Donald Trump a tiré le premier.
[…] …, les États-Unis prévoient de taxer l’acier et l’aluminium venant de l’UE, – mais aussi du Canada et du Mexique –, respectivement à 25 et 10 %. Ils menacent en outre de taxer l’importation de voitures jusqu’à 25 % : une très mauvaise nouvelle pour les grands pays exportateurs comme l’Allemagne.
Les pays de l’Union n’ont pas tardé à répliquer. Dès le 1er juin, ils ont ouvert aux côtés du Canada une procédure contre les États-Unis à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), relatait The Guardian. Citée par le quotidien britannique, la Commissaire européenne au commerce, Cecilia Malmström, a estimé que le président américain “jouait un jeu dangereux”, bien qu’elle ait refusé d’employer le terme de “guerre commerciale”, qui pourrait avoir un “effet psychologique”.
Un “G6 + Trump”
Le lendemain, le G7 Finances qui se tenait au Canada n’a abouti sur aucune déclaration commune et s’est soldé par une condamnation unanime des nouvelles taxes décidées par Washington. Un sommet qui s’est transformé en “G6 + Trump”, affirme Reuters.
Sans compter la liste des produits américains que Bruxelles s’apprête à taxer, parmi lesquels le bourbon, les motos Harley Davidson, les jeans, les cigarettes ou encore le jus d’orange. Les États-Unis, qui s’étaient déjà engagés il y a quelques semaines dans une autre guerre commerciale contre la Chine, ne sont pas à l’abri d’un retour de flamme.
Courrier International – Titre original : « Guerre commerciale des États-Unis contre l’UE : gare au retour de flamme » Source
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Vu des États-Unis. La folle guerre commerciale de Trump
DESSIN DE RUBEN OPPENHEIMER
Les nouvelles taxes sur l’acier et l’aluminium imposées par l’administration Trump à ses plus proches alliés – Canada, Mexique et Union européenne – n’ont aucun sens. Elles constituent une grave erreur qui met en péril l’économie américaine, fustige le grand quotidien économique de New York.
L’image de Donald Trump en négociateur de génie a du plomb dans l’aile. Nous étions censés croire que ses menaces étaient une stratégie très intelligente, mais jeudi [31 mai] nous avons bien vu qu’il ne s’agissait que d’une version moderne du bon vieux protectionnisme. Sa décision de taxer à tort et à travers les importations d’acier et d’aluminium venues d’Europe, du Canada et du Mexique va mettre en péril l’économie américaine, mais aussi sa propre politique étrangère et peut-être même les Républicains en novembre [lors des élections mi-mandat].
En mars, le Secrétaire au Commerce, Wilbur Ross, avait laissé entendre qu’il y aurait des exceptions temporaires à la mise en place des taxes de 25 % sur l’acier et 10 % sur l’aluminium – afin d’extorquer des concessions commerciales aux alliés américains. Ross est revenu sur ses propos jeudi, expliquant que les États-Unis “ne parvenaient pas à trouver des arrangements satisfaisants” avec le Canada, le Mexique et l’Union européenne. Ce qu’il veut dire, c’est que ces derniers ont refusé de se coucher. Ross a justifié cette décision en brandissant la section 232 du Trade Expansion Act de 1962, manifestement pour prendre de vitesse l’Organisation mondiale du Commerce. L’OMC autorise en effet les pays à adopter des tarifs douaniers pour protéger leur sécurité nationale. Pourtant, le Canada, le Mexique et l’Europe sont loin d’être des menaces.
Ventes d’armes : Trump offre l’avantage à la Russie
L’acier et l’aluminium canadien sont en fait indissociables de la défense nationale américaine, comme le précise le rapport du Secrétaire au commerce sur la section 231. Trump s’était plaint des prix trop élevés des F-35 de Lockheed Martin [avion de chasse de dernière génération produit par le constructeur américain], mais désormais les avions de combats américains et autres armements vont être encore plus chers, ce qui pourrait donner l’avantage à la Russie en matière de vente d’armes. Ce qui est finement joué. Autre ironie du sort, Trump a critiqué la Chine pour avoir invoqué comme prétexte la sécurité nationale afin de développer le secteur des semi-conducteurs. Or il fait exactement la même chose.
Les entreprises américaines reposent sur une chaîne logistique internationale complexe et pour la modifier il faut du temps et de l’argent. La plupart vont devoir absorber les répercussions des tarifs douaniers, et donc augmenter les prix ou embaucher moins de monde – et moins les payer. Les tarifs douaniers engendrent également beaucoup d’incertitudes : les entreprises réclament au Secrétariat au Commerce que certains produits soient exemptés et les investissements sont remis à plus tard. Trump a l’air d’oublier que les incertitudes en matière de nouvelles régulations étaient l’une des raisons principales de la croissance atone sous Obama.
Taxer les importations d’acier et d’aluminium va rendre les industriels américains moins compétitifs. Avant l’annonce de jeudi, les prix de l’acier américain avaient grimpé de 40 % cette année et pratiquement de 50 % par rapport aux prix européens. Comment Trump va-t-il concilier sa volonté de faire fabriquer plus de voitures en Amérique s’il punit les industriels ?
Voitures, canettes de bières et emballages de gâteaux
Ross assure que cette décision ne va pas se répercuter sur les consommateurs, mais une augmentation de 25 % dans les coûts des matières premières n’est pas à prendre à la légère. Les entreprises utilisent l’aluminium et l’acier importé partout – que ce soit les voitures ou encore les canettes de bière et les emballages de gâteaux. D’après la Réserve fédérale en avril, un fabricant de semi-remorques avait regretté de ne pas pouvoir “augmenter les prix aussi vite que celui des matériaux”. Un fabricant de jouets qui utilise des feuilles d’aluminium très fines a vu ses prix multiplier par trois à cause des tarifs douaniers.
Viennent ensuite les répercussions au plan commercial plus large, notamment dans le cadre de l’Alena (Accord de libre-échange nord-américain). Le Canada fournit 43 % des importations américaines d’aluminium, soit plus du double de la Russie et de la Chine ensemble. Le Mexique et le Canada représentent près d’un cinquième des importations américaines d’acier, contre seulement 2 % pour la Chine et 9 % pour la Russie. Ainsi que l’a rappelé le sénateur du Nebraska, Ben Sasse, sur Twitter : On ne traite pas ses alliés de la même manière que ses adversaires”.
Pourtant, au plan commercial, Donald Trump leur inflige un traitement encore pire.
L’Alena est déjà menacée par les exigences démesurées des États-Unis, notamment dans le domaine de l’industrie automobile et concernant la renégociation de l’accord tous les cinq ans [les États-Unis réclament son extinction automatique en cas de non renouvellement]. Le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, a déclaré jeudi qu’il avait récemment proposé de se rendre à la Maison-Blanche afin de parvenir à un accord sur l’Alena. Le vice-président américain, Mike Pence, lui a répondu que pour ce faire, il devrait accepter cette clause d’extinction. Ce à quoi Justin Trudeau a rétorqué qu’aucun dirigeant canadien n’accepterait une proposition aussi contre-productive.
Un retour de bâton politique
Le reste du monde lance aujourd’hui des mesures de rétorsion. L’Europe envisage d’augmenter jusqu’à 50 % ses droits de douane sur 3,3 milliards de dollars [2,8 milliards d’euros] de produits américains, parmi lesquels le bourbon, les bateaux à moteur, les cranberries et les cartes à jouer. De son côté, le gouvernement canadien prévoit de viser jusqu’à 12,8 milliards de dollars [10,9 milliards d’euros] de produits américains, dont l’acier, le yaourt, les laques pour cheveux, la bière en fût et les bateaux à voile. Le Mexique, lui, a annoncé un relèvement de ses droits de douane sur l’acier américain, les lampes, la viande de porc, les pommes, le raisin et le fromage. Ces listes de produits visés se recoupent largement car elles ciblent des États américains dévoués à Trump ainsi que des districts parlementaires où les Républicains disposent d’une faible majorité.
Tout cela signifie qu’au plan politique, la manœuvre du président américain pourrait bien avoir l’effet inverse à celui escompté. Le Mexique est le premier marché d’exportation pour les pommes américaines. Le delégué à la Chambre des Représentants pour Washington, Dave Reichert, a rappelé que les exportations de pommes et de poires en direction du Mexique avaient augmenté de 70 % après la conclusion de l’accord sur l’Alena. Le Wisconsin représente plus de la moitié de la production américaine de cranberries, dont les principaux débouchés à l’exportation sont les marchés néerlandais et canadiens.
Inconscience commerciale
Les démocrates ont loué de grands panneaux publicitaires dans la Vallée centrale de Californie [un grand centre de production agricole] afin de dénoncer les conséquences de la politique de Donald Trump pour les agriculteurs. L’industrie sidérurgique ne sera pas non plus épargnée puisque le Canada achète près de la moitié des exportations américaines d’acier, tandis que le Mexique en importe près de 40 %. Les syndicats du secteur réclament à présent l’exemption du Canada.
Alors qu’il pouvait se targuer d’un bilan économique solide grâce à ses allégements fiscaux et sa politique de dérégulation, Donald Trump prend un risque en nourrissant la surenchère dans la guerre commerciale. Alors qu’il voudrait émuler Ronald Reagan, son inconscience commerciale le rapproche plutôt d’un Herbert Hoover.
texte Original The Wall Street Journal – New York – Lu en français dans Courrier international –