Lorsque la « montée » du populisme fait penser à ……….

Daniel Scheidemann (un spécialiste d’analyses des médias), a publié un livre sur l’attitude des correspondants étrangers à Berlin dans les années 1930. Pour beaucoup de lecteurs de ce « pavé » de 448 pages, il y aura plusieurs raisons pour s’étonner de l’absence d’écoute des lanceurs d’alertes de l’époque ce qui pose questions aujourd’hui devant la montée des droites populistes européennes et le peu d’informations et d’analyses sur l’avenir de l’Europe et ses populations . MC

La scène se déroule le 9 juillet 1933, dans la chancellerie allemande investie par Adolf Hitler. Le décor est on ne peut plus sobre, les étagères sont vierges de livres. Cinq mois après son arrivée au pouvoir, le dictateur apparaît comme « simple et timide » aux yeux de la journaliste Anne O’Hare McCormick, qui l’interviewe pour le New York Times.

Après de longues minutes d’entretien, qui vire comme toujours au monologue hystérique de l’auteur de Mein Kampf (mais ça, elle n’en dira rien), elle ose une question brûlante : « Et les Juifs ? A ce stade, comment évaluez-vous les aspects positifs et négatifs de votre politique antisémite ? »

« Positifs et négatifs » : comme si la barbarie érigée en mode de gouvernement pouvait être jugée rationnellement, froidement, de manière mathématique, selon un schéma coûts/bénéfices. Ces quelques mots résument à eux seuls l’échec fracassant de la presse internationale face à l’hitlérisme dans les années 1930. Ils disent à quel point celle-ci a minoré la persécution antisémite qui sévissait sous ses yeux, et qui conduisait inéluctablement à la « solution finale ».

Plongée dans les archives de la presse pour un résultat accablant

Comment cet aveuglement médiatique a-t-il été possible ?

C’est l’objet du livre du journaliste Daniel Schneidermann, fondateur d’Arrêt sur images : Berlin, 1933 – La presse internationale face à Hitler. Durant plusieurs années, il s’est plongé dans les archives de la presse anglo-saxonne et française, et dans les souvenirs des quelque deux cents correspondants étrangers que comptait la capitale allemande entre 1933 et 1941 (année de l’expulsion des journalistes venus des démocraties alliées), avec cette question lancinante pour guide : « Comment les journaux ont-ils raconté les premiers autodafés, les lois raciales, les persécutions des Juifs autrichiens, la nuit de Cristal, en 1938 ? » Le résultat est accablant.

Les récits journalistiques des premières années du régime nazi ne mentionnent pas la persécution des Juifs, sinon reléguée en pages intérieures dans un style aseptisé. Ils adoptent la novlangue de la diplomatie allemande, dans laquelle « l’agression devient protection, l’asservissement devient libération, la destruction devient construction ».

Certains journalistes s’enthousiasment même parfois pour la fougue du Troisième Reich, comme George Ward Price (Daily Mail), Bertrand de Jouvenel (Paris-Soir) et Fernand de Brinon (L’Information), qui ont tous interviewé Hitler. Ils forment « un petit réseau européen de journalistes pro-hitlériens, intoxiqués par Hitler et contribuant eux-mêmes à intoxiquer les opinions européennes ». L’enquête devient donc un « récit du non-récit journalistique de l’extermination ».

Un miroir de la montée des populismes actuelle

En citoyen préoccupé par la montée des populismes de droite et par l’incrédulité de certains de ses confrères quand Trump a accédé au pouvoir (c’est l’élément déclencheur de sa méditation historique), Schneidermann met en lumière « le décalage considérable entre les témoignages horrifiques dont les correspondants avaient connaissance, et dont regorgent leurs livres de souvenirs ultérieurs, leurs correspondances privées ou professionnelles, et leurs articles raisonnables, pondérés, factuels, insipides, où l’on s’abîme les yeux à tenter de lire entre les lignes ».

La presse a failli à ses deux missions, soutient-il : « Alerter sur les bourreaux, donner un visage aux victimes. » Cet énorme raté a de multiples causes liées au système médiatique en entier : la censure, l’ingérence des patrons de presse qui soupçonnent leurs émissaires de dramatiser, la crainte des journalistes de se voir expulsés, le souci de protéger les témoins.

« Les consignes étaient de ne dire aucune contre-vérité pour pouvoir rester en poste »

Dans ses Mémoires, Louis Lochner, correspondant à Berlin de la grande agence américaine Associated Press, écrit ainsi : “Les consignes de nos chefs étaient de ne dire aucune contre-vérité, mais de dire juste la bonne dose de vérité, sans distordre l’image, pour pouvoir rester en poste.” C’est le nœud gordien, jamais tranché, de tous les gratte-papier de l’époque.

Les résistances de « L’Humanité » et du « Populaire »

Schneidermann rend cependant hommage aux exceptions, en France, que sont L’Humanité et Le Populaire, cette presse de gauche « qui produit régulièrement des récits sur la face cachée de l’hitlérisme », mais que personne ne croit en raison de son engagement.


D’après un article signé Mathieu Dejean – Les Inrocks – Titre original : « Comment expliquer l’aveuglement médiatique face à l’hitlérisme dans les années 1930 ? » – Source


 

9 réflexions sur “Lorsque la « montée » du populisme fait penser à ……….

  1. bernarddominik 06/10/2018 / 16h35

    J’ai les revues l’Illustration de 1935 et 1936 le Match de l’époque. Et devant les démonstrations de force de l’Allemagne et du Japon, les journalistes français ne se posent guère de questions. Mais c’est plus facile à juger quand on connaît la suite de l’histoire.
    Les souvenirs d’une ambassade à Berlin de François-Poncet montrent cependant que les politiques ne se faisaient guère d’illusions, et si Hitler a si facilement gagné en 1940 c’est d’abord du à la vanité et la suffisance du haut commandement de l’armée française et surtout de Gamelin qui a négligé les Ardennes où quelques bombardiers auraient arrêté les allemands, Hitler a joué au poker et gagné.

    • Libres jugements 06/10/2018 / 16h59

      Il se trouve que je connais parfaitement ce qui s’est passé à la revue de l’illustration détenue par la famille Baschet qui après avoir pris fait et cause dès 1930, pour le troisième Reich, de nombreux membres de la famille ont collaboré avec les Allemands durant la guerre 40 45 ce qui leur valut d’avoir leur entreprises réquisitionnées à la fin de la guerre par la SNEP (société nouvelle d’édition de périodiques).
      C’est dans une de ces entités que j’ai fait mon apprentissage dans la photogravure (un métier qui n’existe plus comme telle actuellement avec l’avènement du numérique et la robotisation).
      Pour avoir eut l’occasion de parcourir de nombreux exemplaires de cette revue, je puis affirmé que ce n’est pas dans cette littérature, qu’il faut puiser des informations contre l’avènement du populisme de ces années, objet évoqué dans l’article posté sur ce blog.

      Quant a dire que les journalistes et le peuple ne savaient pas … je cite Wikipédia: « la politique nazie de 1933 à 1937, ainsi qu’une étape dans la violence et la persécution antisémites, cet évènement fut également révélateur de l’indifférence des nations au sort des Juifs d’Allemagne et d’Autriche, et de l’incapacité des États démocratiques à contrecarrer les coups de force menés par l’Allemagne de Hitler ». Et s’il fallait encore citer « la nuit de cristal » (1938) n’est pas un fait anodin, un fait insignifiant, sur l’orientation a la fois xénophobe et hégémonique de la société allemande dès l’arrivée d’Hitler.
      Reste que la montée du populisme dans plusieurs états, est très préoccupant et la situation française va-elle amener-ramener un parti populiste aux prochaines elections ?

      Bien des questions, en sommes

      Michel

  2. tatchou92 06/10/2018 / 22h01

    On ne peut pas dire qu’on ne sait pas, qu’on ne voit pas, qu’on ne lit pas…

  3. jjbey 07/10/2018 / 11h14

    A chacun ses lectures, ses informations mais l’envahissement de la presse par le capital n’est jamais une bonne chose. On ne fait pas du tirage ni des records d’audimat avec la situation des peuples asservis, des massacres, des esclaves de huit ans qui s’épuisent dans les mines pour extraire les matières nécessaires à la production de nos Smartphones.

    Quelques rares journalistes de l’audiovisuel se risquent à dévoiler des scandales monstrueux, bonjour Lise, mais pour combien de temps?

    L’honnêteté c’est de dire la vérité, c’est de remettre en cause le système mais qui ose le faire comme le faisaient en son temps l’Humanité et Le Populaire. Le Populaire a disparu, il ne reste que l’Humanité qui ne fait que survivre…..

    • Libres jugements 07/10/2018 / 15h37

      Il y a aussi dans des vérités non déguisées dans certaines presses écrites, des hebdos ou des mensuels a consulter et dans cette panoplie très diverses, il ne faudrait pas omettre de citer les hebdos « L’humanité Dimanche », puis avec restriction « les Inrocks » ou « Le Canard enchainé », le mensuel « Le Monde diplomatique » (qui n’a rien a voir avec le journal le monde) et en matière de réseaux le blog « Médiapart ».
      Certes il est utile de croiser les infos pour en tirer quelques lignes sans artifices et commentaires fussent-elles sans apparentes orientations de prime abord mais surtout ne nous contentons pas d’une seule version fut-elle présenté dans l’officialité et son décorum, emballée dans un beau coffret de présentation.

      Enfin la vérité … mais de quoi entendons nous parler … de la votre de lui, d’elle, de la mienne, comment, en fonction de quels paramètres (connaissances generales, connaissances scientifiques, littéraires, divinatoires, hallucinatoires, etc.) cette vérité est-elle LA VÉRITÉ ?

  4. Luc Nemeth 10/10/2018 / 19h07

    Bonjour.
    Le livre de Schneidermann est a priori sympathique (même s’il ne fait que rappeler ce qui a été surabondamment exposé du côté anglo-saxon) dès lors qu’il prétend dénoncer l’inertie des démocraties occidentales, mais on ne m’enlèvera pas de l’idée que l’accroche publicitaire ici retenue -« 1933- est peu rigoureuse :
    1) si en effet on se place du point de vue de ce qui fait que le nazisme, en tant qu’entreprise d’extermination industrielle et sur une base ethnique, n’est comparable à rien : alors la date de 1933 est clairement précoce -et je laisse de côté le fait qu’en matière d’inertie, comme l’a encore rappelé un récent livre de Diane Afoumado, les démocraties occidentales ne furent pas plus vigilantes et pas plus généreuses en 1938 au moment de la conférence d’Evian, qui scelle clairement le sort des juifs d’Europe.
    2) dès lors le problème devient celui, plus général, de la cécité volontaire face à l’arrivée au pouvoir d’un nouveau fascisme et on s’étonnera que Schneidermann (envers lequel je suis sur ce point sans aucune indulgence) puisse faire croire que les choses auraient pu être autrement. Elles se passaient alors… de la même façon qu’aujourd’hui, face à toute dictature : seuls comptaient les intérêts !
    Et pour en rester au journalisme et à l’information j’ai eu l’occasion de rappeler ce qu’écrivait au quai d’Orsay en mars 1922 (c’est-à-dire au plus fort des crimes squadristes, et alors que Mussolini n’est encore pas même un Premier ministre en exercice) un commissaire de la Sûreté générale en poste à Modane, reprenant ici de toute évidence le charabia de notre ambassadeur à Rome :
    « En vue de la Conférence de Gênes, il conviendrait d’éviter que soit dans la presse, soit dans les cinémas ou par voie d’affiche, on mit en relief les excès des fascistes italiens. Ceux-ci sont gens très susceptibles et étant donné l’état d’esprit qui règne en Italie à l’égard de la France, ils auraient vite fait de généraliser et de rendre le cas échéant, tous les Français y compris le gouvernement, (…) Les fascistes nous sont en ce moment quelque peu favorables, ce serait de bonne politique d’user avec eux de ménagements ».

  5. Luc Nemeth 12/10/2018 / 11h46

    (@modérateur) un commentaire d’une parfaite courtoisie et par lequel je rappelais ce qui devait l’être concernant une collusion avec les dictatures qui dura pendant toute la période de l’entre-deux-guerres a été effacé.
    Il va de soi que ce site est libre de sa censure.
    Mais le procédé est pour le moins… surprenant, venant de qui opère sous étiquette « librejugement.org ».

    • Libres jugements 12/10/2018 / 11h53

      Libre Jugement … justement … Quant à parler de censure, ceux qui me suivent savent que ce blog est ouvert a toutes les suggestions et très souvent a une information/article quelque peu « orientée » est suivie dans la foulée (le plus souvent possible), d’une autre version de l’événement afin que chacunes-chacuns puissent se faire son idée.

      En réalité votre commentaire s’est placé dans la rubrique indésirable pour je ne sais quelle raison (et je vous prie de me croire sur parole car vous l’avez compris, ce n’est pas le genre de la maison, de pratiquer une censure quelconque, sauf xénophobes ou insultantes).

      Enfin pour être très précis , il s’agit de la vision des médias durant cette période trouble de l’entre deux guerre … vues par Daniel Scheidemann.
      Très cordialement
      Michel

      • Luc Nemeth 12/10/2018 / 18h29

        je vous crois sur parole, bien sûr -merci de votre mise au point
        Très cordialement
        Luc

        PS. effectivement il s’agit de l’entre-deux-guerres mais dès lors que le titre parle de 1933 -et de rien d’autre- ça induit forcément une lecture à base de « ah oui, mais… on pouvait pas savoir » dont je crains fort qu’elle ne finisse par alimenter plus d’une digestion paisible

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