Il n’est pire solitude que celle qui naît de l’indifférence des autres !

 « L’aggravation de la précarité a creusé les écarts, augmentant les difficultés et le mal-être des personnes fragiles. De plus en plus d’hommes et de femmes sont touchés par un grand état de souffrance sociale et développent un phénomène de solitude. Près de cinq millions de Français sont en situation d’isolement relationnel, en marge ou à l’écart de l’entourage familial, amical, professionnel, qui garantissent la sociabilité.

Plus d’un Français sur dix subit une situation objective d’isolement social, selon le dernier baromètre des solitudes de la Fondation de France (1). Les personnes isolées sont surreprésentées parmi les bas revenus, les chômeurs et les inactifs non-étudiants, des individus au foyer pour l’essentiel. Cette fragilité quantifiable des réseaux relationnels (2) se double donc d’une pauvreté monétaire.

« La corrélation entre niveau socio-économique et isolement est établie, souligne le Conseil économique, social et environnemental (3). Les réseaux de sociabilité des personnes en situation de pauvreté [étant] moins divers, les conséquences des ruptures sont plus radicales. » Cet isolement s’accompagne d’un retrait de la vie culturelle et des pratiques de loisirs — y compris des lieux publics gratuits comme les bibliothèques et les équipements sportifs —, pourtant propices à la construction d’interactions sociales.

Le lien entre précarité et isolement social concerne particulièrement les femmes qui représentent 70 % des travailleurs pauvres et perçoivent à la retraite une pension de 30 % inférieure à celle des hommes (3). […] … l’insatisfaction des rapports sociaux qu’un individu entretient avec son environnement, les situations de solitudes subies ont des conséquences bien réelles sur la santé physique et psychique des personnes isolées.

« L’isolement social et le sentiment de solitude sont associés à un risque plus élevé d’infarctus grave du myocarde ou d’accident vasculaire cérébral », soulignent les auteurs d’une étude de mars 2018 démontrant que les individus isolés socialement sont deux fois plus susceptibles d’avoir un accident vasculaire cérébral ou une crise cardiaque (5). À contrario, les plus engagés socialement se révèlent globalement en meilleure santé et préservent leurs fonctions cognitives. […]

À la table de la solitude, l’espérance fait disette : les personnes isolées portent un regard plus sombre sur l’avenir — 56 % pensent que leurs conditions de vie vont se détériorer au cours des cinq prochaines années, contre 50 % pour l’ensemble des Français.

L’étude de la Fondation de France dessine un paysage fracturé avec d’un côté, des individus intégrés, bénéficiant d’une sociabilité riche et diversifiée sur laquelle ils peuvent s’appuyer pour rebondir et de l’autre, une population déjà en prise à des difficultés qui n’entretient des relations que dans un seul réseau social.

Dans la société individualiste moderne, « la compétence pour produire subjectivement son identité, construire sa trajectoire ou se relever d’épreuves biographiques difficiles (divorce, chômage…) est inégalement partagée », note le sociologue Arnaud Campéon (6).

Cette capacité est largement tributaire « des ressources personnelles et collectives marginalisant ceux qui ne disposent pas des supports nécessaires pour les activer et nouer des liens émancipatoires ». […] … la solitude subie est un fléau qui touche tous les pays de l’Union européenne, où l’on compte 30 millions de personnes isolées, soit près de 6 % de la population (7).

Là encore, l’état de pauvreté aggrave ces situations : plus les revenus des Européens sont faibles, plus ils peinent à trouver de l’aide dans leur entourage (9,4 % pour les bas revenus, contre 3,8 % pour les plus hauts) ou à parler de leurs problèmes (9,7 % contre 3,4 %). Avec 12,4 % de Français qui n’ont personne à qui confier leurs difficultés, notre pays possède la population la plus isolée de toute l’Union sur ce critère.


Laurent Lefèvre –Revue Convergence Aout 2018


  1. Les « Solitudes en France », rapport 2016.
  2. Sont considérées comme isolées objectivement les personnes qui ne rencontrent jamais physiquement ou qu’épisodiquement (quelques fois dans l’année) les membres de leur réseau de sociabilité — amical, voisinage, familial, associatif, professionnel. Ce calcul ne prend pas en compte les relations au sein du ménage: entre conjoints et avec les enfants vivant au domicile.
  3. Avis de juillet 2017, Combattre l’isolement social pour plus de cohésion et de fraternité, Jean-François Serres.
  4. Sur les 8 millions de familles avec enfant(s), 22 % sont des familles monoparentales, une part en forte augmentation depuis Dans 84 % des cas, les enfants résident principalement avec leur mère, INSEE 2017.
  5. Hakulinen C, Pulkki-Râback L, Virtanen M, et al. Social isolation and loneliness as risk factors for myocardial infarction, stroke and mortality: Heart, 27 mars 2018.
  6. Solitudes en France: mise en forme d’une expérience sociale contemporaine, édité par la Caisse nationale d’allocations familiales.
  7. Individus qui n’ont personne à qui parler ou demander de l’aide.

Une réflexion sur “Il n’est pire solitude que celle qui naît de l’indifférence des autres !

  1. tatchou92 19/07/2018 / 19h02

    On nous dit qu’il faut avoir au moins 5 discussions ou échanges par jour.
    Pas facile en zone rurale, s’il n’y a plus de commerces de proximité, plus le bistrot, si les voisins sont au boulot, si l’école à classe unique est fermée, si les enfants ne résident pas à proximité, si on n’a pas de voiture, si on se trouve dans une zone de désert médical et de services publics … et s’il n’y a plus de curé !

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