer, pour fêter l’anniversaire de Pierre.

Les années passent et les experts testent le niveau de conscience du patient. Son état neurologique se dégrade. Il est « en état de conscience minimale plus », d’après le centre de recherche sur le coma de Liège en 2011, en état végétatif, d’après les experts nommés par le Conseil d’État en 2014. Même de longues séances d’orthophonie prodiguées en 2012 au CHU de Reims ne permettent pas d’entrer en relation avec lui. Les possibilités d’évolution neurologique sont faibles.

En face, les parents de Vincent croient au miracle dur comme fer. Peu à peu, la mort de Vincent devient taboue. Une décision médicale va durcir les positions. La famille se déchire.

 Le 10 avril 2013, l’équipe du Dr Kariger, avec l’accord de Rachel mais sans prévenir les parents, décide d’arrêter les traitements de Vincent. « En 2013, Kariger voulait associer les parents à la décision. Les médecins de son service, dont Daniéla Simon, ont débranché Vincent pendant qu’il était parti en week-end. Ils ont ainsi mis le pied à l’étrier des parents. Quoi qu’on pense d’eux, je ne trouve pas que ce soit une manière de faire », estime aujourd’hui François Lambert. Et, en effet, Viviane Lambert, soutenue par la Fraternité Saint-Pie-X et le mouvement des pro-vie, accuse aussitôt le médecin d’avoir voulu « tuer (son) fils dans (son) dos ».

« J’ai appris à parler, à expliquer l’affaire clairement et à ne pas être intimidé »

Vincent, cloué et impuissant, devient l’objet d’une lutte religieuse, menée avec ferveur par une mère aux origines modestes, devenue femme de pouvoir et égérie des militants pro-vie. « Au nom du doute et de l’apaisement, Viviane et Pierre se battent pour garder leur fils en vie, poursuit François Lambert. Mais c’est au contraire le mépris de la parole et le triomphe des non-dits. Avec Vincent, nous sommes le symptôme de nos parents. »

Le 16 mai 2013, lorsque François Lambert apprend l’offensive médiatique menée par les parents de Vincent sur RTL, son sang ne fait qu’un tour : « J’ai passé des heures avec les standards des radios et des journaux à essayer d’avoir accès aux journalistes pour contrer l’idée du “condamné à mort”. Je n’arrivais pas à faire passer un autre son de cloche pour remettre enfin Vincent et ses droits au centre des débats. J’étais bouleversé et confus. » Jusqu’à ce qu’un article du Monde explique que les avocats des parents de Vincent, Me Jérôme Triomphe et Me Jean Paillot, appartiennent respectivement à la mouvance Civitas, devenu parti politique d’extrême droite, et à l’Opus Dei, institution de l’Église catholique influente et secrète.

Leurs frais d’avocats allant jusqu’à 1 million d’euros, en partie financés par la Fondation Jérôme-Lejeune, très investie dans la lutte contre l’avortement. Ces éléments ont permis de porter un autre regard sur la croisade d’une partie de la famille pour garder Vincent Lambert en vie.

Depuis 2013, François Lambert, lui, n’a jamais plus couru après les médias. À chaque fois que l’affaire rebondit, ce sont eux qui le sollicitent. « J’ai appris à parler, à expliquer l’affaire clairement et à ne pas être intimidé. Heureusement que je faisais du théâtre… Je sais que les médias font et défont à leur guise », lance-t-il avec distance.

2013, c’est aussi l’année où basculent les projets professionnels du « neveu ». À force de lire les mémoires d’audience faits d’une cinquantaine de pages, François Lambert devient spécialiste de l’affaire et décide de se battre pour la dignité de son oncle. « Je ne supporte pas quand les gens avancent des points de vue sans les argumenter. Vincent était aussi comme ça… » Alors que l’idée est en germe depuis quelques années, il se décide à s’inscrire en droit par correspondance à l’université Panthéon Sorbonne. Il a 32 ans.

Malgré son aversion pour la chose « scolaire », il s’accroche et prouve, surtout lors des stages pratiques, ses compétences. « Avec moi, il faut juger sur pièce », s’amuse-t-il. Jusque-là au RSA, il obtient le barreau en 2017. En stage de fin d’études au tribunal administratif de Paris, puis depuis janvier dans un cabinet privé, François Lambert est sur le point de devenir avocat. Son souhait : « travailler dans un cabinet à taille humaine, traiter plutôt d’affaires qui m’intéressent, avec la distance professionnelle de l’avocat et la compréhension de celui qui est “passé par là” ».

Procédures contestant les décisions des différents médecins responsables de Vincent Lambert, procédures liées à la désignation d’un tuteur, procédures liées à la demande de transfert dans un autre établissement, procédures du neveu, procédures pénales des parents… Avec aisance et précision, François Lambert reprend le fil d’une longue histoire judiciaire dont on ne voit pas le bout.

« Les pro-vie parlent d’apaisement, c’est un langage piège. Car ils laissent sous-entendre que Rachel ou moi-même avons un projet de mort pour Vincent. Ce qui est faux. Pour ce qui est de la loi Leonetti, si elle est un instrument pour lutter contre l’euthanasie, elle n’en est pas un pour lutter contre l’acharnement thérapeutique. Or, c’est exactement de cela que souffre Vincent, d’un véritable acharnement. » François Lambert regrette la violence utilisée par Viviane contre Rachel. « Ils sont allés jusqu’à la faire suivre par un détective privé pour voir si elle n’avait pas un amant et ainsi l’accuser de vouloir se débarrasser de Vincent. Et après ils sont choqués parce que Rachel refuse de leur faire la bise… » relate-t-il.

En 2016, le juge des tutelles de Reims place Vincent Lambert sous la tutelle de son épouse, Rachel. En 2014 et 2015, le Conseil d’État puis la Cour européenne des droits de l’homme jugent finalement conforme à la loi le protocole de fin de vie mis en place pour Vincent Lambert. Le 9 avril 2018, le médecin de Vincent Lambert, le Dr Sanchez, se prononce pour la fin des traitements à l’issue de la quatrième procédure collégiale.

Puis les parents déposent à nouveau un recours. Quelques jours plus tard, sur la place Saint-Pierre au Vatican, le pape François affirme vouloir « attirer de nouveau l’attention sur Vincent Lambert et sur le petit Alfie Evans », un bébé britannique de 22 mois hospitalisé en état semi-végétatif. Ajoutant : « Je voulais répéter et confirmer de manière forte que le seul maître de la vie, du début jusqu’à la fin naturelle, est Dieu. Et notre devoir est de tout faire pour protéger la vie. » Le même pape qui a décidé de reconnaître sur certains points la Fraternité Saint-Pie-X, longtemps frappée d’excommunication par le Saint-Siège. C’est dire à quel point « l’affaire Vincent Lambert » a pris en otage l’homme Vincent Lambert.

« Le médecin finit toujours par décider ce qu’il fera de vous. Et il reste intouchable »

Très remonté aussi contre « l’opacité et la toute-puissance dont l’Ordre national des médecins a fait preuve dans cette affaire », François Lambert pointe le contrôle total sur le patient que « s’arrogent » les médecins. « Même avec une directive anticipée sur ce que l’on souhaite pour sa propre mort, le médecin finit toujours par décider ce qu’il fera de vous. Et il reste intouchable, sauf s’il décide d’arrêter des traitements, au nom du droit à la vie qui en devient une obligation, argumente François Lambert. C’est la même volonté d’opacité, de mépris des proches et de contrôle qui a déclenché l’affaire en 2013 et qui a décidé de la reprise de l’affaire en 2015, alors que, objectivement, tout avait été fait pour Vincent et qu’il n’y avait aucune raison pour que ça continue, sauf à se complaire dans le sordide pour ensuite s’en plaindre. »

Aujourd’hui, François Lambert espère simplement que « le cas de Vincent ne servira pas à rien, et que six ans de procédures du fait d’un statu quo et d’un consensus qui n’existe pas n’aboutissent pas à un nouveau statu quo au pseudo-motif que “c’est une affaire particulière”, que “c’est délicat” ou encore que “maintenant les choses sont claires”… ». Aujourd’hui, François Lambert, devenu son avocat de cœur, n’a qu’un souhait pour Vincent Lambert : « Qu’il puisse partir. »

Fidèle à son souci de transparence, le neveu de Vincent Lambert envoie à chaque fois, à tous les médias, l’intégralité de chaque décision judiciaire. Dernier en date : le jugement du tribunal administratif de Châlon-en-Champagne daté du 31 janvier, validant la procédure d’arrêt des soins. Dans son mail, François Lambert écrit ceci : « La requête des parents est rejetée, la décision d’arrêt des traitements est légale. Les frais d’expertise sont mis à la charge du CHU de Reims. Nous attendons maintenant que le Conseil d’État soit saisi, et qu’il se prononce, soit dans un bref délai, soit en plusieurs mois (selon les définitions qu’il choisira de donner aux notions d’humanisme et de défense des plus vulnérables). » À cela, et sans surprise, les avocats des parents de Vincent Lambert ont immédiatement annoncé un recours en appel au Conseil d’État. Jusqu’à quand ?


Ixchel Delaporte – Source


7 réflexions sur “Le « cas » Vincent Lambert …

  1. jjbey 19/02/2019 / 19h00

    La définition de la mort, du point de vue légal est claire et Vincent se trouve dans le cadre de cette définition. Ce qui lui arrive constitue un acharnement thérapeutique insoutenable et il faut toute l’énergie de parents aveuglés par leur chagrin autant que par des considérations religieuses que la société n’a pas à prendre en compte. Cette affaire constitue un bêtisier médical et judiciaire de premier plan et il convient de faire cesser cette palinodie crétino-chrétienne par le respect que l’on doit à tout être humain en arrêtant une vie qui n’existe déjà plus.

    • VITRINART 19/02/2019 / 19h24

      En total accord avec ce commentaire.

  2. fanfan la rêveuse 20/02/2019 / 7h18

    Bonjour Michel,
    Triste histoire, chaque point de vue est louable, seul une question n’est pas posée, qu’est-ce-qui est bien pour Vincent Lambert ?
    Voila pourquoi, fort de ce vécu, il faut se prémunir d’une telle circonstance et mettre sur papier sa volonté. Mais attention, il faut la remettre à jour tout les 3 ans.
    Souhaitons à ce monsieur que ce calvaire se termine…
    Bonne journée Michel ! 🙂

    • Libres jugements 20/02/2019 / 15h20

      Ce que vous suggérez Françoise est tout à fait vrai, toutefois je me pose une question : imaginons qu’au bout de trois ans au moment du renouvellement des souhaits, nous-vous soit diagnostiqué une maladie « dégénérante » intellectuellement (type Alzheimer par exemple), les volontés renouvelées ne sont telles pas dans ce cas là, contestable juridiquement ?

      Une autre question que je me pose au sujet de cette « affaire ». Elle est tout à fait terre-à-terre et de plus, moralement, intellectuellement déplorable, mais soyons cartésiens.
      Bien qu’il soit dit dans le reportage qu’une association assure une grande partie des frais juridiques, apparemment le CHU de Reims (mais c’est à vérifier) est dans l’obligation d’assurer les soins à sa charge (via la sécu je pense), je voudrais connaître le montant jusqu’à ce jour, de cette hospitalisation de 10 ans et cinq mois, comprenant l’occupation du personnel soignant, les différentes interventions, analyses, recherches, etc.

      Sans doute (et ce n’est qu’une supputation basée sur les montants facturés pour 4/5 jours d’hospitalisation, simplement de « Medecine générale ») serions-nous surpris d’apprendre que le montant total équivaudrait à une année de gestion entière de l’hôpital de Reims …
      Peut-être que mes interrogations choqueront lecteurs et lectrices, mais sont-elles plus choquantes que l’acharnement thérapeutique de ces « parents » …

      • fanfan la rêveuse 21/02/2019 / 11h52

        Bonjour Michel,
        Voila un judicieux questionnement !
        J’ai la réponse à votre questionnement Michel :

        http://www.oncolie.fr/wp-content/uploads/2010/05/Aspects-règlementaires-de-la-fin-de-vie-et-droits-des-patients.pdf

        Effectivement vos écrits peuvent choquer, mais votre analyse n’est pas fausse du tout, ce maintien de vie (10ans) a un coût financier. Est-ce bien raisonnable de maintenir cette vie végétative, le coût doit-être exorbitant…N’est-ce-pas alors égoïste de demander à la société entière de régler la note sachant combien notre système de sécurité social n’est pas en très bonne forme.
        Encore un sujet qui devrait être profondément revisité.

        A bientôt avec plaisir ! 🙂

        • Libres jugements 21/02/2019 / 18h10

          Bonjour Françoise,

          je connaissais l’article que vous citez.

          On voit bien qu’il y a tout un arsenal légale et juridique et nous pouvons le comprendre …. Sauf et le sauf est magistral.
          Sauf que dans le cas de Vincent Lambert … nous voyons bien que lorsqu’il y a d' »intérêts » cultuels et des possibilités financières, aucun texte n’est réellement applicable et appliquer.

          Certes nous ne reviendrons pas sur la discussion que nous avons eue, concernant la possibilité de mettre fin à sa vie à n’importe quel âge du moment que la volonté est exprimée. C’est le cas en Suisse et en Belgique et là, vraiment le trop est dépassé.

          Je reviens donc à ma question de base cartésienne et peut honorablement moralement, j’en convient : combien coûte à la sécurité sociale, 10 ans et cinq mois, un corps qui de toute façon n’a plus la vie. Dans cette histoire, ce qui m’agace le plus, c’est que parallèlement et dans le même temps on va dire à l’hôpital de Reims, de faire des économies.

          en vous souhaitant une bonne soirée malgré ce genre de discussion un peu morbide.

          Cordialement
          Michel

          • fanfan la rêveuse 21/02/2019 / 19h51

            C’est ainsi, nous ne pouvons rien y faire, depuis la nuit des temps, pouvoir, relation et argent facilite la vie .
            Je ne peux hélas répondre à votre questionnement, seule un employé de la sécurité sociale pourrait approximativement répondre.
            Merci Michel, c’est la vie, un sujet qui ne me dérange pas !
            Très bonne soirée à vous aussi 🙂

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