Elles racontent leur survie après Boko Haram

Otages de Boko Haram ou contraintes à l’exil par la secte islamiste, des femmes ont trouvé refuge à Maiduguri. Au nord-est du Nigeria, bien que stigmatisées par une société patriarcale, elles tentent de se reconstruire.

Un vent sec balaye les ruelles étroites et défoncées de Bolori II, au nord de Maiduguri (nord-est du Nigeria), soulevant des nuages de détritus et de poussière. […] Il n’y a pas si longtemps, ce no man’s land était le QG de Boko Haram (littéralement, “l’éducation occidentale est un péché”), la secte islamiste sunnite devenue une armée terroriste. […]

. les ruines alentours se sont remplies de villageois ayant fui les exactions du Groupe sunnite pour la prédication et le jihad (le nom officiel de Boko Haram), qui continue de semer la terreur dans les campagnes de l’Etat de Borno, dont Maiduguri est la capitale.

Revenues de l’enfer, beaucoup sont esclaves de la dépression

Assise en tailleur dans la cour sablonneuse d’une maison à moitié éventrée, entourée de ses six enfants qui l’écoutent religieusement et de sa mère, septuagénaire […] , une femme aux joues creusées tente de mettre des mots sur son calvaire. Jalo Moduye, 42 ans, était fermière dans le petit village de Dara Jamal, perdu dans des terres arides non loin de la frontière avec le Cameroun. Quand les membres du groupe terroriste y sont entrés, à l’aube, fin 2013, ils l’ont intégralement incendié. […]

Comme beaucoup de femmes nigérianes revenues de l’enfer de Boko Haram, elle est devenue esclave de la dépression. “Quand elles arrivent à Maiduguri, elles sont quasi nues, sans logement, sans nourriture et sans travail. Je dirais que 80 % d’entre elles sont déprimées”, détaille Faustina Nwankwo, membre de l’ONG Première urgence internationale (PUI, présente sur le terrain depuis 2016), en charge des violences de genre au centre de soins primaires Herwa Peace.

Une politique de la terre brûlée

Depuis la mort du fondateur de la secte obscurantiste, Mohamed Yusuf, abattu en 2009 dans une rue de Maiduguri, ses affidés pratiquent la politique de la terre brûlée, tuent les hommes, et enlèvent en masse les femmes et les enfants pour les asservir ou les endoctriner. Celles qui survivent doivent se plier aux moindres de leurs exigences, et sont condamnées à les suivre dans leur course macabre.

Jalo Moduye est restée captive pendant cinq ans. Quand on l’interroge sur les sévices subis, elle se contorsionne et raconte les événements comme si elle n’en avait été qu’une observatrice : “J’ai vu des femmes devenir esclaves de Boko Haram, être obligées de travailler pour eux, de se marier et de faire tout ce qu’ils disaient, mais ça ne m’est pas arrivé. De toute façon, dans les camps où nous étions, il n’y avait rien, même pas de quoi se nourrir.”

Il y a trois mois, à minuit et sous une pluie battante, elle décide de quitter le maquis jihadiste avec quelques compagnons d’infortune. Sur la route, un groupe d’insurgés les surprend, et les menace : “N’essayez pas de vous échapper. Même si vous atteignez Maiduguri, vous ne trouverez personne, on a tué tout le monde”, leur souffle le chef des insurgés. “On les a crus, car à cette époque la guerre urbaine entre l’armée et Boko Haram était à son comble, se souvient-elle. Après nous avoir pris tous nos biens, même nos vêtements, ils nous ont laissés passer, en pensant qu’on allait mourir d’épuisement.” Elle porte alors dans ses bras Hara, la fille dont elle a accouché la nuit même, et qu’elle ne veut pas voir mourir de famine, ni privée de liberté.

Les plaies les plus douloureuses sont invisibles

Ce jour d’octobre 2018 où elle se confie à nous, dans les décombres du foyer de son frère, autrefois politicien, sa fille est encore miraculeusement blottie contre elle, enveloppée dans des oripeaux déchirés et mille fois reprisés. “Pendant quarante jours on a vécu sans rien, en buvant dans les flaques d’eau, avant d’atteindre le village de Banki, qui était sous le contrôle de la milice [depuis 2013, la Civilian Joint Task Force s’est formée pour lutter contre Boko Haram – ndlr]”, raconte la rescapée.

Cela fait seulement trois semaines qu’elle a rejoint Maiduguri, dont la population a triplé avec l’arrivée massive des déplacés, sous escorte militaire. Sa peau brûlée et rongée par les infections atteste des séquelles physiques de son périple. Mais comme souvent, les plaies les plus douloureuses sont invisibles. “Les femmes ont beaucoup de problèmes psychologiques liés aux souvenirs de Boko Haram, explique Faustina Nwankwo. Dans la plupart des cas, elles ont été séparées de leur famille, contraintes de renoncer à leur culture particulière, à leur liberté de parole et de pensée, et ont été violées. Elles ont fait face seules, et quand elles arrivent, ce qu’elles ont vécu est indicible, au risque d’être stigmatisées par la communauté.”

[…]


Mathieu Dejean, Les Inrocks – Titre original « Otages, rescapées, exilées : elles racontent leur survie après Boko Haram » – Source (Extrait)


 

4 réflexions sur “Elles racontent leur survie après Boko Haram

  1. jjbey 20/01/2019 / 09:25

    Ce qu’on ne fait pas au nom de la religion!

    L’horreur vécue par ces femmes les place sur le même rapport à la vie que les rescapés des camp de concentration. Elles ne peuvent rien dire et libérer leur parole est l’acte le plus responsable pour que l’humanité ne revive pas de telles horreurs.

  2. Sébastien 21/01/2019 / 16:31

    Merci d’avoir partagé l’article.
    Il reste la question de l’accueil, de la rencontre avec ces personnes, qui est importante. Il faut leur donner un nouvel espace de parole, d’existence, juste leur rendre l’ humanité. Espérons, bougeons, battons nous aussi.

    • Libres jugements 21/01/2019 / 16:41

      Tout à fait d’accord Sébastien, mais l’ensemble de la population française, rivée (sans doute vaudrait-il mieux dire « drivée » plutôt que rivée) sur le fait de repousser les migrants c’est soi-disant c’est le parent qui vienne bouffer la gamelle des Français, n’est pas prêt à entendre d’apporter de l’aide à cette population pourtant en ayant bien besoin.

      Cordialement
      Michel

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