Une jeunesse paupérisée.

L’image sociale des jeunes en cette année 2017 est paradoxale. D’un côté, il y a dans l’air un « jeunisme » permanent, envahissant (dans le commerce, les média, la mode, une certaine actualité économique version start-up, etc.) qui donnerait vraiment l’impression que cette catégorie a la cote.

C’est le jeune consommateur qu’on caresse.

Dans le même temps, pour nombre de média, les jeunes cumuleraient bien des tares, et seraient volontiers assimilés à une classe dangereuse. C’est le jeune citoyen qu’on vilipende. Ce sont souvent les mêmes qui véhiculent ces deux topos, pleins de mépris ou/et d’ignorance. Dans le même ordre d’idées, le discours dominant oscille entre plusieurs visions caricaturales : le jeune de 2017 serait de la « génération Bataclan », amoureux de Sting et volontiers nostalgique (?) des années 1970 – une rhétorique que l’on retrouve volontiers dans les colonnes de Libération. Alors que la droite, elle, joue au père fouettard.

Cette droite est très en pointe dans l’entreprise de culpabilisation de la jeunesse. Aux éditions du Cerf, par exemple, Alexandre Devecchio, dans Les Nouveaux Enfants du siècle, force le trait en classant les jeunes en trois catégories :

  • « les islamistes, volontiers antisémites, [qui] détestent ce pays qui les a vus naître »;
  • une autre partie « qui a fait du Front national son parti fétiche »;
  • une troisième, « contemptrice de l’idéologie libérale-libertaire, qui refuse d’un même bloc la croissance illimitée et le consumérisme, la théorie du genre, la procréation médicalement assistée et l’asthénie spirituelle de l’Occident moderne ».

Fermez le ban.

Ainsi, non contente d’être socialement maltraitée par la société, la jeunesse se voit fustigée. Une double peine en quelque sorte.

Mais les résultats du premier tour de la présidentielle, ainsi que des recherches récentes permettent de porter un regard plus pertinent sur la nouvelle génération. Ainsi cette étude, déjà citée, de l’INSEE (novembre 2016), intitulée « Travail, éducation, école: la jeunesse française sous la loupe de l’INSEE ». Différents angles d’attaque donc: l’enseignement, le logement, la réussite scolaire, l’insertion sur le marché du travail. On y apprend que :

  • les non-diplômés rencontrent de plus en plus de difficultés en matière d’emploi ;
  • que les jeunes, entre 18 et 24 ans, sont six sur dix à vivre chez leurs parents;
  • que les 10/25 ans sont davantage victimes de violences.

Autre étude notable, celle du CREDOC (Centre de recherche, d’étude et d’observation des conditions de vie), une recherche qui concerne quatre mille jeunes. Le « baromètre » 2016 (n° 337) du centre s’est penché sur la génération des 18/30 ans, un âge où les questions d’emploi, de logement et d’installation en couple se sont toujours posées, le plus souvent dans cet ordre chronologique. Aujourd’hui, cet ordre est bouleversé, souvent inversé ou peut même être réversible.

L’indépendance des jeunes est tardive.

Et cette catégorie s’avère extrêmement vulnérable. L’étude est organisée en trois grandes parties:

  • le regard des jeunes sur la société ;
  • leur engagement citoyen ;
  • leur accès aux droits.

Sans surprise, on observera que le niveau de confiance dans les autres, dans la société, dans l’avenir s’accroît à mesure que s’accroît le niveau de vie des sondés. Fragilisés, les jeunes connaissent une « paupérisation relative ». Et ils considèrent que leurs conditions de vie vont se détériorer dans les cinq prochaines années. Ils ont été très sensibles aux attentats, partagent un sentiment d’insécurité d’autant plus fort qu’ils ont l’âge des victimes et des bourreaux.

Ils portent plutôt un regard positif sur les relations hommes/femmes, ou intergénérationnels, ou entre jeunes d’origines diverses ; ils se montrent plus ouverts que leurs aînés, et considèrent la diversité comme une richesse. Pour eux, les principales tensions passent entre riches et pauvres, entre patrons et salariés…

Leur niveau d’engagement est fort, en hausse en 2016 sur 2015. Huit jeunes sur dix sont bénévoles ou prêts à donner de leur temps. S’ils limitent leurs activités solidaires, c’est par manque de temps et par « intensification du temps » : neuf jeunes sur dix ont une autre activité, tout en regardant la télévision…

Le service civique est vu d’un bon œil.

Quatre jeunes sur dix seraient prêts à s’y engager avec, pour premier moteur, l’envie d’être utile à la société. Ils ressentent un fort déficit d’écoute : la moitié des jeunes estiment que leur avis ne compte plutôt pas. Pour exprimer leur opinion, ils mobilisent (plus du tiers) Internet. Il y a une réelle attente vis-à-vis des pouvoirs publics pour accéder à l’autonomie. Leur mobilité internationale est relative : un jeune sur sept est parti à l’étranger au cours des cinq dernières années, dont quatre sur dix pour poursuivre des études et la moitié pour des raisons professionnelles. Ils manquent d’information sur leurs droits sociaux: c’est le premier motif de non-recours à ces droits.

Pour clore le tableau, l’enquête du CREDOC livre ce chiffre douloureux : en 2015, un grand nombre de jeunes ont renoncé aux soins pour des raisons financières. C’est de l’ordre d’un jeune sur quatre, un chiffre en constante progression ces dernières années.

Dernier élément pour mesurer cet engagement, et non des moindres : le vote jeune lors du premier tour de la présidentielle. Avec 30 % des voix, Mélenchon est arrivé en tête chez les 18/24 ans, devant Le Pen (21 %), Macron (18 %) et Hamon (10 %).


Gérard Streiff – Lu dans « LA REVUE DU PROJET » N° 68, Juin 2017