« Jamais les entrepreneurs n’ont eu une telle confiance dans un chef de l’État »

C’est Michel Offerlé qui l’affirme dans un entretien réalisé par Lola Ruscio.

D’abord qui est Michel Offerlé ?

Après avoir réalisé des travaux sur les partis politiques, ce sociologue, professeur à l’École normale supérieure (ENS), s’est penché sur le fonctionnement du Medef. En 2013, il publie l’ouvrage de référence les Patrons des patrons. Histoire du Medef, aux éditions Odile Jacob. Le chercheur a également dirigé en 2017 un recueil de six entretiens avec des chefs d’entreprise, intitulé Patrons en France, paru à la Découverte, qui dresse une passionnante galaxie de portraits de dirigeants aux profils variés et complexes.

Ensuite pourquoi interroger ce sociologue ?

L’assemblée générale du Medef va désigner, le 3 juillet, le futur président de l’organisation qui succédera à Pierre Gattaz comme « patron des patrons ». Parmi les candidats en lice pour la présidence du Medef, deux font figure de favoris. Issu de l’industrie, Alexandre Saubot, mène une campagne axée sur un « Medef fort », quand son principal concurrent, Geoffroy Roux de Bézieux, cultive une image « moderne », se voulant proche des entrepreneurs du numérique. Ces deux styles sont-ils une nouveauté au sein du mouvement patronal ?

Michel Offerlé Les deux candidats qui se détachent sont proches l’un de l’autre, même s’ils ont pu être opposés il y a plus d’un an et stylisés comme social (Saubot) versus libéral (Bézieux). Roux de Bézieux a changé depuis qu’il faisait paraître en 2007 Salauds de patrons (Hachette), quand il écrivait : « S’il y a bien à redire aussi sur le manque de représentativité des syndicats, eux au moins pratiquent une forme de démocratie directe bien plus moderne que les cénacles du patronat. » Ils devront cohabiter après l’élection.

Mais leurs trajectoires présentent des nuances et donc cela donnera des styles différents. L’un est passé par l’Essec, l’autre par Polytechnique ; l’un est un créateur d’entreprise, a une expérience de la « nouvelle économie » et a présidé le petit groupe d’intérêt des start-up (CroissancePlus), l’autre, héritier, est ancré dans l’industrie plus classique au travers notamment de l’UIMM (Union des industries et métiers de la métallurgie – NDLR), organisation dont le poids reste très important – notamment financièrement – malgré l’affaire de distribution d’enveloppes révélée en 2007-2008. […]

  • Dans l’ère de la « start-up nation » d’Emmanuel Macron, le Medef vit-il un moment historique pour porter ses idées ?

Michel Offerlé La situation actuelle du Medef est paradoxale. L’actuel exécutif a engagé depuis un an une politique centrée sur l’offre, la recherche de la compétitivité, un allégement du poids de la fiscalité des entreprises et des catégories les plus aisées, et une croyance en un ruissellement vertueux. Toutes choses qui apparaissent en harmonie avec les orientations des dirigeants du Medef. Jamais depuis plusieurs décennies les chefs des moyennes et grandes entreprises et ceux de la nouvelle économie n’avaient eu une telle attente et une telle confiance à l’égard d’un président, qui a déclaré quelques semaines après son élection : « Entrepreneur is the New France ».

Pourtant, le Medef, comme les syndicats et les partis politiques, apparaît comme faisant partie du vieux monde, auquel on a recours de façon subsidiaire, même si le gouvernement aura toujours besoin d’un porte-parole patronal comme interlocuteur. […]

  • Tous les postulants convergent vers une volonté d’accompagner les réformes économiques et sociales d’Emmanuel Macron. Comment analysez-vous ce nouveau positionnement politique ?

Michel Offerlé Il y a une croyance partagée dans l’économie de marché. Mais il y a des nuances entre les candidats, d’une part, et entre les candidats et Emmanuel Macron d’autre part. La loi Pacte sera intéressante à suivre car c’est la première fois depuis longtemps qu’il y a en France un débat sur la « raison d’être » des entreprises. […]

  • Les ordonnances Macron ont profondément bouleversé les relations sociales, chaque entreprise pouvant désormais négocier son propre accord. Pourquoi cette discrétion du Medef sur un changement aussi crucial ?

Michel Offerlé Il apparaît que les réformes El Khomri-Pénicaud sont actées du côté patronal. […] … c’est bien l’entreprise voire l’établissement qui apparaît désormais central. […]

  • Comment expliquer que les candidats militent encore pour obtenir moins de « charges », de contraintes et de règles ?

Michel Offerlé Malgré quelques voix contradictoires, la question des « charges », des prélèvements, de la fiscalité est un classique du syndicalisme patronal. Sans doute parce que, de ce point de vue, on peut obtenir un consensus négatif. […]

  • La majorité des candidats souhaitent retirer le Medef de certains organismes paritaires. Comment analysez-vous cette tentation d’une rupture avec le rôle historique du Medef dans les instances de la démocratie sociale ?

Michel Offerlé Il y a désormais un assez grand accord entre les candidats pour abandonner le « paritarisme croupion », où le pouvoir de décision des partenaires sociaux est entravé par le cadrage ou la fixation de contreparties financières par l’État. […]

  • Le Medef peut-il réellement prétendre défendre les intérêts des PME et des TPE aussi bien que des grandes entreprises, qui sont parfois leurs donneurs d’ordre ?

Michel Offerlé Depuis un an, il y a un silence sur la représentativité du Medef. Certes, du point de vue économique et social […] le Medef est bien représentatif. Mais, du point de vue démographique et de la perception de chefs d’entreprise de base à son égard, on est loin du compte. Peu de commentateurs se sont intéressés à l’enquête de représentativité de 2017 dans laquelle le Medef est passé de 750 000-800 000 entreprises déclarées adhérentes à 123 000 entreprises constatées […] « Y a-t-il aussi une  crise du syndicalisme patronal » ?

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Lola Ruscio  – Titre original « Michel Offerlé : « Jamais les entrepreneurs n’ont eu une telle confiance dans un chef de l’État » Source (Extrait)