La salade indigeste de Macron

 Lorsque vouloir faire « à sa guise » se heurte à la constitution

[…] Après avoir reporté aux calendes grecques le volet constitutionnel de sa réforme (qui nécessite un vote conforme du Sénat puis une majorité des trois cinquièmes au Congrès), le gouvernement voudrait quand même faire adopter la diminution du nombre de parlementaires et la modification du mode de scrutin.

Deux changements qui n’exigent que le vote d’une loi organique et d’une loi simple où l’accord du Sénat n’est — en principe pas obligatoire.

Pour l’Élysée, cette astuce présenterait un double avantage.

En cas de succès, le Président pourrait s’enorgueillir d’avoir respecté plusieurs promesses du candidat Macron, comme l’a rappelé Richard Ferrand, le patron du groupe LRM à l’Assemblée (« Le Monde », 2/8). Cette procédure permettrait aussi de faire pression sur les sénateurs. Du genre : plus vous vous montrez mauvais coucheurs, moins nous serons compréhensifs. Par exemple, sur le calendrier de renouvellement du Sénat.

Sauf que plusieurs spécialistes du droit constitutionnel soulignent que le gouvernement a tout faux et qu’il lui est impossible de mettre ainsi la charrue avant les bœufs !

Principal écueil, selon eux : le projet de loi organique, qui supprime un tiers des parlementaires, ne peut justement pas être voté avant la réforme constitutionnelle. Pour une raison simple : sauf à piétiner les droits du Parlement, la baisse du nombre de députés ou de sénateurs doit obligatoirement être précédée d’une modification de l’article 61 de la Constitution, qui fixe le nombre de parlementaires nécessaire pour déposer un recours devant le Conseil constitutionnel.

Depuis 1974, la barre est fixée à 60 députés ou sénateurs, soit 10 % des effectifs du Palais-Bourbon et 17 % de ceux du Sénat. En l’absence de révision constitutionnelle préalable, il faudrait demain 15 % des députés et 25 % des sénateurs pour déférer une loi devant les sages !

« Ce serait une réduction inédite des droits du Parlement contraire à l’esprit de la loi constitutionnelle de 1974 », explique […] Dominique Chagnollaud. « Si le gouvernement s’obstine dans son projet, sa loi organique sera censurée par le Conseil », prédit un de ses éminents collègues. […]


Hervé Liffran – Le canard Enchaîné – Mercredi 08 Août 2018