Les commentaires des pros de la télé et de la radio publiques allaient bon train, comme on dit, lundi. Ce jour-là, Françoise Nyssen a ébloui le pays en annonçant sa réforme. Sur la forme, d’abord : tout était déjà dans la presse avant son discours, puisqu’elle l’avait envoyé aux aurores à l’AFP. Sur le fond, ensuite : la nouvelle loi est repoussée à « courant 2019 » !
Pendant des mois, des experts ont travaillé du ciboulot, les rendez-vous se sont enchaînés au ministère de la Culture, le « comité stratégique » de Nyssen a entretenu un insoutenable suspense ; Macron, lui, pestait contre la « honte de la République » en décembre, promettait en janvier que le projet de loi serait pour l’été… et puis nos grands réformateurs ont commencé à murmurer que ce serait plutôt « fin 2018 », avant d’arriver à «courant 2019 ». La rumeur donnerait fin 2019 que cela n’étonnerait personne…
Pour faire bonne figure, lundi, il a quand même fallu annoncer quelques bricoles, faire de la mousse et surtout ne pas parler d’oseille. En attendant les vraies coupes budgétaires, ce sont les mômes qui trinquent : la chaîne jeunesse France 4 ira sur Internet, là où sont les jeunes, bien sûr — pardon, les « digital natives », comme dit la ministre. « Nous sommes en train de passer à côté des jeunes », s’est émue Nyssen, qui est surtout en train de passer à côté de sa réforme. France 3 devra faire plus de local : impressionnant. Se rapprocher des radios France Bleu : colossal. Les médias publics devront aussi mettre le paquet sur le numérique. Mais où va-t-elle chercher tout cela ?
Cent cinquante millions seront investis d’ici à 2022 dans ledit numérique, mais, attention, il faudra les trouver en interne, car l’Etat ne mettra pas un radis. Ah, la voilà donc, la vraie réforme qui s’annonce : basculer tout ce qui pourra l’être sur le Net pour payer le moins possible !
Tout un symbole, sur les coups de midi, alors que Nyssen prononçait son discours, son propre site Internet affichait ce message : « Aucun événement n’est proposé à l’agenda ce jour. » A la pointe du Net, la ministre ! Et révolutionnaire avec ça. Interrogée sur la timidité de sa réforme, Nyssen a précisé (« Le Monde », 5/6) : « Nous en sommes au prologue d’une révolution profonde. Nous nous projetons à dix ou quinze ans. »
C’est plus prudent, en effet.
- N. – Le canard enchainé – Mercredi 06 juin 2018