En décidant d’intervenir militairement en Syrie, en septembre 2015, Moscou a sauvé le régime de M. Bachar Al-Assad et lui a permis de récupérer la plus grande partie du territoire perdu. Le Kremlin cherche désormais à imposer sa vision d’un règlement politique, tout en gardant un point d’équilibre dans ses relations avec tous les acteurs impliqués sur le terrain : Occidentaux, Turcs, Israéliens, Saoudiens, sans oublier les Iraniens.
L’intervention militaire de la Russie en Syrie n’allait pas de soi. Durant la première année du conflit (2011-2012), le Kremlin estimait que le régime de M. Bachar Al-Assad saurait surmonter la tempête, à condition d’être protégé contre les ingérences extérieures. Une illusion qui s’est dissipée à mesure que les affrontements s’aggravaient. Moscou tenta alors de favoriser un compromis entre Damas et la « communauté internationale ». […]
Les autorités russes n’ont jamais accordé une confiance totale à M. Al-Assad. […]
En septembre 2015, les inquiétudes du Kremlin concernant les chances de survie du pouvoir de Damas se sont aggravées en raison de la radicalisation de l’opposition syrienne et de sa progression sur le terrain. Il craignait alors un effondrement imminent du régime.
[…] … les dirigeants russes motivèrent leur choix en faisant référence aux précédents de la Libye et de l’Irak, deux pays où, selon eux, la chute des régimes en place n’avait rien apporté de bon. Pour eux, la Syrie ne devait pas constituer un nouveau foyer djihadiste dans la région.
[…] L’un des principaux buts de l’intervention russe en Syrie était de rétablir les capacités militaires et politiques du régime. Ainsi, les bombardements aériens ont immédiatement pris pour cible tout groupe représentant une menace sérieuse pour Damas, y compris ceux qui n’étaient pas des islamistes radicaux ou qui n’étaient pas qualifiés de « terroristes », notamment par l’Occident. […]
Très vite, le déploiement de l’aviation russe a atteint deux objectifs. D’une part, il a augmenté les chances de survie du régime syrien à long terme. D’autre part, il a rendu impossible la création par les armées occidentales d’une zone d’exclusion aérienne, et fort improbable leur intervention directe sur le terrain contre les troupes loyalistes.
Dans le même temps, en échangeant des informations et en essayant de coordonner ses efforts militaires avec d’autres pays, dont les États-Unis, le Kremlin continuait de promouvoir l’idée d’une large coalition contre l’OEI, qui impliquerait aussi le régime syrien, mettant un terme à l’isolement international de M. Al-Assad. En déployant ses forces aériennes depuis la base de Hmeimim, au sud-est de la ville de Lattaquié, la Russie renforçait aussi sa position diplomatique, en signifiant qu’aucune décision concernant la Syrie ne pourrait se passer de son avis.
Elle poursuivait ainsi un objectif bien plus ambitieux que le sauvetage immédiat du pouvoir. Certes, elle prétendait d’abord mettre fin à la guerre en organisant un dialogue national entre le régime et les forces d’opposition (à l’exclusion des islamistes radicaux et des groupes de combattants étrangers).
Cependant, elle cherchait également à lancer ce processus de réconciliation à ses propres conditions, qui incluaient la préservation de l’intégrité du territoire syrien et la formation d’une coalition contre l’OEI, comme l’a affirmé M. Poutine à l’Assemblée générale des Nations unies en septembre 2015. […]
La chute d’Alep, en décembre 2016, a donné à la Russie l’assurance qu’elle pouvait orienter le cours des événements en Syrie et dans la région. Même le changement du paysage politique américain après l’élection de M. Donald Trump n’a pas altéré cette conviction. En 2017, Moscou estimait avoir atteint l’un de ses principaux buts : sauver le régime et lui permettre de reprendre certaines zones du territoire. Mais il n’en avait pas fini pour autant. Il ne pouvait retirer ses troupes qu’au terme d’un processus de négociations politiques, encore très hypothétique.
Le Kremlin se donne le beau rôle
Dans cette perspective fut avancée l’idée d’une nouvelle plate-forme de négociations baptisée Astana (du nom de la capitale kazakhe où se sont tenues les premières rencontres) et permettant de discuter d’un cessez-le-feu entre Damas et l’opposition, en contournant le processus mis en place à Genève par les Nations unies. L’instauration d’un dialogue direct avec des représentants iraniens et turcs — des acteurs régionaux importants qui n’étaient pas impliqués auparavant dans les pourparlers — a fait progresser l’idée d’une résolution diplomatique du conflit. […]
Nikolaï Kožhanov- Maître de conférences en économie politique du Moyen-Orient à l’Université européenne de Saint-Pétersbourg et chercheur associé au programme Russie-Eurasie de l’Institut royal des affaires internationales, Chatham House (Londres). Le Monde Diplomatique – Titre original : Que cherche la Russie au Proche-Orient ? – Source (Extrait)