Macron s’est servi des médias …

Révélée par sa maîtrise de l’art de l’interrogation lors de la primaire de la droite en novembre 2016, Elizabeth Martichoux, qui officie chaque matin sur RTL vient d’être sacrée intervieweuse de l’année 2017. […]

  • Quels sont les trois événements que vous en retenez ?

Elizabeth Martichoux – Le renoncement de François Hollande, […]. Pour la première fois dans la Ve République, un président n’est pas en situation de se représenter. […]

Deuxième événement : […] Le calendrier judiciaire a eu un poids énorme sur le calendrier politique. Nul ne sait si François Fillon  aurait été élu sans cela mais nul ne peut l’exclure.

Enfin, la disqualification des candidats des deux partis de gouvernement : François Fillon pour la droite et Benoît Hamon pour la gauche. Ils n’ont pas passé le premier tour et on en est encore stupéfait aujourd’hui. Ces deux partis sont morts.

  • Comment jugé vous le débat d’entre-deux tours Marine – Macron ?

Il a été plus violent qu’aucun autre débat au cours de la campagne. […] Emmanuel Macron déclarant à Marine Le Pen : « Vous dites n’importe quoi ».

On a dit que les journalistes avaient servi de pots-de-fleurs lors du débat mais je trouve au contrat qu’une vérité a éclaté de ce face-à-face. Les journalistes ont bien fait de laisser ce « moment Marine Le Pen » se produire. On a vu qu’elle n’était pas, à ce moment-là, prête à être élue. Il fallait que se produise ce bouillonnement, ce moment de vérité. Et pour Macron, on ne savait pas s’il avait la carrure. Et il y a eu la force de la démonstration sur la faiblesse du programme, la capacité à encaisser les coups… Je l’ai trouvé formidable ce débat. Ce n’était absolument pas la honte de la démocratie comme on a pu lire ou entendre. […]

  • Y-a-t-il une interview que vous avez menée, que vous retenez particulièrement cette année ?

[…] …. lorsque j’ai interviewé une dame qui vivait dans la rue depuis longtemps. Un moment de radio c’est quand une émotion se transmet. Ce n’est pas notre registre habituel mais j’aime interviewer les femmes. Cette femme a vécu dans la rue […] Il y a beaucoup d’émotions à ce moment-là. Vous savez que vous ne devez pas être dans le misérabilisme ni dans l’empathie dégoulinante. […]

  • A-t-on assisté en 2017 au paroxysme de la défiance de la sphère politique envers la sphère médiatique ?

Oui, les politiques ont pris les journalistes comme cible, un peu acculés dans leur fonctionnement un peu stérile. Utilisant le fait que les journalistes sont aussi détestés qu’eux, ils ont cru trouver là un instrument de valorisation. Jean-Luc Mélenchon fait ça depuis longtemps. Mais chez lui c’est théorisé et revendiqué. Il a compris que les médias peuvent lui servir de miroir, de rebond, de faire-valoir… En revanche il était un peu seul à faire ça, ça fait partie de sa logique anti-système. […]

  • Laurent Delahousse a été très critiqué pour son interview d’Emmanuel Macron. Qu’en pensez-vous ?

Les critiques portaient aussi sur Macron, qui s’est prêté au jeu. Laurent Delahousse en a pris plein la figure. C’est quelqu’un de très créatif, il essaye de renouveler le genre mais je pense que là où il s’est exposé à la critique, c’est qu’il a mis cette interview dans le JT de 20 heures alors qu’elle était dans un registre de magazine. Il y a eu une incompréhension totale. Macron qui ne se prête à aucune interview, sauf une fois sur TF1, qui donne un entretien de la sorte. Cette déambulation ne se prête pas au questionnement qui va au fond des dossiers. Il est debout, dans un format magazine, qui lui va bien mais qui reste superficiel. Ça a très bien marché pour Bernard Tapie, mais ça ne pose pas problème dans ce cas précis. Ça pose problème quand il s’agit du chef de l’Etat qui ne s’est pas confronté depuis longtemps à un questionnement ping-pong. Macron, ça l’arrangeait, il a fait sa com’ lors de cette interview. Même si au final, l’audience n’est pas forcément au rendez-vous. C’est difficile d’accabler un confrère mais on a tous été quand même un peu frustré d’un questionnement plus exigeant sur le fond et je pense que Laurent Delahousse essaye de renouveler les genres mais là, c’était bancal.

  •  Le 15 janvier va être lancé Le Média, qui se présente et se revendique d’une “subjectivité honnête”. Comment percevez-vous ce positionnement ?

Je vais regarder cela avec intérêt ! Nous, les médias, ne sommes pas parfaits. S’il peut y en avoir un qui fait encore mieux, pourquoi pas. […] Se dire subjectif et honnête… Il y a effectivement des choses à travailler de ce côté-là. Par exemple, quand Emmanuel Macron a une confrontation avec une jeune femme voilée à qui il dit : “Madame, les réfugiés qui ne viennent pas de pays en guerre doivent rentrer chez eux.” On peut se sentir frustré qu’aucun journaliste ne se soit précipité sur cette dame en lui demandant d’où elle vient, ce qu’elle fait dans la vie, pourquoi elle a dit ça, etc. Il manque parfois un contrechamp qu’on oublie un peu de faire, et je pense que ce média va le combler. Je lui prête des intentions tout à fait nobles et peut-être qu’il fera ce qu’on oublie parfois de faire et qui est, aussi, le rôle du journaliste. […]

Une des questions majeure de 2018 sera : « Verra-t-on poindre une opposition enfin ? » Qui soit capable vraiment, non pas de déstabiliser – ce n’est pas le but – mais de s’opposer durablement. Ce sera l’une des questions.


Propos recueillis par Julien Rebucci – Les Inrocks – Source (Extrait)