Le Canard barbote à Nancy

À Nancy, le marché d’un complexe aquatique à 100 millions d’euros ne soigne pas que les curistes.

A 79 piges, le toujours fringant André Rossinot, ancien ministre de Chirac et président de la métropole de Nancy, a fait un rêve : « Nous allons devenir la plus grande ville thermale française. » Voilà qui promet de chouettes rivalités de piscine avec Laurent Wauquiez, qui entend, lui, faire de son Auvergne la « première région thermale ».

En juillet, André Rossinot a donné le coup d’envoi de son monumental projet… à 98 millions d’euros (HT) : le Grand Nancy Thermal. Devant la presse locale, il s’est enflammé : « Je suis aussi heureux que le jour où j’ai ouvert les barrières de la place Stanislas rénovée. » C’est peu dire. Mais, déjà, des grincheux troublent la fête.

Le 5 septembre, trois élus de la métropole et neuf citoyens issus d’un collectif, Le Bien commun, ont déposé un recours auprès du préfet pour demander l’annulation du marché. Ces remueurs de boues thermales dénoncent de nombreuses irrégularités. Rossinot n’en a cure.

Cure de grosseur

Le marché a été attribué à une chaîne thermale, ValVital, associée à Bouygues, pour ripoliner un complexe aquatique qui comptait déjà trois piscines, dont un magnifique bassin rond Art nouveau. En échange de l’occupation du site public, l’heureux gagnant du marché devait payer les travaux tout seul, comme un grand. Sauf que le budget a explosé. En 2016, l’appel d’offres mentionnait un coût de 51 millions d’euros.

Las ! avant même le premier coup de pioche, ce montant a doublé. Résultat : la métropole va mettre 25 millions au pot. À quoi s’ajoute une subvention annuelle de 1,84 million net par ah pendant… vingt-six ans. Coût total pour les Nancéiens : 73 millions d’euros. Ça douche !

« On a un partenaire particulièrement ambitieux. Il n’y a rien de surprenant à avoir des estimations totalement dépassées », assume Pierre Stussi, le directeur général des services de la métropole. En contrepartie, la collectivité table sur 260 emplois créés et « jusqu’à 2 000 emplois indirects ». L’obole annuelle versée par la métropole, elle, est censée assurer l’« équilibre économique » du projet. Comme si ValVital allait péniblement joindre les deux bouts. Sauf que son avenir ne s’annonce pas si laborieux.

Selon le contrat négocié avec la métropole, le groupe privé table sur une rentabilité royale au bar (à eau) : « La rémunération globale minimale attendue des actionnaires (…) est envisagée à un niveau de 15,19 % de TRI (taux de rentabilité interne) annuel », indique l’indigeste annexe 8 du contrat consulté par « Le Canard ».

De quoi hydrater les actionnaires…

Selon les comptes prévisionnels détaillant les bénéfices attendus année par année, le groupe thermal espère ainsi engranger, au total, 91 millions sur trente ans ! Merci aux Nancéiens, aux futurs curistes et à la Sécu, qui paie leurs soins « médicaux ».

Bains à remous

« Pour moi, on réalise une opération privée particulièrement juteuse, sous le couvert d’un aquapôle de luxe et de cures thermales », assène Hervé Féron, l’un des élus d’opposition ayant déposé le recours.

La métropole, elle, évoque « plutôt une rentabilité à 12 % ». « C’est élevé, concède Pierre Stussi, mais c’est la contrepartie du risque pris par l’exploitant si les recettes sont moins importantes que prévu. » Soucieux d’attirer le chaland, ValVital a vu les choses en grand.

Au côté du centre réservé aux curistes, un luxueux pôle bien-être et un espace loisirs seront ouverts à tous, avec Jacuzzi, « grotte musicale (sic) », hammam, saunas, tisanerie et même… « salle de marbres chauffants » !

Sans oublier des jeux d’eau, des toboggans aquatiques et une résidence hôtelière de 76 chambres.

En juillet, André Rossinot écrasait une petite larme : « Ici et maintenant, nous faisons oeuvre philosophique en offrant l’accès à l’eau thermale pour tous. » Le tarif fait surtout philosopher les habitués : le ticket d’accès aux piscines va passer de 4,45 euros à 6 euros, et le passe annuel va grimper de 166 euros à 250 euros.


Isabelle Barré – Le Canard Enchainé – 19/09/2018 – Titre original  « Rossinot fait des ronds dans l’eau thermale »


N’oublions pas que les municipales sont pour bientôt – 2020 !!! MC