Qui parlera encore … d’indépendance de la justice …

S’étaler de tout son long sur le parquet. C’est ce qu’a réussi Emmanuel Macron avec la succession de François Molins, pro­cureur de Paris et grand manitou de la magistrature française. Un psychodrame politico-judiciaire inédit sous la Ve République.

D’un trait de plume, Macron a donc biffé les noms des trois postulants – dont celui de Marc Cimamonti, actuel procureur de Lyon et pourtant favori de la ministre de la Justice, du Premier ministre et du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM). Il a ainsi montré sa volonté de mainmise totale sur le parquet. Sur son ordre, un nouvel appel à postuler a été publié. Les candidats sont prévenus : audace et indépendance d’esprit seront vivement appréciées !

Chirac, déjà, s’était fait une spécialité de « passer outre » les avis du CSM pour avoir des procureurs à sa main. Ainsi avait-il nommé Yves Bot procureur de Paris, en s’asseyant sur les propositions du CSM. La nomination par Sarkozy de François Molins, alors directeur de cabinet du garde des Sceaux, avait également envoyé un « signal fort »…

Justice nulle part

Si l’autoritarisme présidentiel est aujourd’hui plus bruyant et assumé que jamais, il s’y mêle désormais une forte dose d’amateurisme. Le rejet de Cimamonti, président de la Confé­rence des procureurs, qui n’avait cessé d’appeler à couper le lien entre le parquet et le pouvoir politique, a fait passer la garde des Sceaux pour une potiche.

Le 15 décembre 2017, le site du ministère de la Justice commentait ainsi la rencontre de Cimamonti avec Nicole Belloubet. « Aujourd’hui, déclarait la ministre, il existe un consensus pour réformer le statut du parquet, mais, depuis vingt ans, personne n’y est parvenu (…). Je souhaite être la garde des Sceaux qui va faire changer le statut du ministère public. » Gagné.

L’épisode des trois noms rayés jette aussi, rétrospectivement, un joyeux éclairage sur les déclarations, en janvier dernier, du président de la République devant la Cour de cassation. Tout en appelant de ses vœux un parquet « rattaché à l’autorité du garde des Sceaux », il affirmait vouloir « veiller à son indépendance ».

La démonstration est éloquente !

Ecrits imprudents

Au CSM, selon un témoin, « les collègues les plus calmes sont particulièrement énervés par cette immixtion du président de la République, qui donne l’image d’une justice vassalisée ». Il vise aussi l’« incroyable dilettantisme » de la conseillère justice de Macron et du cabinet de Belloubet. « La première est transparente, sans relais ni poids ! Tout aussi faible et inexpérimenté est l’entourage de la garde des Sceaux », relève un haut magistrat.

Selon ce vieux briscard, la stratégie veut que la ministre ou son cabinet soumettent leur choix des postes sensibles à l’Elysée : « S’ils sentent que le président de la République n’est pas emballé, alors la ministre remballe… ». En somme, ils auraient dû tâter le terrain plutôt que pousser le Président à retoquer si ostensiblement les trois prétendants.

« L’Elysée et la Chancellerie ont complètement déconné ! analyse avec finesse l’un de ses collègues. Pourquoi la directrice adjointe de Belloubet et la conseillère de Macron n’ont-elles pas anticipé cette pagaille ? Elles connaissent pourtant bien la question pour avoir rédigé ensemble, en 2011, un rapport destiné à la fondation Terra Nova… ».

Le document dénonçait sévèrement le système actuel, le « déséquilibre historique français d’une justice dominée par le pouvoir exécutif » et « un pouvoir judiciaire conçu comme un relais de l’exécutif (…), une justice sous tutelle, voire sous influence ». Quel flair !

A quel heureux magistrat Macron réserve-t-il donc ses faveurs ?

Aujourd’hui, c’est le nom du directeur des affaires criminelles et des grâces, Rémy Heitz, 54 ans, qui circule avec insistance. Ses collègues le décrivent comme un homme « sympathique », « ambitieux », « gendre idéal », « aussi prudent qu’obéissant ».

Un profil de rêve.

Balance ton proc

Seul hic : Rémy Heitz a passé sa carrière à sauter de cabinets ministériels en juridictions – chaque fois deux ans maximum. « Il n’a été procureur que brièvement et n’est jamais resté le temps normal à ses postes. Le CSM risque de le recaler. Il faut espérer que Macron en a été prévenu ! » relève un proche de l’institution. Mal informé, le Président risquerait donc d’agir comme un débutant ? Impensable !

Ce festival de maladresses vient d’être en partie corrigé par un heureux hasard. Le 21 septembre, avec un peu d’avance sur le planning, le secrétaire général de la Chancellerie a été brusquement poussé dehors. Le poste ainsi libéré est revenu à Véronique Malbec, la procureure générale de Versailles, qui sera remplacée par… oui, gagné ! Marc Cimamonti, le candidat évincé du parquet de Paris. Lequel s’est donc abstenu de protester au sujet de l’épisode précédent…

L’image du parquet et son indépendance sortent grandies de cette belle histoire.


Dominique Simonnot – Le Canard enchainé -Titre original : »Macron fait passer l’indépendance du parquet du voeux pieu … à la farce » – Mercredi 03/10/23018


 

3 réflexions sur “Qui parlera encore … d’indépendance de la justice …

  1. bernarddominik 04/10/2018 / 15h59

    Notre Macron semble avoir bien peur pour ses amis (lui ne risque rien même s’il se mue en assassin) et préfère un procureur à sa botte, ses amis Ferrand Darmanin et cie pourraient être visés par la justice, vaut mieux controler le parquet

  2. jjbey 04/10/2018 / 18h03

    La justice indépendante? Vite fait en comparution immédiate si tu dérailles mais des années pour instruire des dossiers dans lesquels de personnalités sont impliquées. Deux vitesses? même pas, des classements sans suite sont venus interrompre des procédures engagées. Mais que vous soyez riche ou pauvre……..

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