Le rail allemand exemplaire, que nenni ma sœur !

En Europe, si les privatisations blairistes font l’effet d’un repoussoir, la Deutsche Bahn, la société des chemins de fer allemands, aurait, elle, réussi sa réforme. Ce qui lui permettrait d’afficher des résultats « exemplaires » en termes d’utilisation du rail. Pour réussir la modernisation de la SNCF, il n’y aurait donc rien de plus simple : s’aligner sur elle, explique Emmanuel Macron et le gouvernement français.

La ministre des Transports, Élisabeth Borne, le revendiquait le 15 mars dernier sur France Info : « Nous voulons une entreprise plus unifiée et réactive, où les managers ont des capacités de décision. Le modèle allemand avec une structure mieux intégrée répond bien à cet objectif. » L’affirmation vaut ainsi que l’on s’intéresse à un vrai bilan de la réforme de la Deutsche Bahn. Et le moins qu’on puisse dire est que sa présentation par les autorités françaises heurte de plein fouet l’expérience des usagers allemands, confrontés à une multiplication des dysfonctionnements.

La réalité vécue par ces usagers allemands, c’est une dégradation notoire du service, avec un prix des billets en constante augmentation et parmi les plus élevés du continent, des retards chroniques – ils touchent selon plusieurs études concordantes près du tiers des trains de grandes lignes – ou même de ces accidents meurtriers qui ont bien trop souvent défrayé la chronique durant les deux dernières décennies outre-Rhin.

[…]

Le fiasco d’une libéralisation complète tient à deux raisons essentielles : la date choisie pour l’introduction en Bourse du géant, en 2008, a malencontreusement coïncidé avec le krach financier. […] L’autre raison tient aux luttes des cheminots, en opposition frontale avec la recherche de l’optimisation des profits devenue règle d’or dans la gestion de la DB SA.

Les dégâts n’en sont pas moins déjà considérables, […]. «  Le modèle allemand est une véritable imposture », expliquent en substance les usagers de l’Alliance chemin de fer pour tous (Bündnis Bahn für alle), ce regroupement d’organisations et d’associations de citoyens en listant la multiplication de dysfonctionnements.

[…]

[…] … L’absence d’investissements sur un réseau secondaire vétuste. Le maintien de nombreuses portions de lignes à voie unique, en dépit souvent d’une fréquentation importante compte tenu de la densité de la population, y a fait grimper les risques pour les passagers. Jusqu’à des accidents graves.

En février 2016, deux trains affrétés par la compagnie privée Meridian se percutaient de plein fouet entre Rosenheim et Holzkirchen, en Bavière. Bilan : 10 morts et plus de 80 blessés. « Erreur humaine », conclura l’enquête après une intense controverse sur l’absence d’équipements, il est vrai très coûteux, permettant d’enclencher automatiquement un arrêt d’urgence en cas d’engagement de deux convois sur la ligne au même moment.

De multiples études établissent une recrudescence des accidents ou quasi-accidents depuis le lancement de la réforme. Car si elle n’a pu entrer en Bourse en 2008 la DB, devenue entre-temps un des leaders mondiaux de la logistique et des transports, présent dans plus de 130 pays, n’en adopte pas moins des principes de gestion soumis à la rentabilité financière.

À Berlin, ces nouvelles logiques entrepreneuriales vont plonger le RER local (la S-Bahn) dans le chaos entre 2009 et 2012. Dans sa course à la rentabilité, la filiale de la DB a licencié 900 de ses 3 800 salariés et engagé des économies drastiques en matière de maintenance. Les intervalles entre deux visites de révision à l’atelier s’étendent démesurément.

Après un déraillement dans la station Südkreuz (37 blessés), une défaillance des freins est relevée par l’enquête post-accident. Quelque temps plus tard, un organisme de sûreté tire la sonnette d’alarme. Il pointe « des problèmes majeurs sur les cylindres de freins et les axes » de la majorité des voitures. Des centaines de trains doivent être annulés, remplacés au mieux par des services de bus.

[…]


Bruno Odent – Titre original : « Allemagne. Le vrai visage d’une réforme ferroviaire exemplaire. », – Source (Extrait)


 

3 réflexions sur “Le rail allemand exemplaire, que nenni ma sœur !

  1. bernarddominik 30/03/2018 / 8h29

    Le chemin de fer est le cas typique d’entreprise mal adaptée à la concurrence à cause du cout des infrastructure et de la nécéssité d’avoir une vue globale du réseau notament pour les correspondances. La SNCF doit rester publique car c’est un service public essentiel pour le pays. L’état a laissé le fret se disloquer en faisant payer au contribuable le cout réel des poids lourds, il doit revenir sur cette politique en imposant, comme en Suisse, le rail pour les longues distances. Il faut clairement le dire stop à la privatisation du rail.

    • Libre jugement 30/03/2018 / 12h18

      Évidemment que le chemin de fer doit rester un service public et loin de le disloquer, de le vendre par petits bouts, il faudrait au contraire le renforcer en tous points et pas que les LGV ou TGV, mais les TER et reprendre la circulation du fret supprimant certes des camions sur les routes et en conséquences supprimer des entreprises de transports (de personne et de frets) donc des chômeurs potentiels mais d’une part ferait moins de trafic sur les autoroutes et routes donc d’autre part moins de pollution et de danger d’accidents routiers.

      Mais de cela le gouvernement n’en parlera pas car le bon sens ferait aimer le rail, mieux vaut pour la com gouvernementale et faire passer la volonté de libéraliser le rail, de monter en épingle les soit-disant avantages monstrueux des cheminots.

  2. jjbey 31/03/2018 / 9h00

    dans une logique immédiate d’évaluation des couts financiers, on ferme, on casse, on privatise, c’est le conflit grave engagé pour la défense du service public. Mais si l’on raisonne en terme d’emplois, de défense de la nature, de sécurité des transports, de pollution, l’investissement vaut le coup. les expériences tentées qui confient au privé le rentable d’une entreprise de chemin de fer ont toutes abouti au fiasco pour les usagers et même financier. Il faut l’aveuglement de nos gouvernants pour poursuivre dans cette voie à moins que ce ne soit que la volonté d’alimenter encore un peu plus les profits immédiats de la finance………..

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