L’individualisme : symptôme de tous les maux

« Quand la croyance en l’efficacité de l’action collective s’éteint, l’individualisme prospère. »

Individualisme et fatalisme

Si, au tournant des années 1970-1980, le développement du fatalisme […] coïncide avec un certain essor de l’individualisme, ce n’est justement pas une coïncidence. Quand la croyance en l’efficacité de l’action collective s’éteint, l’individualisme prospère. En la matière, la direction de la relation de cause à effet importe : ce n’est pas tant, comme on l’entend souvent, à cause du développement de l’individualisme que l’action collective régresse. C’est bien plutôt l’inverse : lorsque l’on finit par ne plus croire en le pouvoir de l’action collective, l’individualisme devient le premier refuge.

Individualisme, peur et précarité

Cela relève quasiment d’une évidence plate : l’idéologie de la crise engendre de la peur, la peur engendre le repli sur soi et le chacun pour soi. Peur de l’avenir, mais aussi du présent, que nourrissent la précarisation des vies et la menace du chômage de masse. Paradoxalement, et de façon sans doute moins évidente, l’individualisme trouve ainsi ses ressorts dans un désir d’inclusion : dans un contexte fataliste où l’on ne croit plus en grand-chose, l’individualisme apparaît comme la meilleure stratégie pour éviter de se retrouver en marge. Car, sous l’effet […] de l’être autonome, responsable de ce qui lui arrive, perdure l’idée que les exclus sont fautifs et responsables du sort, non qui leur a été réservé, mais dans lequel ils se seraient eux-mêmes placés. […]

« Dans un contexte fataliste où l’on ne croit plus en grand-chose, l’individualisme apparaît comme la meilleure stratégie pour éviter de se retrouver en marge.»

Individualisme et intensification du travail (et de la vie en général)

[…] Les individus n’ont plus le temps de se réunir, de discuter, d’échanger, de réfléchir : il faut agir, agir, agir. Ce culte de la vitesse et de la productivité qui caractérise, plus encore qu’hier, le capitalisme contemporain, n’est pas destiné uniquement à accroître la marge de profit : il a aussi pour fonction de faire taire et, au-delà, d’éteindre les cerveaux. […]

Individualisme et crise de confiance
L’individualisme est aussi à rattacher à une certaine crise de confiance, ou plutôt à une crise de confiance certaine. Lorsque cette expression est employée, on pense spontanément à la crise de confiance envers le système politique et ses représentants, son impuissance face aux pouvoirs économiques. Mais il est une crise de confiance qu’on évoque moins, et qui est tout aussi importante sinon plus dans la compréhension de l’essor de l’individualisme : la crise de confiance en soi, et en ses pairs. Lorsqu’on ne s’estime plus capable de peser, individuellement et collectivement, il ne reste guère d’autre issue que de faire le dos rond et de se replier sur soi.

Individualisme et conformisme

Enfin, et paradoxalement, l’individualisme trouve aussi sa source dans un certain conformisme. De tout temps et en tout lieu, des individus se sont engagés et s’engagent dans l’action collective en suivant le chemin que d’autres ont ouvert. On débraye parce que les autres débrayent : pensez à Charlot et à son maître d’atelier dans Les Temps modernes. Bien sûr, et parallèlement, un phénomène de conscientisation et d’appropriation naît progressivement, sans quoi la participation à l’action collective ne perdure pas lorsque l’adversité qu’elle génère grandit. Mais les choses marchent tout aussi bien dans l’autre sens : on ne s’engage pas parce que les autres ne le font pas non plus, quand bien même on considérerait que ce serait la voie à suivre […]

Vers un reflux de l’individualisme ?

Même s’il ressort des points précédents que l’individualisme relève souvent d’une stratégie par défaut, lorsque le collectivisme est perçu comme une gageure ou une impasse, il repose aussi sur la croyance qu’il est possible de s’en sortir seul, et que c’est même plus efficace de faire son trou seul que d’appuyer et de prendre appui sur les autres. Mais cette croyance ne serait-elle pas en recul ?

L’idée que l’on a besoin les uns des autres ne referait-elle pas petit à petit son chemin ? […]


Davy Castel est psychologue. Il est maître de conférences en psychologie sociale et psychologie du travail à l’université de Picardie Jules-Verne. Lu dans « Cause commune n° 7 – septembre/octobre 2018 »


 

4 réflexions sur “L’individualisme : symptôme de tous les maux

  1. jjbey 03/10/2018 / 14h18

    L’homme est un animal social. Il ne peut vivre seul et ses besoins sont couverts par les autres. Il participe lui-même, individuellement, à satisfaire les besoins des autres membres de la société. Autour de ce schéma il devraitt avoir conscience de sa dépendance et en même temps de son utilité. Dans ce cadre l’action collective pour faire bouger le social devrait être l’évidence. Mais voilà depuis de décennies on a cultivé le mérite individuel laissant croire aux « meilleurs  » qu’ils sont à l’abri de ces turpitudes sociales du fait de leur valeur personnelle. Dans le même temps on persuade les « mauvais » que ce qu’il leur arrive est de leur faute, que s’ils avaient le courage de traverser la rue ils trouveraient un emploi alors que le « meilleur  » est l’hôte de l’Elysée. On alimente ainsi l’idée qu’il n’y a pas besoin d’aider le moins nanti et qu’il doit s ‘en sortir tout seul et en même temps l’idée que celui qui est en difficulté le doit d’abord à lui même et qu’il aurait tort de s’en plaindre à moins de sombrer dans le ridicule. La boucle est bouclée chacun reste dans son coin tant qu’il ne prend pas conscience à qui profite cette division: les exploiteurs.

    • Libres jugements 03/10/2018 / 14h20

      Bien belle analyse.
      Merci Jean-Jacques
      Amitiés
      Michel

  2. tatchou92 03/10/2018 / 14h56

    CQFD !
    Bonjour la solidarité, bonjour les « Vieux », les immigrés, les malades, les sans logement, sans boulot, les « sans dents ».. chacune pour soi, vive MOI !

    • Libres jugements 03/10/2018 / 15h20

      Bonjour Danielle,
      Que t’arrive-t-il pour être aussi pessimiste.

      Tout va changer … un jour.
      Dans tous les pays les terriens vont gronder si fort qu’ils risquent de tout renverser.
      Déjà utilisons et agissons contre l’abstentionnisme et même si personne n’en parle, bientôt se dérouleront dimanche 26 mai 2019 en France, « LES ÉLECTIONS EUROPÉENNES ». Ensuite viendront en 2020 « les élections municipales »

      Amicalement
      Michel

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