Acheter des appareils photo, du matériel électronique, informatique et de multiples autres produits jusqu’à 30 % moins cher que le prix normal ? Un jeu d’enfant.
Et pas dans l’arrière-boutique glauque d’un trafiquant, mais sur les sites de vente en ligne les plus connus : Amazon, Cdiscount, Rakuten, Fnac, etc. Rien que du beau monde ! Avec, à l’arrivée, une perte pour les finances publiques non évaluée officiellement par Bercy mais sans doute située entre 1,5 et 2 milliards, si l’on s’appuie sur les indications données en octobre dernier dans un rapport parlementaire britannique.
Explication : ces sites pratiquent à la fois la vente directe, avec des produits achetés au préalable (à peu près 50 % des ventes pour Amazon), et le dépôt-vente, avec des articles appartenant à des marchands de Chine continentale ou de Hongkong, heureux de bénéficier de la « vitrine » et de la logistique de transport des grands vendeurs sur Internet. Ces marketplaces , comme les appellent les sites, offrent des prix à couper le souffle.
Chiner tranquille
Prenons un amateur de photo intéressé par le tout récent boîtier Canon EOS 5D Mark IV. Sur le site de la Fnac, ce dernier est affiché (le 24 septembre) à 3.349 euros. Mais, en petits caractères, apparaît la mention «6 (appareils) neufs, dès 2.227 euros». Promesse tenue : sur la marketplace de la Fnac, le même boîtier, sorti d’usine, est bien proposé 33 % moins cher. Le vendeur est Fantasy Digital — un «vendeur professionnel», précise la Fnac —, expédiant ses produits depuis le Grande-Bretagne et s’approvisionnant à Hongkong.
Le matériel acheté en Chine continentale au prix local (très inférieur au prix HT européen) arrive en Grande-Bretagne dans des entrepôts hors taxes. Il est ensuite réexpédié vers les pays de l’Union européenne via les sites d’achat.
Détail piquant : c’est à l’acheteur particulier de régler la TVA (et bientôt les droits de douane, en cas de Brexit), mais bien peu le savent. Et qui va contrôler tant d’acquéreurs individuels ?
Une porte-parole de la Fnac explique tranquillement : « Nous sommes de simples hébergeurs et des tiers de confiance. Notre rôle est de nous assurer que le client reçoive sa marchandise et que le vendeur soit payé. Nous ne sommes pas là pour vérifier que les clients remplissent bien leurs obligations fiscales. »
Chez Amazon, c’est encore pire : à en croire les conditions de vente, « les prix affichés (par les vendeurs tiers) incluent toujours la TVA française ». Interrogé par écrit, Amazon n’a pas répondu aux questions du « Canard » sur ce fieffé mensonge.
C’est cadeau
Evidemment, pour bénéficier de l’aubaine, le client doit consentir à quelques sacrifices : un délai de livraison de sept à douze jours, par exemple. Pour le service après-vente, il devra aussi faire confiance à la garantie du vendeur initial — pas l’anglais, qui est un intermédiaire, mais en l’occurrence le chinois. Pratique, pour renvoyer l’appareil si une réparation s’impose… En cas de contrôle ou de revente, le client devra en outre expliquer l’absence de facture mentionnant la TVA.
Pourquoi les sites acceptent-ils de telles pratiques ?« Ils perçoivent une commission de l’ordre de 8 %, et c’est sans risque pour eux puisque le service après-vente reste de la responsabilité du vendeur. De plus, ça rend leur site attractif », explique Philippe Paillat, président de la Fédération nationale de la photographie, qui hurle à la « concurrence déloyale ».
De leur côté, les Douanes, débordées par l’essor de l’e-commerce, n’effectuent pratiquement aucun contrôle sur ces produits, souvent déclarés comme « cadeaux de valeur négligeable » par les marchands expéditeurs. C’est ce que constatait — déjà ! — un rapport sénatorial du 23 octobre 2013. « Très peu de redressements ont lieu en matière de fret express, et quasiment pas en matière de fret postal, c’est-à-dire les deux vecteurs privilégiés des ventes en ligne », écrivait le sénateur Albéric de Montgolfier. Les redressements ne représentent, assurait-il, que 0,4 % du montant de la TVA sur les importations extra-européennes.
Trois ans de soldes
Mais le beau mécanisme a failli se gripper. Ainsi le budget 2018 prévoyait-il une mesure anti-fraude : c’est le site Internet qui collecterait la TVA (comme le fait un magasin normal) et la reverserait au fisc. « Trop fragile juridiquement », a jugé l’Assemblée. Rebelote en juillet dernier, avec deux amendements sénatoriaux au projet de loi contre la fraude fiscale. Cette fois, c’est une directive européenne sur le sujet — adoptée fin 2017 et applicable en 2022 — qui a été invoquée. On ne va pas tout chambouler dans la TVA française pour recommencer ensuite avec la nouvelle directive !
Conclusion : il reste encore trois bonnes années (au moins) pour faire ses emplettes à prix écrasés.
Hervé Martin – Le Canard Enchainé – Titre original : « La fraude massive à la tva fait le bonheur d’internet … et des consommateurs. – Mercredi 26 Sept 2018
Avec internet rien n’interdira d’acheter sur des sites situés dans des paradis fiscaux. Et dans le cas d’achat de biens immatèriels (logiciels musique films livres numériques) même la douane ne pourra pas taxer le colis. C’est une des faces sombre du net. Mais je suis sidéré que les députés aient refusé la perception de la tva par le site web. Les lobbies du net sont puissants et ces députés ont bien oublié, pour ne pas dire trahi, leurs électeurs.