[…] Le nouveau président de la République française, […] s’inscrit dans ce que j’appelle l’extrême centre. Il s’agit d’une approche politique qui consiste à recouvrir de naturalité des positions idéologiques qui ne veulent pas dire leur nom. Cela se fait bien sûr d’une manière très sophistiquée.
L’extrême centre est extrémiste dans la mesure où ses politiques sont destructrices, inégalitaires et impérialistes. Il s’agit d’assurer le maximum de revenus possibles aux grandes entreprises, le maximum de dividendes possibles aux actionnaires et de faciliter l’accès aux paradis fiscaux. Les mesures prises par Emmanuel Macron en matière fiscale peuvent en témoigner.
[….] L’extrémisme, d’un point de vue moral, consiste à être intolérant à tout ce qui n’est pas soi. Emmanuel Macron en a souvent fait la preuve. Et l’extrême centre consiste en un discours intimidant, sans appel et intransigeant envers toute forme de pensée qui dévie de sa ligne. Il ne s’agit pas forcément d’une position d’un mouvement politique en particulier, mais d’une oligarchie qui, tout en étant capable de financer abondamment des candidats ou des mouvements politiques auxquels elle adhère, se montre aussi capable, par les médias qu’elle détient massivement, de peser sur l’opinion, de financer des universités, des experts, des think tanks, pour ramener la société à voir sa politique comme la seule possible.
C’est pour cette raison qu’on assiste aujourd’hui avec Emmanuel Macron, et la République en Marche, à une sorte de rouleau compresseur idéologique qui consiste à faire croire qu’il y a urgence impérieuse – sans même prendre le temps de délibérer – à appliquer une politique, la leur.
Dans ce contexte, quel rôle peuvent jouer les différents mouvements sociaux qui s’expriment aujourd’hui ?
Le défi de ces mouvements dans un régime d’extrême centre consiste à se rendre désirables, légitimes et pertinents au regard des citoyens. D’un point de vue des consciences, le bras de fer a lieu entre les représentants de ces mouvements et les commentateurs, qui visent à leur accoler des étiquettes péjoratives pour se servir d’eux comme d’un repoussoir vers le seul discours qui prétend être légitime, à savoir le discours capitaliste. Cet enjeu me semble crucial pour éviter que ces mouvements soient simplement considérés comme des faire-valoir du pouvoir en place, auprès d’une opinion qui serait convaincue du bien-fondé idéologique de l’oligarchie dans ses prétentions à incarner le Vrai, le Neutre, la Modernité, la Raison, etc.
[…] La censure structurelle, […] par les mots qu’elle nous enjoint d’utiliser – produit des points aveugles, des angles morts, des lectures tendancieuses. Comme lorsqu’on dit que les différentes institutions publiques (La Poste, les transports en communs, les hôpitaux, etc.) ont des clients au lieu de parler d’usagers, de passagers, de patients, etc. Ainsi, on rend impossible la prise de conscience du service public. Cela coupe court avec une certaine vision de la vie citoyenne. Ce sont des formes de censure implicites.
Ensuite, il y a la censure psychique […] qu’on pourrait traduire, dans un sens plus large, par la monnaie du sens. Il s’agit de petits récits idéologiques auxquels on nous invite à nous conformer. Cela passe par les petites phrases qu’on entend continuellement dans les conversations quotidiennes, dans les éditos, dans les productions culturelles, à l’école, et qui laissent tout le temps entendre que l’important est d’être concurrentiel, optimiste, etc. C’est cette espèce de ritournelle de la vie quotidienne qui est soutenue, à grand renfort de moyens idéologiques élaborés par des pouvoirs institués, pour faire en sorte qu’après coup il soit gênant pour une personne d’inscrire dans l’espace public un certain langage critique. […]
Propos recueillis par Nidal Taibi – Les Inrocks – Titre original : « Emmanuel Macron est extrémiste dans son approche politique » –Source (extrait)
