La culture, sert la construction de l’émancipation.

Accès pour tous aux savoirs, enrichissement mutuel, éveil de l’esprit critique… l’éducation populaire, par ces valeurs, incarne une promesse de liberté.

Au coeur de tous les élans progressistes, du Front populaire au Conseil national de la Résistance (CNR), elle reste cependant une conquête à mener au quotidien.

Le 27 mai 2015, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Germaine Tillion, Jean Zay et Pierre Brossolette entraient au Panthéon. Hommage était ainsi rendu à leur courage, mais aussi à leur engagement en faveur de l’éducation populaire, élevée au rang de patrimoine national. Ces grandes figures de la Résistance partageaient une préoccupation commune : la prise en compte de tous les citoyens, hommes et femmes, comme « capables » de culture et détenteurs de savoirs et de compétences.

En 1792, dans son rapport sur « l’organisation générale de l’instruction publique » à l’Assemblée législative, le marquis de Condorcet défend l’idée que le genre humain est partagé entre deux classes : « celle des hommes qui raisonnent et celle des hommes qui croient; celle des maîtres et celle des esclaves. » Il fait des propositions concrètes dont on pourrait encore aujourd’hui s’inspirer: « Il serait très facile dans les écoles, dans les jeux de gymnase, dans les fêtes, d’exercer les enfants à la pratique des sentiments les plus nécessaires à fortifier dans leur âme, tels la justice, l’amour de l’égalité, l’indulgence, l’humanité, l’élévation de l’âme. »

Ainsi se trouvaient énoncés les principes qui ont animé – et animent toujours – les associations d’éducation populaire pour la jeunesse, comme les patronages laïcs, crées par les Francas ; les Ceméa (Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active) ; la Fédération Léo Lagrange; la Ligue de l’enseignement, créée par Jean Macé en 1866 ; les Éclaireuses et Éclaireurs de France et les conseils municipaux d’enfants, véritables laboratoires d’apprentissage du civisme et de la démocratie. Sans oublier la JOC (Jeunesse ouvrière chrétienne) et la JAC (Jeunesse agricole chrétienne). L’éducation populaire est également au coeur de la mission que s’est donnée le SPF, dès sa création, et son mouvement d’enfants Copain du monde, qui ne cesse d’essaimer y compris à l’étranger, en témoigne.

Le SPF s’inscrit ainsi dans cette démarche initiée par le Front populaire en 1936 sous l’impulsion de Jean Zay, nommé par Léon Blum au ministère de l’Éducation nationale et des Beaux-Arts. Reconnue d’utilité publique, l’éducation populaire devait permettre au plus grand nombre l’accès au savoir et à la culture et plus largement d’acquérir les valeurs inhérentes à la citoyenneté, de développer en l’homme la conscience de ses droits et de ses devoirs au sein de la société.

Mais aujourd’hui qu’est-ce que l’éducation populaire?

Léa Laval, chercheuse en sociologie, la définit comme « un ensemble de moyens culturels, d’apprentissages mutuels et d’inter-influences, qui visent à entretenir l’esprit critique sur la réalité sociale et les pratiques d’émancipation pour sa transformation. » Le 27 janvier dernier, pour célébrer les 10 ans de ses séminaires populaires, le Secours populaire avait ainsi organisé un débat à Paris, au Centre national et de culture Georges-Pompidou, sur le thème « l’accès à la culture : facteur d’émancipation ».

 

La culture, créatrice de liens sociaux

La pauvreté entraîne une coupure avec le monde extérieur. Elle isole les personnes qui en sont victimes. Les activités culturelles, comme extra-scolaires, sont trop onéreuses pour nombre de foyers vivant dans la précarité. Leur quotidien est souvent réduit à la nécessité de subvenir aux besoins vitaux. Pourtant, l’accès aux savoirs, immense fenêtre sur le monde, est indispensable pour vivre pleinement et donner un sens à son existence. La démarche de se cultiver, d’apprendre, de se confronter à d’autres points de vue permet de créer des liens sociaux, elle donne à l’être sa dimension de sujet, qui devient acteur de sa vie. (…)

L’éducation populaire, souvent à tort confondue avec l’animation socioculturelle, doit ainsi être distinguée de la notion de « loisir ». L’indigence de nombreux programmes télévisés ou radiophoniques a tendance à confiner le public dans un rôle de consommateur. Les plus anciens se souviennent avec nostalgie des grandes heures d’une télévision qui répondait à sa mission de service public, à l’époque de l’ORTF: « Aujourd’hui, on est dans une culture de la représentation et de la distinction », note Daniel Mermet, qui n’oublie pas qu’il a grandi en banlieue, dans un milieu modeste. « Il s’agit d’une culture de la consommation et de la distraction, pour le plus grand nombre, ou juste pour l’élite qui va au théâtre avant de dîner. Cette prétendue élite méprise le rap, par exemple, qui est une nouvelle culture et, quoiqu’on en pense, qui est populaire (…). j’ai été nourri de culture à l’époque du Théâtre national populaire, qui allait chercher le public populaire là où il travaillait, aux ateliers Renault de Boulogne-Bil­lancourt, entre autres. Depuis, je sais que la lutte des classes passe par la culture. Les gens « d’en bas » produisent aussi de la culture, ne l’oublions pas, et cela va de l’accordéon au rap », ajoute le journaliste.

L’ancien ouvrier et syndicaliste Jean-Michel Leterrier se souvient avoir découvert le théâtre grâce à l’acteur et metteur en scène Antoine Vitez : « Je ne partais pas de zéro. J’avais la culture du travail, qui est structurante. Accéder à la culture s’apparente à la quête du graal. Mais quand on sait que le budget qui lui est alloué n’a jamais dépassé 1%, comment s’étonner que de profondes inégalités, des ségrégations sociales et culturelles perdurent? Seulement 3 % de la population va à l’opéra et 13 % au théâtre. La culture n’est pas un but mais un moyen, une énergie : celle de vouloir se dépasser. De voir plus large, plus haut. » (…)


Guillaume Chérel – Revue convergence N°353 – Mars/Avril 2017