C’était près du canal de l’Ourcq, à quelques encablures de la ligne de métro 5 à Paris, dans une demeure improbable pour ce coin de banlieue à Pantin. […] Le temps, il en jouait comme un musicien, un compositeur, exigeant de ses invités l’attention que réclame un artiste, un auteur, un compositeur, un poète… un homme. […]
Quand Higelin parlait, c’était la même musique que dans ses disques : fort, excessif, tout dans les cordes, la vérité, le blues. Le rencontrer, vraiment, c’était ressortir cassé, mais plus intelligent. Higelin n’avait rien mais il savait donner tout, transcender l’ordinaire et l’anecdotique en un moment particulier. Il n’avait dans son petit bagage qu’un héritage auto-fabriqué à coups de chansons, de Ferré, de Trenet et d’intuition.
Des enfants aussi, qui avaient su comprendre le père et s’extraire de son ombre pour exister, dignement dans l’orthodoxie libertaire. De lui, ils ont hérité l’indépendance, la liberté frondeuse, la poésie, le sens de l’aventure, le goût de l’inédit.
Parce qu’Higelin, c’était tout ça : un esprit d’ailleurs, un courage, un ventre, une gorge poussée jusque dans les retranchements de la première guerre mondiale musicale, un cerveau et une humeur qui se baladaient chez Trenet et se révoltaient sur les barricades. Il aurait dû faire des bébés bien avant, mais Brigitte Fontaine n’avait pas voulu, alors il a fait des chansons chez Barouh. Et puis l’album Champagne !
Dans les années 1970 quand, comme un Arsène Lupin, il avait forcé le coffre-fort du mariage entre la langue de Hugo et le rock. C’était au château d’Hérouville, où il avait élu domicile musical avec sa compagne chinoise de l’époque et où il avait croisé le chemin d’Iggy Pop et de David Bowie.
C’est ici que le nouveau Jacques avait enterré le Grand Jacques. Higelin tenait le sceptre de Brel… Enfin. C’est celui-ci qui vient de tirer sa révérence. Celui qui, en fin de parcours, a mis les bouts épuisé par trop d’activisme, de vie, avait senti le bout de la route et empressé son emploi du temps pour enregistrer encore quelques épitaphes, jusqu’en 2016.
Voilà la cigogne Higelin libérée des contraintes, laissant sur terre les derniers dinosaures du rock français des seventies (Bernard Lavilliers et Hubert-Felix Thiéfaine), pendant qu’il rejoint Bashung et Gainsbourg sur le petit croissant de lune céleste. Il était tombé du ciel, il vient de partir sans se retourner.
Marc Besse – Les Inrocks – Source
- Tombé du ciel à travers les nuages
Quel heureux présage pour un aiguilleur du ciel
Tombé du lit fauché en plein rêve
Frappé par le glaive de la sonnerie du réveil
Tombé dans l’oreille d’un sourd
Qui venait de tomber en amour la veille
D’une hôtesse de l’air fidèle
Tombée du haut d’la passerelle
Dans les bras d’un bagagiste un peu volage
Ancien tueur à gages
Comment peut-on tomber plus mal
- Tombé du ciel rebelle aux louanges
Chassé par les anges du paradis originel
Tombé d’sommeil perdu connaissance
Retombé en enfance au pied du grand sapin de Noël
Voilé de mystère sous mes yeux éblouis
Par la naissance d’une étoile dans le désert
Tombé comme un météore dans les poches de Balthazar
Gaspard Melchior les trois fameux rois mages
Trafiquants d’import export
Refrain
Tombés en haut comme les petites gouttes d’eau
Que j’entends tomber dehors par la f’nêtre
Quand je m’endors le c?ur en fête
Poseur de girouettes
Du haut du clocher donne à ma voix
La direction par où le vent fredonne ma chanson
Tombé sur un jour de chance
Tombé à la fleur de l’âge dans l’oubli
- C’est fou c’qu’on peut voir tomber
Quand on traîne sur le pavé les yeux en l’air
La semelle battant la poussière
On voit tomber des balcons
Des mégots, des pots d’fleurs
Des chanteurs de charme
Des jeunes filles en larmes
Et des alpinistes amateurs
Refrain
Tombé sur un jour de chance
Tombé par inadvertance amoureux
- Tombé à terre pour la fille qu’on aime
Se relever indemne et retomber amoureux
Tombé sur toi, tombé en pâmoison
Avalé la ciguë goûté le poison qui tue
L’amour, l’amour encore et toujours
Jacques Higelin
MERCI !