Le mal être des journalistes !

Sous-payés, précarisés, critiqués… Les journalistes sont de plus en plus nombreux à fuir une profession qui les malmène. Ils se reconvertissent.

Noter : l’article qui suit bien que traitant du métier de journaliste, de ses inconvénients actuels, il n’a rien de commun avec l’article concernant les éventuelles censures exercées par le gouvernement sur les médias. MC

Depuis l’aube, elle tourne autour de ce rond-point. Des heures que Julia* tend son stylo aux gens qui l’entourent. Note leurs histoires de vie et leurs galères. Elle a bien essuyé les remarques habituelles sur les médias « collabo » aux « mains des puissants ». Mais dans l’ensemble, rien de nouveau sous le jaune des gilets. Jusqu’à ce qu’en fin d’après-midi trois hommes l’interpellent. « Vous les journalistes, vous foutez rien. Vous êtes surpayés. Vous gagnez 3.000 euros, c’est pas comme nous. »

Lasse, la jeune reporter voit rouge. Leur rétorque qu’elle dégage difficilement 1.400 euros brut par mois pour des journées sans horaires. Qu’elle est là pour eux, pas pour elle. Bref, qu’elle ne se sent ni heureuse ni privilégiée de bosser douze heures d’affilée pour un salaire de misère.

« Ça m’a gonflée que les gens ne se rendent pas compte de ce que c’est d’être journaliste, peste Julia, 25 ans. T’as fait de longues études, t’es hyper mal payée, t’es traitée comme une merde par tes rédactions, t’as aucun droit social. » Mais plutôt qu’aux Gilets jaunes, c’est à la profession qu’elle en veut. « Ça a renforcé ma colère contre nos conditions de travail, on nous traite trop mal. » Depuis, Julia a rendu les gants. Sans regrets ni amertume. Elle n’en pouvait tout simplement plus.

Un quart des journalistes sont des chômeurs ou/et des pigistes.

Comme elle, ils sont de plus en plus nombreux à raccrocher. Une tendance qui se confirme depuis 2009 avec une baisse d’un peu plus de 6 % du nombre de cartes de presse délivrées. Parallèlement, la précarité augmente sensiblement et en 2017, plus d’un quart de la profession était chômeur ou pigiste. Le seuil de l’acceptable se situerait aux alentours des 30 ans, à un moment de la vie où l’on aspire à se poser et à arrêter d’enchaîner les contrats courts, quand contrat il y a.

Après quelques mois dans une rédaction nationale, Fabrice* a été contraint de piger pour un média dont il n’apprécie ni la ligne éditoriale ni la façon de fonctionner. « A 29 ans, quand tu dois retourner chez tes parents, que t’as jamais fait plus de 800 euros par mois, c’est compliqué, se souvient celui qui a quitté la profession après cinq ans d’exercice. J’étais épuisé par cette instabilité. » Lui était au desk (le journalisme de bureau – ndlr) pour un site d’informations où règnait « une ambiance d’ouvriers à la chaîne pour nourrir la bête, mal payés, avec des horaires de merde. »

Un CDI dans la com.

A l’issue de trois mois de CDD dans une radio, l’un des secteurs qui embauchent le moins, Julia part piger. « Je gagnais 73 euros brut par jour dans des rédactions qui ne t’appellent pas tout le temps parce qu’il y a des quotas, et où on te fait comprendre qu’il faut rester jusqu’à 22 heures parce que y en a mille derrière toi. C’est tellement ingrat. » Elle décide de bifurquer en presse quotidienne régionale, contrainte de rentrer chez sa mère en province. Elle enchaîne les petits contrats dans des locales éloignées. « Là, j’avais vraiment l’impression de ne valoir rien. » Après deux ans, elle pousse la porte de la communication. « J’ai beaucoup sacrifié pour le journalisme, et la com, c’est un peu le dark side. Mais bon en cinq jours, on me proposait un CDI dans des conditions royales. »

Du côté des écoles de journalisme, on distingue un nouveau motif de décrochage : une perte de sens. Ce qui a conduit Léo*, la petite trentaine, à rendre le micro qu’il tenait pour des antennes nationales. Pendant cinq ans, il couvre des évènements qui, selon lui, étaient dénués d’intérêt. Alors qu’il s’était engagé dans la profession pour la « recherche d’informations utiles à un public », il a l’impression de faire de la com. « J’ai cherché une cohérence qui pouvait coller à mon désir de transmission. Je suis devenu instituteur. Maintenant, je finis ma journée et j’ai l’impression d’avoir été utile pour 30 gamins et pas inutile pour 400 000 auditeurs. »

Dans une moindre mesure, c’est aussi ce qui a conduit Sébastien à quitter Libé où il bossait depuis quinze ans comme secrétaire de rédaction. « Mon boulot c’était de faire un journal qui boucle à 23 heures, je n’ai pas vraiment pris le virage numérique, raconte-t-il. J’ai connu la frustration du web. Editer au kilomètre des papiers peu lus, on y met moins de cœur. Peut-être moins de qualité. » Il profite d’un plan de départ pour se faire la belle et monter une fromagerie. « J’ai senti comment la presse allait évoluer. Moins de rédacteurs, plus de gens multitâches. »

Pour Laurent*, deux décennies chez BFM/RMC, c’est la qualité de l’information qui le pousse à rendre l’insigne. « Au fil du temps, ça devenait que du buzz. Je trouvais ça débile. » Pendant un temps, il assiste à des conférences de rédaction “d’un non-niveau de réflexion affligeant”. Il voit des patrons-businessmen n’ayant cure du contenu tant qu’il « rapporte du blé ». « Si ça marche, on ne se pose pas de questions, on laisse de côté l’analyse. En ce sens, on ne fait plus notre métier. »

Une hémorragie moins prononcée qu’en Espagne

Aucun ne pointe en revanche la défiance grandissante envers les médias comme une raison valable pour partir. « Ça, ça aurait été un échec, assure même l’un d’entre eux. Parce qu’expliquer aux gens, c’est le fond du boulot. » « On n’a pas assez de recul là-dessus, estime-t-on dans une école de journalisme où l’on prend néanmoins le sujet très au sérieux pour y préparer les élèves. On met des modules en place pour intégrer cette défiance à la pratique professionnelle. »

Par ailleurs, malgré la précarité et la perte de sens, l’hémorragie n’est pas si prononcée en France. En Espagne, par exemple, le recul du nombre de journalistes est de l’ordre de 30 %. Pis, dans un contexte économique et social compliqué, les écoles n’ont jamais enregistré autant de candidats aux concours. Même détesté et précarisé, le journalisme continuerait-il donc de faire (un peu) rêver ?

*Le prénom a été modifié.


Pierre Bafoil – Les Inrocks – Titre Original : « La Crise De Foi : Quand Les Journalistes Quittent Le Métier » – Source


 

2 réflexions sur “Le mal être des journalistes !

  1. bernarddominik 06/02/2019 / 11h36

    Les journaux bouclent leurs fins de mois grâce aux subventions. Les TV privées sont financées par le capital. Les journaux ne se vendent plus, on est à l’info instantanée sur le smartphone. Pas étonnant qu’être journalistes c’est galère quand on est pas intégré dans le vedettariat. Et puis les journaux ont perdu la confiance minés par les Barbier et autres vedettes

    • Libres jugements 06/02/2019 / 12h30

      Bonjour Bernard,
      vous avez en très grande partie raison de souligner que l’information se dicte dans les réseaux sociaux à commencer par les grands de ce monde qui tweete à « Tire-larigot » et dans le même temps elles veulent régenter/censurer également ce phénomène social que sont les « Facebook, Instagram, Twitter, etc.».
      Le grand malheur est que dans ce maelstrom d’informations, il devient de plus en plus difficile de distinguer la réalité toute nue de tout ce qui est travesti, déformé, interprété.

      Pour ma part je reste fidèle à quelques mensuelles et hebdomadaires, quant aux malheureux supports journaliers encore indépendant, c’est la sollicitation aux dons de leurs abonnés, aux subventions publiques, à la recherche de publicité, de rentabilité parfois ou tout au moins de couvrir leurs frais. Des dons sont absolument nécessaires, aussi bien à « La Croix » qu’à « l’Humanité » même si l’un comme l’autre, le public, la lectrice, le lecteur, leurs collent des accointances avec un parti politique ou un culte. Il en va de l’indépendance de l’information.
      Cordialement
      Michel

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