Guillaume Pépy et les TER

Pepy embellit ses comptes en surfacturant les services aux petites lignes.

Boxeur amateur, Edouard Philippe a transformé en punching-ball le PDG de la SNCF, Guillaume Pepy, dans les coulisses de sa conférence de presse du lundi 26 février. Raison de ce courroux : Pepy avait convoqué les journalistes pour le lendemain, afin de leur présenter les résultats 2017 de la boîte. Or l’excellent résultat de sa marge opérationnelle (1,8 milliard) pouvait donner à penser que le gouvernement se précipitait inutilement.

Heureusement pour la réforme, le fardeau de la dette est intact et produit des frais financiers catastrophiques (1,3 milliard) ! Les intérêts liés à la dette — un gouffre de 50 milliards — mangent donc le tiers des bénéfices. Avec de tels chiffres, Pépy peut affirmer qu’il fait bien son métier mais que ses résultats sont plombés par l’État. Celui-ci a, en effet, creusé la dette en imposant des investissements colossaux, notamment sur les lignes TGV.

Le « bon » résultat de 2017 rend plus difficile la tâche du gouvernement, engagé, à l’entendre, dans une réforme profonde. La ministre chargée des Transports, Elizabeth Borne, ne souhaitait pas, d’ailleurs, que le Premier ministre se batte sur plusieurs fronts. Message reçu : Philippe a finalement renoncé à se mettre à dos les élus locaux en fermant les 9 000 km de petites lignes déficitaires pointés dans le rapport Spinetta.

Sur le front syndical, la réforme du régime de retraite des cheminots est renvoyée à 2019. Mais il faudra quand même en passer par un conflit lourd avant d’exclure du « statut des cheminots » tous les nouveaux embauchés.

Horreur d’aiguillage

La guerre n’est pas totalement évitée avec les conseils régionaux. Depuis qu’il préside les Hauts-de-France, Xavier Bertrand n’a de cesse de crier « gare à l’arnaque ». Tout y passe : quand la SNCF vend aux régions des autocollants pour améliorer la signalétique dans les gares, elle prend au passage 14 % de frais d’ingénierie. Si elle commercialise en Europe de l’Est les antiques rames de TER mises au rebut par les conseils régionaux, elle prélève 15 % de commission sur le prix de vente.

Une caméra de surveillance coûte trois fois plus cher dans une gare que dans un lycée. Le « pelliculage » d’un train aux couleurs de la région est facturé pas moins de 100 000 euros. Un petit dernier pour la route : quand la Picardie a décidé de retirer à la SNCF la gestion de la ligne Saint-Quentin-Origny pour la confier à Socorail, la facture régionale est tombée de 600 000 à 345 00 euros.

Plus facile d’arrêter un TGV lancé à 300 km/h que Xavier Bertrand quand il accable de reproches la société nationale. Mais il lui concède quand même une excuse : « Ça fait trente ans que l’État ne lui a jamais donné les moyens de réinvestir. Il ne faut pas s’étonner que la SNCF use de son instinct de survie pour faire ses fins de mois. »

Un expert gouvernemental confie ainsi au « Canard » que les TER représentent 23 % du total des dépenses des régions. Dans certaines, ce poste budgétaire est supérieur à celui des lycées. Quant au rapport qualité-prix, il est lui aussi calamiteux. Selon ce même expert, 5 000 ralentissements (jusqu’à 30 km/h…) sont recensés actuellement sur les lignes secondaires. Mais voilà : « Pendant des années, les gouvernements ont imposé des dépenses sans en avoir les moyens. Ce sont donc les régions qui ont dû payer. » Alain Rousset, le président de la Nouvelle-Aquitaine, peste contre un devis établi par la SNCF pour la réfection du tronçon Libourne-Périgueux. « En un an, ce devis est passé de 45 à 80 millions. Et, en plus, la région va devoir faire l’avance de la part que doit l’État. » Quel pingre !

Au total, selon l’expert qui se confie au « Canard », l’an dernier, l’État a déboursé 2,2 milliards pour les transports en régions, alors qu’aux termes des contrats qu’il a signés avec les conseils régionaux pour l’entretien des petites lignes il aurait dû verser 3 milliards. « Bercy freine », râle ce même expert.

Arrêt Pépy

Sans attendre l’ordonnance Macron sur l’ouverture au privé, plusieurs régions affichent leur volonté de renégocier les contrats avec la SNCF. Laurent Wauquiez s’est même offert un coup de com’ en annonçant la prochaine prise de contrôle d’une ligne d’Auvergne-Rhône-Alpes par le conseil régional puis le transfert de sa gestion au secteur privé.

Il s’agit d’une petite ligne touristique d’une quarantaine de kilomètres, Saint-Gervais-Vallorcine, en passant par Chamonix, qui est bondée pendant les vacances. Le plus nul des patrons ne réussirait pas à la mettre en faillite. Mais Wauquiez a montré ses muscles.

La région Sud (ex-Paca) va, elle, lancer un appel d’offres « blanc ». Il s’agit, là encore, d’un coup de com’ destiné à montrer que la privatisation, ça marche. Transdev, filiale de la Caisse des dépôts, et l’italien Thello sont priés de faire des propositions. Objectif : faire peur à la SNCF pour qu’elle réduise sa facture. Pépy doit être terrorisé.


Alain Guédé – Le Canard Enchaîné – Mercredi 28 fév. 2018


 

5 réflexions sur “Guillaume Pépy et les TER

  1. tatchou92 10/03/2018 / 15h56

    Vite les chiffres des autres régions…. il est grand temps d’arrêter tout cela et de revenir à une gestion rigoureuse, soucieuse des deniers publics, de nos deniers.. soucieuse des personnels et des usagers…

  2. bernarddominik 10/03/2018 / 16h00

    La SNCF rechigne à remplir le service public, mais dés que ça sent le roussi elle le met en avant. Mais sa façon de charger la barque pour faire payer aux régions les ter va avoir un effet pernicieux la perte de ces marchés. Et une fois perdues ces lignes plus rien je justifiera que l’état lui verse 2,5 milliards par an, et que les caisses du privé ne versent 3,5 milliards pour les retraites des cheminots.

    La SNCF a donnè le bâton pour se faire battre, et on peut se demander quel est, dans ce fiasco, le rôle des syndicats.

    • Libre jugement 10/03/2018 / 17h32

      Sur ce dernier commentaire Bernard, nous sommes loin d’être d’accord.

      Je sais bien que pour de nombreux usagers les syndicats sont une organisation de salopards qui font la gréves alors que leurs adhérents ont des privilégies …

      Voilà bien l’individualisme … Quoi ma gueule … mais j’ai des gosses a nourrir, des traites a payer … j’ai pas l’temps d’faire la grêve moi m’dame, m’ieur …

      Ben voui, m’dame, m’sieur qu’en tu s’ra licencié alors que t’a tout un tas d’choses chaque mois a régler tu ira ou demander d’l’aide …

  3. tatchou92 10/03/2018 / 17h48

    Il y avait à proximité du village natal de mes parents, dans les Ardennes, un village avec une gare (Amagne-Lucquy) et un dépôt pour entretenir le matériel, les machines, les voies etc.. Mon grand père maternel, mon parrain, deux oncles, deux cousins de mon père y ont commencé une carrière avant pour 2 d’entre eux de monter dans les locos, après formation-promotion, puis d’avoir la joie et la responsabilité de les conduire, Je me souviens que pour organiser les réunions de famille, ils étalaient sur la table leur planning prévisionnel.. ils bénéficiaient alors d’un WE de repos toutes les 7 semaines (fallait pas le louper !). enfin, lorsqu’ils partaient le retour ne se faisait pas toujours le même jour, ils se reposaient alors dans des locaux aménagés par la SNCF avec un confort rudimentaire. Cela a certes changé, et heureusement, les lignes à l’époque de ma jeunesse, n’étaient pas toutes électrifiées , et il fallait manier la pelle et le charbon..
    Je me souviens d’une cité SNCF à Reims, où régnait une grande grande fraternité et solidarité entre le familles. Enfin, même si les cheminots bénéficient de titres de transports gratuits, ils sont loin de les utiliser tous pour leurs loisirs. N’oublions pas le rôle les cheminots pendant l’occupation et dans la libération du pays..

  4. bernarddominik 10/03/2018 / 18h06

    Les syndicats sont indispensables eux seuls peuvent protéger le salarié face à un patron tout puissant, mais lorsque ce patron est l’état les syndicats jouent le corporatisme, et c’est facile car celui qui paie la facture au final c’est le contribuable. Dans une société où le libéralisme est imposé par l’UE à laquelle nous sommes liés , je dirais même enchainés, par des accords contraignants, ce corporatisme joue, in fine, contre ceux qui en profitent, car ce qui risque d’arriver à la SNCF c’est son démentèlement pour répondre aux besoins spécifiques des régions, et de la domination parisienne sur l’économie, presque tous les TGV sont dans le sens province-Paris. Pour se rendre de Marseille à Bordeaux le TGV fait passer par Paris et en temps c’est plus court, même avec le changement de gare à Paris, ce qui facilitera le découpage en tranches de la SNCF car il n’y a pas besoin de modularité pour les correspondances, d’ailleurs la SNCF a arrêté de les assurer (la lecture des anciens Chaix montre cet abandon)

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