Pour accentuer la pauvreté.

Matignon et l’Elysée veulent imposer à la ministre des Solidarités et de la Santé, des coupes budgétaires qu’elle a refusées. Pour le moment…

Sept milliards d’euros d’économies en deux ans sur les aides sociales : tel est l’objectif que Matignon a fixé, il y a trois semaines, à la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn. Ce féroce coup de sabre s’inscrit dans le cadre du projet CAP 2022. Depuis des mois, sous l’égide de Matignon – et au nom de l’indispensable réforme de l’État -, tous les ministres voient leurs dépenses passées en revue, ainsi que l’organisation de leurs administrations.

A la grande surprise de Matignon et de l’Élysée, la ministre a répondu, par écrit, qu’il n’était pas question d’accepter une telle amputation. Mais Edouard Philippe a insisté : somme non négociable. Et ces plans d’économies devront s’appliquer à partir du 1er janvier 2021. Dès 2019, en attendant, la fusion entre les dis­positifs d’aides de toutes sortes devra débuter.

Couacs ministériels

Pour mesurer l’effort exigé par Matignon, un chiffre s’impose. Lorsque le gouvernement a décidé, en septembre 2017, de priver de 5 euros chaque mois les 2,6 millions de bénéficiaires de l’aide au logement (APL), le montant des économies ne représentait que 390 millions 7 milliards, observeront, en revanche, les persifleurs, c’est exactement le total des baisses d’impôts (ISF, flat tax, taxe d’habitation) annoncées, le 27 septembre, par le Haut Conseil des finances publiques lors de la présentation du budget 2018. Des baisses profitant pour l’essentiel aux contribuables les plus riches…

Ce refus d’Agnès Buzyn a évidemment fait un triomphe à l’Élysée comme à Bercy. Et c’est avec l’accord de la Présidence que, lors du « Grand Rendez-vous » d’Europe 1 (21/5), Bruno Le Maire a lourdement insisté sur la nécessaire réforme des aides sociales – plus de 26 % des dépenses de l’État. Un thème repris, une semaine plus tard, par le ministre du Budget, Gérald Darmanin, qui a prôné la simplification de ces aides (« trop nombreuses ») et a dénoncé la prime d’activité, « un système qui fonctionne mal ». Quatre jours plus tôt, pourtant, le même Darmanin n’avait pas hésité à le déclarer : il ne fallait « pas toucher aux prestations sociales individuelles ». Joli numéro de cohérence gouvernementale !

En privé, l’un des principaux conseillers du Premier ministre affirme que ces 7 milliards d’économies d’ici à 2022 ne sont pas discutables. Car les mauvaises nouvelles s’accumulent pour les finances publiques. Les taux des emprunts remontent aux USA, et, dès 2020, le coût de la dette française risque d’augmenter. La croissance, qui a fait flamber les recettes fiscales et a donc permis d’améliorer le déficit budgétaire français, a dangereusement ralenti au premier trimestre 2018. Quant à la dérive des dépenses de l’État, la Cour des comptes ne cesse de la dénoncer. Un des conseillers de Matignon le rappelle : « En 2022, Macron sera aussi jugé sur les comptes publics. Il faut qu‘il puisse afficher alors un déficit budgétaire égal à zéro et une dette publique enfin maîtrisée. »

Les pauvres à la rescousse ?

Coïncidence, qui n’en est pas une : le 4 juin, le Fonds monétaire international a rendu public son rapport annuel sur l’économie française. Après avoir félicité Émmanuel Macron pour son « impressionnante capacité réformatrice », ses économistes lui rappellent l’engagement « considérable » qu’il a pris : réduire les dépenses publiques de 4 points de PIB d’ici à 2022. Dans cette optique, ils recommandent de limiter les prestations sociales à « ceux qui en ont le plus besoin » ou de « rationaliser » l’aide au logement – « seul moyen de réduire le déficit public à moyen terme », selon eux. C’est écrit…

Pour tenter de faire avaler la pilule, Macron a déjà programmé pour juillet un grand discours sur la pauvreté et le lancement d’un plan pour les plus défavorisés. Personne n’en connaît encore les détails, mais un fait est déjà acquis : son coût sera bien inférieur aux 7 milliards d’économies prévus d’ici à 2022 sur les minima sociaux.

Jérôme Canard – Le canard Enchainé – Mercredi 06 juin 2018

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Ils « déshabillent » le ministère de Buzyn

Agnès Buzyn a perdu le contrôle de son cabinet au profit des conseillers du Premier ministre. Dernier épisode, le 29 mai : la ministre des Solidarités et de la Santé s’est vue contrainte de virer sa conseillère parlementaire Anne Beinier, à la demande de Matignon.

Motif de ces mouvements ?

Les évincés sont jugés trop « à gauche » et rétifs aux coupes budgétaires… « C’est Fanny Le Luel, conseillère parlementaire d’Edouard Philippe, qui est intervenue auprès d’Agnès Buzyn pour opérer ce changement », raconte un habitué du ministère. Ex-secrétaire générale du groupe UDI à l’Assemblée nationale, Fanny Le Luel a choisi une remplaçante bien sous tous rapports. Margaux Bonneau a en effet été sa collaboratrice au sein du groupe UDI. Propulsée conseillère parlementaire du groupe LRM, Bonneau était déjà perçue comme la taupe de Matignon chez les Marcheurs.

Elle va recommencer chez Buzyn ?

Une autre membre du cabinet Santé se trouverait également dans le viseur : Aude Muscatelli, la dircab adjointe. Matignon souhaiterait l’écarter au profit de Marie Daudé. Celle-ci, actuelle adjointe de la directrice de la Sécurité sociale, a la confiance de Thomas Fatome, actuel dircab adjoint d’Edouard Philippe. C’est la politique de la courte échelle…

Matignon n’en est pas à son premier coup de force.

En janvier, Gilles de Margerie, le directeur de cabinet d’Agnès Buzyn, avait mis les voiles, bombardé commissaire à la stratégie et à la prospective de France Stratégie, un organisme public rattaché aux services du Premier ministre : une sortie par le haut, donc. Il avait été remplacé par Raymond Le Moign, ex-directeur du CHU de Toulouse, aux méthodes de gestion musclées. Tant qu’Agnès Buzyn, elle, garde la Santé…