Critique de « Le Monde » du 05/04/2018

Le Monde en extase devant les milliards de profits du CAC40

Le 9 mars 2018, un tonitruant « 93 400 000 000 € de profits pour le CAC40 » barre la Une du Monde. Une titraille tapageuse qui n’annonce pourtant aucun dossier mettant ce chiffre faramineux en perspective, aucun débat de fond entre économistes ou responsables politiques, ni même la moindre tentative d’analyse. Au contraire, les deux articles auxquels cet appel de la « Une » renvoie, sont le signe d’un journalisme économique en apesanteur, qui aligne les chiffres sans chercher à leur donner la moindre signification et qui accompagne dans l’allégresse la marche en avant d’un capitalisme mondialisé et triomphant.

Page 6 du cahier « Éco & Entreprise » de cette édition du 9 mars, un premier article aligne les superlatifs pour présenter le palmarès des sociétés les plus profitables, s’esbaudir de la hausse de 24 % du bénéfice net de l’ensemble des groupes du CAC40 par rapport à 2016 et mettre en avant une conjoncture et une croissance mondiales « exceptionnelles ». Le tout agrémenté des commentaires, toujours incontournables dans Le Monde [1], de deux économistes de banques, Eric Labbé gérant chez CPR Asset Management et Isabelle Mateos y Lago économiste chez Black Rock, « le plus puissant gestionnaire d’actifs au monde » – laquelle nous rassure en certifiant que même si la conjoncture se fait moins favorable, « les entreprises devraient pouvoir relever leurs prix et préserver leurs marges. » Ouf !

En page 2 du même cahier « Éco & Entreprise », le second article annoncé en Une, propose un titre qui semble, au premier abord, nettement plus pertinent : « Salaires en zone euro : à quand le dégel ? » En effet, l’une des méthodes pour maximiser les profits, ne consiste-t-elle pas, justement, à maintenir les salaires au plus bas ? Une question qui ne sera pourtant même pas évoquée, l’article préférant s’attarder sur la perplexité de la Banque centrale européenne et des « experts » devant la stagnation des salaires alors que le chômage baisse, ou encore sur la flexibilité et l’automatisation comme causes possibles du phénomène.

Dans l’éther des débats économiques orthodoxes

Ces deux articles qui entendent traiter des niveaux de profits et de salaires comme de deux variables totalement distinctes et indépendantes, ont en commun de traiter l’économie comme une réalité autonome, et la science économique comme une discipline purement technique, coupée de toute réalité sociale et échappant à tout débat politique.

Dans cette perspective, mettre en relation les dizaines de milliards de profits du CAC40 et la stagnation des salaires en Europe, d’une part, avec, d’autre part, les pratiques d’optimisation/évasion fiscale des multinationales ou les politiques de l’offre, austéritaires, portées par les gouvernements européens, et singulièrement par celui d‘Emmanuel Macron, n’aurait aucun sens… Dans un tel cadre, les économistes hétérodoxes et les syndicalistes, les dirigeants politiques et les journalistes rétifs aux logiques néolibérales ne sont évidemment pas conviés à s’exprimer.

Pourtant, s’ils avaient souhaité mettre en perspective, et pas seulement célébrer, les profits mirifiques des grandes entreprises, les responsables de la rubrique économie du Monde auraient pu trouver matière à réflexion dans leurs propres colonnes en s’appuyant, par exemple, sur ces deux articles parus au cours des six derniers mois : « La paupérisation des classes moyennes gonfle la dette des ménages » ; « Les inégalités explosent dans le monde, l’instabilité politique menace ». Mais pour ce faire, il aurait fallu que Le Monde ait une ligne éditoriale autre que celle de complaire aux marchés…


par Guy Bernard, ACRIMED – jeudi 5 avril 2018 Source


 

4 réflexions sur “Critique de « Le Monde » du 05/04/2018

  1. bernarddominik 11/04/2018 / 11h14

    Ce chiffre est assez imprécis s’agit il du bénéfice avant ou aprés impôts est ce le bénéfice distribué aux actionnaires? Quant on pense que 0,5% de cette somme suffirait pour loger tous les sdf et 1% pour les loger et les nourrir. Sans compter nos hopitaux.
    Ces profits sont indécents, mais si on y rajoute les distributions d’actions gratuites et les salaires mirobolants des cadres supèrieurs, il y a vraiment une grave question qui se pose: où notre système économique trouve t il sa justification?

    • Libre jugement 11/04/2018 / 12h00

      Devant votre questionnement en commentaire, je me suis surpris a ne pas comprendre votre interrogation et sollicitation pour des détails financiers. Aussi me suis obligé à bien relire l’article chaque phrase qui me semblait lors de son postage porter sur la teneur d’un article paru dans « Le Monde » fait par « ACRIMED »association spécialiste du demontage explicatif des infos erronées.
      Ainsi suis-je eberlué devant votre commentaire Bernard … est-ce a dire que l’article ne remplirait pas son rôle ? A moins que ma lecture du sujet ne soit pas la bonne …
      Fraternellement

  2. bernarddominik 11/04/2018 / 16h22

    Quelques précisions: si ces profits sont ceux soumis à l’impôt cela signifie 30 milliards pour les caisses de l’état, et certes il pourrait en ponctionner 46 (ancien taux d’imposition avant Sarko et Macron), mais c’est déjà ça de pris, et somme toute il vaut mieux des entreprises qui gagnent de l’argent que des entreprises qui en perdent.
    Mais, et c’est le second volet de mon commentaire, tant d’argent pour rémunérer le capital, alors que la part des salaires ne cesse de baisser dans la valeur ajoutée, que tant de personnes dorment dans la rue, que nos hôpitaux dont exsangues, est ce le bon fonctionnement d’un système économique?

    Suis je plus clair?

    • Libre jugement 11/04/2018 / 17h13

      Sans aucun doute nous ne nous comprenons pas …
      ACRIMED se targue d’analyser la véracité des articles, en recoupant les dires et contre attaques écrites des reportages et infos des radios et télé.
      En l’occurrence il s’attaque cette fois a un article paru dans « Le Monde » et cela est bien noté dès le debut de l’article ….


        Une titraille tapageuse qui n’annonce pourtant aucun dossier mettant ce chiffre faramineux en perspective, aucun débat de fond entre économistes ou responsables politiques, ni même la moindre tentative d’analyse. Au contraire, les deux articles auxquels cet appel de Une renvoie, sont le signe d’un journalisme économique en apesanteur, qui aligne les chiffres sans chercher à leur donner la moindre signification et qui accompagne dans l’allégresse la marche en avant d’un capitalisme mondialisé et triomphant.

      Après que vous entendiez démontrer un aspect financier qui n’est pas contenu dans l’article, fort bien, mais c’est surtout la démonstration qu’il ne faut pas prendre les articles de quelques provenances qu’ils soient, comme argent comptant, sans faire une recherche, une recoupe.

      Bien amicalement

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