La marchandise et le corps des femmes dans les publicités

 Et si nous considérions les images publicitaires sous l’angle philosophique ? Je vous propose une telle approche dans l’article qui suit certes un peu « callé » mais qui apporte un regard sur la façon dont est « utilisé » la femme dans notre société marchande, dans un certains nombres d’annonces publicitaires – ans parler d’images subliminales (qui malheureusement existent) – établissent un regard sur … peut-être … la diffusion ou confusion dans les esprits machistes symbolisés dans les harcèlements, abus de pouvoirs, depuis des siècles. MC

La présence du corps des femmes dans les publicités est régulièrement dénoncée par les féministes. Ne peut-on trouver la source de cette association récurrente dans la structure même de la marchandise, telle que Marx la décrit dans Le Capital?

L’esprit des femmes ainsi que celui de nombre d’hommes ne peut qu’être frappé par l’omniprésence des femmes dans l’espace de l’imagerie publicitaire. Que ce soit pour vendre une voiture, un pot de yaourt, une lessive, un vêtement, partout ces biens sont accompagnés de femmes.

Les féministes dénoncent le sexisme de ces publicités ou de manière plus particulière l’assimilation des femmes au travail domestique. Mais comment expliquer cette présence massive des femmes sur la scène publicitaire, alors qu’elles sont généralement invisibles sur la scène politique ?

En effet, s’il peut sembler justifié, du point de vue des publicitaires, d’associer la femme à la lessive dans la mesure où les travaux domestiques sont pour l’essentiel réalisés par elle – la fameuse « ménagère » -, comment rendre compte de sa présence dans les publicités pour les voitures, explicitement adressées à un public masculin ?

La valeur d’une marchandise, forme-valeur et forme-équivalent

Pour le comprendre, il n’est pas inutile de revenir à l’analyse de la marchandise telle que Marx la présente dans le chapitre 1 du livre I du Capital. L’un des objectifs de ce chapitre est de montrer que la valeur d’une marchandise donnée ne peut se révéler que si elle est mise en rapport avec une autre marchandise.

Autrement dit, vouloir vendre une marchandise seule sans la mettre en rap­port avec une autre rend très difficile la possibilité pour le consommateur de saisir la valeur de ce qu’on cherche à lui vendre. Le prix est en général ce moyen symbolique qui permet de se représenter la valeur d’une marchandise, mais, dans le royaume éthéré du ciel publicitaire, la morale commande de repousser ce moment de vulgarité. ll est possible, dans ces conditions, de considérer que la présence des femmes dans l’espace publicitaire permet à la fois de révéler la valeur du produit qu’on veut nous vendre en retardant le moment où le prix doit s’afficher.

Les marchandises existent sous une forme double : elles sont d’abord une valeur d’usage. Dans ce cadre, elles sont un corps avec des propriétés physiques, elles doivent être utiles et répondre à des besoins. Et elles sont aussi et « en même temps les porteurs matériels de la valeur… d’échange ». Le « corps » de la marchandise est la valeur d’usage, c’est-à-dire son utilité, ce à quoi elle sert, mais ce « corps » ou ce support, c’est un caractère concret supportant une abstraction. L’abstraction supportée par ce corps est la valeur d’échange. La valeur d’échange est l’esprit de la marchandise, elle a besoin d’un « corps », ou d’un support pour pouvoir s’incarner.

Pour éclairer ces deux formes, Marx part d’une équation : x marchandises A = y marchandises B (par exemple : vingt aunes de toile = un habit). Ici Marx parle de pôles d’expression de la valeur : nous avons une « forme-valeur relative » d’un côté et de l’autre nous avons une « forme-équivalent ». X marchandises A (vingt aunes de toile) est la forme-valeur relative ; y marchandises B (un habit) est la forme-équivalent. L’habit, la marchandise B (ou le corps d’une femme dans une publicité) est le corps qui permet que s’exprime la valeur de A (le pot de yaourt ou la voiture). Pour que A exprime sa valeur (la marchandise qu’on veut nous vendre), elle a besoin d’être mise en rapport avec une autre marchandise.

Ce n’est que dans le cadre de cette mise en rapport avec B que A, la forme-valeur relative, peut exister en tant que valeur, peut exprimer sa valeur. B, c’est-à-dire la forme-équivalent, est le corps, le substrat matériel qui permet à la valeur de A de s’exprimer. B, la forme-équivalent, est le faire-valoir de A, c’est‑à-dire de la forme-valeur relative. Relative parce que sa valeur ne peut s’exprimer, ne peut advenir à l’existence, ne peut prendre sens pour nous que relativement à B et exclusivement dans cette mise en rapport avec B. L’âme de la marchandise A, de la forme-valeur relative a besoin du corps de la marchandise B pour que se révèle sa valeur.

Dans ce cadre, nous dit Marx, les deux marchandises A et B sont opposées à l’extrême. En effet, la marchandise B ne peut devenir forme-valeur relative que si nous inversons l’équation, c’est-à-dire si nous posons que un habit = vingt aunes de toile. Il faut comprendre ici que, dans le cadre du rapport de la forme-valeur relative à la forme-équivalent, il est impossible pour une marchandise d’occuper simultanément les deux positions. Une marchandise ne peut pas être à la fois et en même temps forme-valeur relative et forme-équivalent. Nécessairement et chaque fois, elle doit occuper l’une ou l’autre de ces places.

La limite de cette analogie avec la présence des femmes dans les publicités est ce que Marx appelle le passage du rapport qualitatif au rapport quantitatif, puisque, dans le rapport entre les marchandises, il faut tenir compte non seulement de la dimension qualitative (les deux marchandises peuvent se comparer en tant qu’elles représentent du travail humain général) mais aussi de la dimension quantitative (la quantité de temps de travail représentée en elles). En revanche, le corps des femmes dans la publicité occupe bien la fonction de la forme-équivalent.

La marchandise B, l’habit (ou le corps des femmes dans la publicité), n’a d’existence qu’en tant qu’instrument de mesure, outil de mesure. Lorsqu’une marchandise revêt la forme-équivalent, elle est complètement, ou elle devient complètement une pure valeur d’usage.

Elle n’est plus qu’une valeur d’usage qui sert à mesurer la quantité de valeur contenue dans vingt aunes de toile. L’habit (ou le corps de la femme), la forme-équivalent, ne sert qu’à « peser le poids » de la grandeur de valeur de la toile (ou de la voiture). Son existence en tant que valeur s’efface et ne demeure dans ce rapport que sa valeur d’usage.

Réduction de la femme à la marchandise

Cela explique pourquoi nous avons cette nette impression d’être confrontés à des « femmes-objets », dès lors que nous sommes devant une publicité visant à vendre une voiture en l’accompagnant d’une femme. Ce n’est que comme instrument de mesure qu’elle existe dans cette relation. C’est son corps concret de valeur d’usage auquel il est fait référence lorsqu’on parle de la forme-équivalent. Le corps de la femme (la forme-équivalent) dans la publicité joue le même rôle que les poids de fer chez l’épicier. Sauf que chez l’épicier le poids de fer et le kilogramme de sucre ont une propriété physique commune qui permet de les comparer : la pesanteur.

Qu’est-ce que cela nous permet de comprendre sur la présence massive des femmes dans l’espace publicitaire ?

En occupant cette fonction spécifique de forme-équivalent, une femme ne peut être autre chose qu’un corps, un instrument de mesure, le substrat matériel dans lequel vient s’incarner la valeur ou l’âme du produit qu’on veut nous vendre. Mais s’il occupe la fonction de forme-équivalent, le corps des femmes dans la publicité n’est pourtant pas l’objet même de la vente. Il existe bien une association entre les deux, mise en évidence de manière explicite par la célèbre publicité pour Audi (« Il a la voiture, il aura la femme »), mais cette association n’exprime que la transformation – possible mais non encore effective – de la forme-équivalent en équivalent général, autrement dit la réduction pure et simple de la femme à la marchandise.

L’usage des femmes dans le cadre publicitaire ne signifie pas tant que les femmes sont vendues mais plutôt qu’elles occupent une fonction spécifique au monde des marchandises. Elles sont le moyen de l’échange. Cette fonction n’est pas anodine puisque, avant de devenir équivalent général, la marchandise «argent» a bien occupé la place de la forme-équivalent. Les femmes ne sont donc pas, à proprement parler, l’image de l’argent tel qu’il existe pour nous aujourd’hui, mais elles occupent bien la fonction occupée à l’origine par cette marchandise particulière avec des propriétés physiques particulières (un métal) avant qu’elle ne devienne « équivalent général » – cet « avant » n’étant pas à comprendre au sens chronologique, mais au sens logique.

Pour conclure, le détour parce parallèle entre la présence des femmes dans l’espace publicitaire et l’analyse de Marx concernant la marchandise permet de faire apparaître que la dénonciation par les féministes de la « femme-objet » ne doit pas être réduite à un simple motif d’indignation. Il faut comprendre que cette réduction au statut de forme-équivalent correspond à la structure même de la production marchande.


Saliha Boussedra est doctorante en philosophie à l’université de Strasbourg. – La revue du projet – Juin 2017


 

6 réflexions sur “La marchandise et le corps des femmes dans les publicités

  1. fanfan la rêveuse 30/11/2017 / 7h54

    J’adhère à cette publication !
    Bonne journée Michel et merci pour le partage de toutes ces informations 😉
    🙂

    • Libre jugement 30/11/2017 / 10h33

      Bonjour Françoise,

      Je suis loin d’être un spécialiste de l’authentification de l’information sur un thème donné (d’ailleurs qui le peut ?). Dans la mesure de mes moyens, de mes petites connaissances, j’essaye de trier « le bon grain de l’ivraie » en recoupant l’information, en utilisant pour cela diverses sources.

      Certes à force de lire se forgent des appréciations, des idées de peaufiner, des thèmes à explorer, ou encore le sentiment d’une nécessité à dénoncer des dérives …
      Restera toujours quelques inconnues avant de poster un article, fais-je le bon choix de l’info, suis-je assez objectif, etc.

      En vous souhaitant une belle journée.

  2. alstamatiouphotographies 30/11/2017 / 17h56

    Un bel article, pour un sujet qui est devenu délicat et que on ne plus parler librement sans être traités de porcs ou de cons si on utilise des phrases « bateaux » comme dans la pub.

    Bref pour revenir sur l’article, certaines pubs vont bien loin surtout celles des cosmétiques, certaines images sont a la limite de l’interpellation sexuelle de la femme, chose que j’ai toujours trouvé dégueulasse et irrespectueuse par a rapport a la femme. Même si c’est a tout chacun de faire la différence. Maintenant pour ce qui est des image de lessive je pense que les féministes abusent. Je ne sous estime pas les femmes parce qu’elles font la pub de produits de maison comme je ne prend pas les hommes pour les Dieux car ils sont dans les pubs de voiture. C’est une question de respect et d’éducation qui peut être donné a tout le monde. ET malheureusement quoi qu’on fasse il y aura toujours des gens pas respectueux envers les autres.

    C’est comme l’écriture inclusive, d’une part c’est ridicule de l’autre c’est pas parce qu’on féminisera des noms que les gens vont respecter plus les femmes, ceux qui ne les respecteront pas trouveront peut être même une occasion de dire par exemple madame la procureureeeeee sur un air hautain et moqueur…Bref faut apprendre. En anglais par exemple on dit you (toi, tu) au tant pour le singulier que you (vous) pour le pluriel. A ce que je sache les Anglais n’ont jamais voulu inventer un autre mot que you pour le pluriel……vous voyez ce que je veux dire?

    • Libre jugement 30/11/2017 / 18h06

      Bravo bien beau commentaire.

      Il faut dire que j’avais très peur en « postant » cet article « un peu hard », pas dans le sens sexuel, mais dans son assimilation philosophique, et d’autre part après tous « les débordements » autour du harcelement … Sera -t-il lu dans le bon sens !

      Merci pour ce commentaire
      Cordialement

      • alstamatiouphotographies 01/12/2017 / 10h19

        Merci pour ce retour, je suis content de pouvoir m’exprimer au sujet donc j’ai un avis. Et pour approfondir ma réponse quand aux respect de l’autre je vais prendre 4 exemples de mon double voyage en Irlande en 2015 et 2016.

        Exemples de respect et de pas respect.
        Premier exemple de politesse et de respect. En Irlande les visites organisés par car sont très répandues. Étant donné que en 15 je suis aller que pour une semaine j’ai opté pour l’option car a deux reprises chose qui m’a permis de visiter plusieurs villes alors que j’étais logé a Dublin. Bref lors de la visite avec le car on s’arrête a une aire d’autoroute pour le petit déjeuner et pour acheter de bouteilles d’eau et autres. Arrivant au rayon bouteilles un employé était entrain de re alimenter les étagères de bouteilles. Comme il a vu que je voulais prendre une bouteille il s’est retiré de sa propre personne en me parlant poliment avec les formules de politesse que seul les anglophones ont. Il m’a demandé pardon etc….j’ai été épaté. Maintenant toujours en 15, la soeur de la femme de mon frère habite en Irlande avec son petit ami. Un soir on se balade au tour de Dublin (les villages proches) et en arrivant au port d’un des ses villages j’avais envie de faire des photos. il y a une bande d’ados qui sont venu m’embêter enfin surtout un qui voulait faire le kek (désolé je ne sais pas comment ça s’écrit mdr) auprès de ses copines. Du coup il se mettait devant mon appareil pour m’empêcher de faire la photo. Pas très malin car a deux pas derrière lui il y avait l’eau du port hahaha. Je ne l’ai pas poussé bien évidement, je ne lui a pas donné trop d’importance du coup il s’est fatigué même si il s’est remis encore une fois devant l’objectif. Tant mieux pour lui qu’il soit parti car le petit ami de ma belle soeur avait détaché sa ceinture et avait a moitié ouvert la porte….
        Bref maintenant au voyage 16 j’ai deux autres exemples. Je suis resté 4 jours a Dublin en tout du début et a la fin de mon séjour. Au début pendant la journée j’ai visité plusieurs villages environnants en utilisant le train. Un jour j’arrive a la station mais je ne sais pas sur quel quai il fallait monter du coup je vois des filles en uniforme et je leur demande quel quai il faut que je prenne. Une d’elle me réponde poliment mais comme elle ne savait pas elle me demande pardon avec les formules de politesse bien a eux et c’est un de ses copines qui me donne le renseignement. La petite rousse au yeux bleus qui m’avait parlé en premier et qui s’est excusé de ne pas savoir j’avais envie de lui faire des bisous tellement elle m’a enchanté la journée…lol
        Et dernier exemple fin du séjour 16 retour a Dublin avec S.(petit ami) et E.( belle soeur) on va dans un pub pour voir Irlande Nouvelle Zélande( le glorieux soir ou l’Irlande a battu les blacks) On était au deuxième étage sur une sorte de balcon qui donnait sur l’écran super géant du rez de chaussé du pub. A un moment deux lascars bourrés se mettent devant le balcon et ainsi nous empêchent de voir le match. Au début seul S. se lèvent pour leur demander de partir. AU début ils partent mais après reviennent. la du coup avec S on se lève et on les prend en sandwich. Un des lascars part l’autre reste. Il commence a pousser S. alors que ce dernier lui demandait gentiment d’aller se mette ailleurs. Sur le coup j’ai serré mon poing et j’étais prêt a lui mettre une droite. Mais le gars a eu un moment de lucidité et a demandé pardon. A contre coeur je lui est fait un check et S. avec.
        Bref ces 4 exemples pour montrer que le respect n’est qu’une question d’éducation et que les féministes se font des films en 3D si elles croient que en féminisant un maximum de mots les gens respecteront plus les femmes….

        • Libre jugement 01/12/2017 / 10h33

          Que dire de plus, si ce n’est que malgré tout « le respect se perd » sauf auprès des personnes plus « civilisées ».

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