Amazon, nouveau géant de l’alimentaire ?

Le point de vue de Sébastien Abis dans « La Lettre IRIS N°668 »

Ce partenariat avec le géant du commerce en ligne fait du bruit en France car c’est la concrétisation d’un mouvement pressenti depuis quelques temps. Casino met donc son enseigne Monoprix sur le bouquet Amazon Prime Now (livraison en moins de deux heures). Ce n’est pas anodin, Monoprix représentant le segment haut dans le panier garni de ce groupe de distribution, avec ici les produits Monoprix gourmet ou Monoprix bio spécifiquement ciblés. En misant sur l’alimentaire uniquement et la région parisienne pour commencer, l’opération est mûrement réfléchie.

Difficile de croire que l’information sur ce partenariat entre Casino et Amazon n’ait d’ailleurs pas été donnée en écho au lancement de l’offre de livraison à domicile par le groupe Leclerc en faveur des habitants de la capitale. Plus globalement, elle peut préfigurer de profondes transformations dans le paysage de la distribution française.

Amazon ne cesse de progresser dans le domaine du commerce alimentaire. Ce qui est vrai pour sa stratégie globale dans le monde n’échappe pas à la France, où l’entreprise américaine est bien implantée.

En effet, il importe de noter qu’Amazon cherche à amplifier le processus de diversification de ses activités. C’est d’ailleurs fidèle au leitmotiv de l’entreprise : on réinvestit massivement les profits afin d’innover toujours et encore. La firme de Seattle, née en 1994, et dont le leader est devenu récemment l’homme le plus riche du monde, accélère notamment le mouvement vers l’alimentaire.

Aux Etats-Unis, Amazon a racheté à l’été 2017 la chaîne Whole Foods Markets, spécialisée sur les produits organiques, pour près de 15 milliards d’euros. Il lui faut des espaces physiques pour sa croissance, mais précisons tout de même que près de 20% des ventes alimentaires en ligne se font d’ores et déjà sur Amazon aujourd’hui en Amérique.

Possédant d’innombrables stocks et entrepôts partout où elle s’implante, l’entreprise teste aussi des supermarchés innovants (AmazonGo), et la livraison à domicile (AmazonFresh, Amazon Pantry, Amazon Prime Now).

A ce stade, Walmart lui résiste par sa seule alliance avec Google, et en offrant de nouveaux services numériques. Au-delà de l’alimentaire, Amazon cherche à croître dans les services bancaires, les assurances, la santé et l’intelligence artificielle.

Amazon est-il un cas isolé ou la dynamique s’avère-t-elle finalement plus large et plus globale ? Quid du géant chinois Alibaba notamment ?

Amazon n’est pas seul dans la course alimentaire qui se joue sur la planète. Tandis que les circuits longs demeurent essentiels pour contribuer à la sécurité alimentaire et nutritionnelle du monde, des acteurs non-agricoles ont développé le circuit court le plus structurant et le plus puissant de notre époque : l’interface digitale.

L’irruption des géants du numérique dans le domaine de la distribution alimentaire est à la fois rapide et massive. Il ne faut pas oublier que les GAFAM sont très tournés vers les deux grands axes du vivant qui touchent le quotidien de tous les individus : la santé et l’alimentation.

A ce titre, ils investissent aussi le champ de l’agriculture. Comme Amazon, le géant chinois de l’e-commerce, Alibaba, a bien compris que la distribution de produits alimentaires présentait de multiples opportunités. Il faut rappeler que ce marché pèse pour environ 5000 milliards de dollars dans le monde. A travers leur écran de téléphone, de tablettes ou d’ordinateurs, les consommateurs peuvent, en quelques clics à la main, accéder à des millions de possibilités et se faire livrer à domicile dans des temps très courts.

Tout cela n’est pas anodin à l’heure des mégacités et des contraintes de déplacement dans les espaces urbains. Sans oublier le rôle du facteur sociodémographique avec la génération dite des Millenials (les 18-35 ans), forte de 2 milliards d’individus dans le monde actuellement, qui font leur course en ligne et avec des moyens nomades de paiement (adieu carte bancaire, vive le mobinaute !).

Alibaba surfe depuis quelques années sur ces dynamiques particulièrement prégnantes en Chine, là où la classe moyenne devrait bientôt atteindre 500 millions d’individus et l’e-commerce explose littéralement. Une grande bataille fait rage entre Alibaba et JD.Com, sans oublier Womai.com, filiale de Cofco, l’une des principales firmes du négoce internationale, qui se focalise surtout sur les biens alimentaires. Outre la puissance logistique et commerciale de ces entreprises du numérique, il faut souligner la percée simultanée de ces opérateurs dans les zones rurales.

Avec le concept des villages Taobao, Alibaba s’occupe ainsi du développement des campagnes de l’Ouest de la Chine (c’est-à-dire les premières zones concernées par l’initiative géopolitique des nouvelles routes de la soie), en finançant des agriculteurs et en les équipant d’outils technologiques pour les connecter aux marchés. Une sorte de subventions des temps modernes, bien entendu, sous le regard bienveillant du pouvoir central à Pékin.

Quels enjeux stratégiques se posent avec ces mouvements à l’œuvre dans la distribution alimentaire ?

Ils sont nombreux. En Chine, les enseignes françaises doivent composer avec ces géants du digital et transformer leur modèle. Le groupe Auchan s’est donc allié à Alibaba récemment. En Europe, toutes les entreprises de la distribution se mettent au numérique pour rester compétitifs. C’est vrai pour le groupe allemand Lidl, ou pour Carrefour en France.

De plus en plus, dans ces espaces commerciaux, l’alimentaire reprend sa domination, car les clients y viennent essentiellement pour ces produits-là. La reconfiguration des magasins est en cours, et l’alimentation y occupera une place encore plus dominante demain. Tous cherchent à faire le pont entre commerce physique et virtuel pour ainsi faciliter et contrôler l’acte de consommation, afin de mieux répondre aux attentes de consommateurs plus exigeants et plus connectés

Si le commerce en ligne de produits alimentaires reste marginal (5% des dépenses mondiales), sa marge de progression est réelle, bien que demeureront des difficultés liées au déplacement de marchandises de ce type qui requièrent conditionnement et préservation de la sûreté sanitaire tout au long de la chaîne.

En Afrique, beaucoup de regards se tournent vers le potentiel de l’e-commerce pour offrir davantage de clients aux producteurs des zones rurales ou pour faciliter les achats de populations vivant dans des villes très vastes et parfois peu sécurisées. Il n’est pas anodin d’observer à quel point les enjeux logistiques occupent une place si centrale dans les agendas stratégiques qui se définissent au sein des administrations publiques ou de ceux d’un secteur privé, bien conscient des opportunités économiques de demain. Ne mésestimons pas l’infusion progressive de la plate-forme Alibaba dans les foyers de plusieurs pays africains.

Outre les évolutions sociétales et économiques que l’essor rapide des plate-formes de vente en ligne engendre, nous devons également être vigilants d’un point de vue géopolitique. Pas uniquement vis-à-vis du pouvoir acquis à travers la collecte de données, mais aussi par rapport aux phénomènes de spéculation potentielle pouvant germer avec de tels dispositifs.

Des pénuries de produit peuvent d’ores et déjà être engendrées dans un territoire du globe par une très forte demande « digitale » émanant de l’autre bout du globe. Surtout quand Alibaba organise la fête des célibataires, le 11 novembre de chaque année, qui génère, comme en 2017, environ 22 milliards d’euros de chiffres d’affaire en l’espace de 24 heures. Bon nombre des cadeaux échangés sont des produits alimentaires. C’est comme les chocolats en Europe avec les fêtes de Pâques : une grande concentration de la demande sur un pas de temps de très court. Sauf que dans le cas d’Alibaba et de cette fête du 11/11, les ordres de grandeur sont titanesques !


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5 réflexions sur “Amazon, nouveau géant de l’alimentaire ?

  1. bernarddominik 02/04/2018 / 10h58

    Puisqu’on parle d’Amazon il faut aussi signaler que son site informatique est bien meilleur que celui de ses concurrents comme « Fnac Darty » ou « La Redoute ».
    « Fnac » est plein de bugs et d’une mauvaise requête sur des critères combinés, « Darty » très limité et « La Redoute » trop directif, sans compter que seul Amazon vend de tout.
    On peut critiquer Amazon, mais comme système de vente c’est très bien fait et en cas de bug la hotline répond de suite.
    A la « Fnac » il n’y a pas de hotline mais une coldline et en cas d’erreur de leur système on ne peut qu’envoyer un message.

    • Libre jugement 02/04/2018 / 12h18

      Bernard, bonjour et merci pour ce commentaire.
      Je vais vous répondre en exposant deux niveaux de réflexion sur le groupe Amazon

      1) Qu’une grande attention soit portée à la mise en place d’une communication efficace au niveau Internet me semble la base même de la réussite de ce groupe et il est vrai que faire ses courses facilement derrière un clavier à toute heure du jour ou de la nuit « peut » représenter une souplesse pour celles et ceux qui, travaillant trouvent les commerces « de proximités » fermés aux heures de sorties des entreprises. Réflexion autant valable pour l’habitant d’une métropole que de la ruralité.

      2) L’acheteuse, l’acheteur ne peut voir dans le groupe Amazon que la partie lui délivrant un certain bien-être, une facilité de commerce. Pourtant la mise en place d’un tel groupe n’est fait que d’absorption de multitude d’entreprises qui ont été dépouillées du maximum des frais salariés en licenciant d’abord en nombre, puis en utilisant au maximum la précarisation, accordant des salaires de misère, des cadences, des horaires et des surveillances personnelles indécentes et surtout la robotisation à outrance. Mais rassurons-nous les actionnaires sont ravis des résultats financiers. L’autre volet concerne la mise à bas d’un nombre impressionnant de commerces de proximité rendant d’immenses ilots ou même le cœur des villes sans commerce sans humanité, des lieux dortoirs uniquement de passages … nous avons de nombreux exemples de villes aux États-Unis devenus ni plus ni moins que des squelettes de maçonnerie ou règne insécurité, bagarres et la pègre.

      Oui, c’est vrai, l’acheteuse, l’acheteur en commandant sur « Amazon » peut y voir un avantage sauf que dans le même temps certains commerces de proximité (en grandes villes pour le moment) pour vivre (Survivre) vont devoir ouvrir maintenant vingt quatre heures sur 24 et sept jours sur sept et s’exposeront aux rackets, à l’insécurité, holdup, voir hélas, assassinats …
      Là encore, les USA ont hélas montré depuis longtemps, l’exemple à ne pas suivre.

      Notons toutefois que la réflexion concernant le groupe Amazon est tout aussi valable avec les hypermarchés couronnant nos agglomérations.

      La meute de loup du café du commerce, sélectionne son meneur !

  2. tatchou92 02/04/2018 / 14h21

    Merci pour ce document très instructif et vos commentaires très argumentés. On peut en effet tout craindre, même si aujourd’hui « tout l’monde il est beau, tout l’monde il est gentil ».

  3. bernarddominik 02/04/2018 / 16h51

    Oui Amazon pose de nombreux problèmes d’éthique, mais si le commerce « en ligne » fonctionne si bien, c’est qu’il y a un besoin. Cherchant une lyre pour le gaz chez « Leroy Merlin » et « Bricomarché » ne la trouvant pas dans le magasin, c’est par internet que je l’ai trouvée… chez « Leroy Merlin » où il était dans les réserves du magasin mais pas exposée à la vente.

  4. jjbey 02/04/2018 / 17h15

    Bernard a raison, les sites informatiques de nombreux distributeurs français sont souvent anémiques, ils ne répondent pas aux besoins des clients. De ce côté là, des efforts à faire mais cela ne résous absolument pas le problème de la distribution de proximité qui, les clients ne se préoccupant que du prix et de la qualité de service, va disparaître.

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