Infirmière, dans un Éhpad …

Depuis vingt ans, elle accompagne avec passion les personnes âgées. Alors que les mouvements sociaux se multiplient dans les maisons de retraite, Christelle Vidal, infirmière à l’Éhpad Bellevue, à Briatexte (Tarn), l’affirme d’expérience : la qualité des soins aux résidents va de pair avec l’attention portée au personnel.

  • Comment est née votre vocation ?

J’ai toujours été intéressée par l’autre. Quand, à 16 ans, mes amis gagnaient de l’argent de poche en gardant des enfants, moi, je m’occupais d’une personne âgée à domicile. Une dame de 81 ans. Le matin avant d’aller en cours, je la levais, lui donnais une douche et préparais son petit déjeuner. Cela m’a marquée : un thé avec une tranche de citron, 4 biscottes

  • À 16 ans, cela ne va pas de soi de faire la toilette d’une personne âgée…

J’ai toujours été à l’aise avec le toucher. C’est important dans mon métier. Et la nudité ne me posait pas de problème. Après mon bac, j’ai présenté le concours d’entrée à l’école d’infirmières. Je n’avais pas de soignant dans mon entourage mais j’ai toujours été très proche de mes grands-parents.

Chaque personne âgée est riche de sa propre histoire, et en étant infirmière, on partage cette histoire personnelle, mais aussi l’Histoire avec un grand H, les périodes de guerre… Une transmission s’effectue.

  • Vous avez connu tous les types de structures ?

En vingt ans de carrière, j’ai travaillé dans treize Éhpad (Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) ! Des établissements publics, privés ou associatifs, comme ici. J’ai aussi exercé une activité en libéral, avec une population d’un certain âge.

  • La longue grève des aides-soignantes de l’Éhpad des Opalines, dans le Jura, a frappé l’opinion. Au cœur du conflit : les sous-effectifs. Vous qui encadrez une vingtaine d’aides-soignantes, constatez-vous aussi ce manque ?

Il faudrait modérer ce constat, car cela dépend des établissements. Mais, c’est vrai, les effectifs n’ont pas suivi le vieillissement de la population. À l’heure actuelle, on prône le maintien à domicile, ce qui est une très bonne chose. Mais avant, les personnes âgées rentraient en établissement plus tôt, avec leurs capacités physiques, cognitives…

Aujourd’hui, elles entrent dépendantes, avec une prise en charge beaucoup plus lourde. Et les aides-soignantes se retrouvent en première ligne. Leur grande frustration est de courir après le temps. Désormais, dans les Éhpad, on met en place des « projets personnalisés ». Par exemple, on servira à Monsieur X une tranche de pâté au petit déjeuner, comme il en a toujours eu l’habitude.

Mais personnaliser un soin, ça veut dire prendre le temps de discuter, de s’asseoir. Sauf que les aides-soignantes ont la responsabilité de dix, quinze, parfois vingt personnes, selon les établissements.

  • Cette surcharge explique-t-elle, à elle seule, l’épuisement du personnel ?

Les horaires, déjà, sont difficiles. Les aides-soignantes commencent en général à 6 h 30. Ensuite, tout dépend de la façon dont le travail est organisé. Dans un établissement attentif au bien-être des résidents, vous recevez un listing avec des horaires de réveil personnalisés. Ailleurs, ce sera : « Vous commencez au début du couloir, vous allez jusqu’au bout et vous réveillez tout le monde. »

  • On a beaucoup entendu les grévistes regretter de devoir bâcler la toilette des résidents. Mais que signifie faire une « toilette », concrètement ?

Cela dépend de l’autonomie du résident. Il y a des toilettes au lit, au lavabo, et des douches. Une douche, c’est vingt minutes. Une toilette au lit, une demi-heure. Et c’est très compliqué. Il faut préparer une bassine à la bonne température. Déshabiller la personne, la tourner sur le côté. Vous la tenez d’une main, la lavez de l’autre, vous rincez le gant dans la bassine, et là, que se passe-t-il si vous êtes seul ? Vous risquez de laisser retomber la personne.

  • Donc, il faudrait toujours être deux ?

Bien sûr. Pendant qu’un soignant agit, l’autre maintient la personne, la réconforte. Mais c’est rarement le cas, sauf quand il y a des pansements compliqués à faire et qu’une infirmière est là. Donc, l’aide-soignante se retrouve seule pour savonner, rincer, sécher. Si on sèche mal la peau, on risque des problèmes de mycose, surtout avec tous ces petits plis partout (sourire).

Pour prévenir les escarres, on masse aussi les points d’appui : l’occiput, les épaules, les talons… Il faut ensuite aller chercher un lève-personne pour installer le résident dans son fauteuil. Ici, nous avons un système de hamac motorisé, et ça, pour préserver le dos, c’est extraordinaire ! Il reste encore les soins de bouche, le coiffage, la mise en place des appareils auditifs, dentaires, des bas de contention. Une aide-soignante bien organisée y arrive en trente minutes.

  • Et si elle n’a pas cette demi-heure ?

Pendant la toilette, elle risque de bousculer la personne. Ou bien, elle oubliera de mettre en place l’appareil auditif. Et quand la famille arrivera, elle s’étonnera : « Maman n’a pas son appareil »… C’est comme cela que, même sans le vouloir, vous devenez maltraitant.

  • Cette fameuse « maltraitance passive » que déplorent les soignants ?

Oui. Quand on exerce ces métiers, on aime profondément l’être humain. Et quand le soin est mal fait, vous rentrez à la maison avec un sentiment de culpabilité énorme. J’ai travaillé dans un établissement où j’étais la seule infirmière pour 140 résidents. Prendre le temps de comprendre pourquoi il y avait ces larmes, ces tremblements chez une personne…  : impossible.

Et vous vous dites : « Mais comment ai-je travaillé ? Et si cela avait été mon père, ma mère ? » Vous rentrez chez vous, il est 21 h 30, vous faites une tête de dix pieds de long et la famille vous dit : « Le sourire, il est pour les résidents et pas pour nous ? »

  • La famille a la mauvaise part ?

C’est difficile pour les couples. Les horaires, le travail les jours fériés… On vit en décalé. Je travaille seulement un week-end sur trois, je ne me plains pas. Cette semaine, j’ai commencé mon week-end de garde vendredi matin et je l’ai fini ce lundi. Donc, j’ai effectué trente-cinq heures en quatre jours.

  • Comment gère-t-on la fatigue ?

La fatigue est physique mais aussi psychologique. Quand vous accompagnez une personne en fin de vie, vous donnez tout. On nous dit : « Il faut mettre une distance. » Dans un service de chirurgie, je veux bien. Mais en Éhpad, certains résidents sont là depuis des années ! Ils vous appellent par votre prénom. Et on sait que ce lien, ça va être jusqu’au bout (silence). Donc, la distance… […]


Propos recueilli par Marie-Yvonne Buss – Revue « Pèlerin » n°7044, Titre original de l’article : « Le témoignage fort d’une infirmière dans un Ehpad ? – source (extrait)


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