Un paradoxe

Écouter les mots par François Taillandier. Moi qui ne rate pas une occasion de pester contre l’invasion de l’anglais et contre le mauvais français de tant de politiques et de gens de médias, je serais bien mal venu de regarder de haut l’attachement aux langues régionales ou minoritaires – mépris que certains de mes correspondants ont cru parfois déceler, et qui n’est pas le mien.

Écrivain français passionnément attaché à sa langue, je suis même le mieux placé pour comprendre chez un autre une passion semblable.

Ce sont bien sûr les événements de Catalogne qui me ramènent à cette problématique – et aussi à ce que j’estime être un paradoxe. Oui, l’attachement à une langue, reflet d’une histoire et d’une culture, est légitime, surtout quand cette langue a été brimée ou méprisée à certaines périodes. Mais la réinstauration appuyée d’un idiome géographiquement limité, et peu ou pas compris hors de cet espace, ne comporte-t-elle pas le risque d’un enfermement ?

La Catalogne est, je crois, une région qui se veut moderne, ouverte à l’échange, à l’Europe, au monde. Peut-on imaginer qu’elle tournerait le dos à l’espagnol – pardon : au castillan – qui a essaimé un peu partout sur le globe ?

On peut pressentir ce qui arriverait alors : c’est l’anglais international qui raflerait la mise. « Catalunya, next State in Europe », disait naguère une banderole de manifestants. J’ai entendu justifier ce petit fait par la nécessité que tous les journalistes présents comprennent. Tiens, tiens. Étrange symbole… ou signe avant-coureur.

Enfin (et ceci est vrai pour d’autres régions, en France aussi), un certain nombre de gens paraissent oublier que la Catalogne n’est pas exclusivement peuplée de Catalans d’origine, pas plus que la Bretagne de Bretons ou la Corse de Corses.

L’invocation de la « souche », tant décriée ailleurs, se parerait-elle de charmes nouveaux, au motif qu’elle émanerait d’une région naguère opprimée par un État ultracentralisé ?

L’ethnicisme est une idéologie qui existe aujourd’hui en Europe ; il y a des gens pour entreprendre de décompter le nombre d’Auvergnats, de Gaéliques ou de Bavarois – quand ce n’est pas de juifs (si, si, j’ai vu le document).

Notre langue ne provient pas de l’ADN comme la couleur de nos cheveux ou la complexion de notre squelette. Elle est un fait de culture, d’histoire et d’appartenance à une société. Ne la faisons pas servir à autre chose qu’à nous relier, ou, pour employer un mot plus moderne, à nous connecter.


François Taillandier Source


 

5 réflexions sur “Un paradoxe

  1. Pimpf 03/11/2017 / 10h55

    Très beau texte auquel j’adhère, je suis pour conserver les langues locales et garder cette richesse locale, car nous gardons ainsi des traditions locales.

    Je ne suis pas très fan des aspirations indépendantistes de toutes ces zones, cela va à l’encontre du fonctionnement que l’on voudrait de nos pays, au lieu d’essayer d’avancer en commun (même si de base ce n’est pas facile, on va plus vers une attitude isolationniste que j’ai beaucoup de mal à comprendre).
    Voir l’histoire : l’AEF, les protectorats -Maroc, Tunisie- l’Algérie département français, l’Indochine, Les comptoirs de l’Inde, etc.
    Merci de ce partage des plus intéressant.

    • Libre jugement 03/11/2017 / 11h13

      Dans la recherche de compréhension d’un événement, je m’oblige à chercher constamment dans les informations de provenance diverses, j’ai trouver que ce texte faisait contrepoint à l’indépendantisme observé en Catalogne … et que soulèvent/souhaitent certains de Corse, etc.

      Sur l’indépendance vis à vis de la mère patrie, si vous me le permettez, le problème est peut-etre tout autre pour la Polynésie, Guyane, Martinique, Guadeloupe, St pierre et Miquelon, quant aux malgaches … etc. Ce ne sont en réalité que des postes stratégiques, utilisées a des fins géopolitiques ou/et d’intérêts pour des minerais, c’est en somme une colonisation commerciale forcée et dans ce cas précis il me semble que rendre aux autochtones leurs indépendances afin qu’ils retrouvent leurs origines est d’une grande logique.
      Merci de votre passage sur mon blog
      Cordialement

  2. bernarddominik 03/11/2017 / 11h38

    Tout à fait d’accord . En vacances en Cerdagne il y a plus de 50 ans, j’avais été impressionné par l’usage courant du catalan, alors que chez moi, en Provence, le provençal n’était plus parlé que par une élite « les felibriges ». Mais, côté français, je n’ai jamais entendu de revendication d’indépendance, d’ailleurs même en Corse, il y a plus de corses à Marseille qu’en Corse, et le retour de tous ceux qui se revendisuent corses en Corse y poserait de gros problèmes, et je n’ai jamais entendu un corse réclamer l’indépendance. La solidarité est une composante des pays, et je me demande si les catalans du « principat » (d’Espagne par oppositions aux comtés en France) en ont conscience. Mais j’avoue être mal à l’aise sur cette question tant l’Espagne me semble une réalité, certes diverse, mais une réalité. Les basques seraient à 85% opposés à cette indépendance (!)

  3. bernarddominik 03/11/2017 / 12h05

    Je précise ma gêne: on a donné son indépendance au Kosovo, on a laissé l’Allemagne détruire la Yougoslavie (elle a toujours été contre le traité de Versailles) , alors refusé aux catalans ce qu’on a donné aux autres me gêne, si, et ça reste à prouver, il y a réellement une majorité de catalans pour l’indépendance.

  4. Jean-Jacques Badeigts 03/11/2017 / 19h14

    Associer indépendance à ethnie est souvent le comble de ceux qui recherchent l’isolement, voire l’isolationnisme comme si l’indépendance changeait le système d’exploitation qui opprime l’homme. Préserver une langue, moi qui suis béarnais et dont ce « patois » a été mon premier mode d’expression inutile de dire que je suis pour car le langage est porteur de culture et de manière de penser, de construire. La diversité, le mélange et l’échange font progresser l’humanité, chacun étant enrichi par l’apport de l’autre alors que les frontières séparent servant de paravent au rejet de l’autre. Non aux nouvelles frontières oui à la communauté et à l’échange de tous les être humains sans distinction de couleur et d’ethnie.

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