Libéralisme, Autarcie, Racisme : fondamentaux FN de l’anti-démocratie.

  •  Note 1 – Je fais appel aux mansuétudes de l’auteur de l’article et du mensuel « Le Monde Diplomatique » pour avoir publié contrairement aux règles établies, une très grande partie de l’article ci-dessous. Il explique parfaitement le phénomène des intentions ou des votes FN. Un regret, de constater que l’article dénonçant fort bien le parcours ayant amené à … ne propose aucune solution comme si l’arrivée au pouvoir du FN était inéluctable. Faut-il attendre avant de s’en prémunir ou réagir ?    MC

Question préalable : Combattre un parti impose-t-il de condamner ceux qu’il a réussi à séduire ? (…)

J’ai participé [c’est le narrateur qui s’exprime] (…) à des coups de poing contre les meetings du Front national (FN), à la dénonciation d’« affaires » où il était impliqué, à des démonstrations « expertes » de l’incohérence de ses programmes, etc. Ces indignations n’empêchent pas les votes Le Pen. (1).

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Depuis trois ans, nous habitons l’Aisne, ma compagne et moi, (…) entre champs de betteraves et forêts, des perdrix, des faisans. Un hameau de vingt maisons. Hors deux couples qui s’invitent, personne ne fréquente personne (beaucoup de retraités restent cloîtrés). Nous avons pour quasi-voisins, à dix minutes de route, Éric et Anissa. (…)

Éric, 48 ans, est ouvrier qualité dans l’emballage industriel, polyester, PVC plastifié. Avant, il a travaillé pendant seize ans chez Saint-Gobain, mais à Soissons : « Tout ce qu’est verre, c’est foutu. »

Anissa, 43 ans — dont les parents sont venus du Maroc dans les années 1970 — est vendeuse dans l’habillement.

Anissa et Éric sont mariés, économisent et achètent en location-vente « une vraie maison, une en pierre », dit Anissa.

Au boulot, Éric a des stagiaires, mais « à peine s’ils t’écoutent, y en a que pour leurs trucs vidéo, ils se droguent… L’autre fois, y en a un qui me dit si je pouvais lui faire un mail pour qu’il voie comment marche la machine… Je venais de lui dire : il a pas d’oreilles ou il me prend pour un con ». Est-ce que la boîte va tenir ? « C’est tout amerloque, même l’accueil, t’y comprends que dalle et ça licencie, ça licencie, personne empêche. »

Éric et Anissa nous donnent des laitues, des courges, des radis. On leur donne des noix, des framboises. On prend des apéros.

Éric, un soir, m’a dit avoir « longtemps été un peu raciste », mais qu’il ne l’est plus depuis qu’ils sont allés au Sénégal (au Club Med, leur seul voyage). Le soir, c’était des parties de dominos « à plus en dormir » avec le personnel de l’hôtel, « des mecs balaises ». Ce qui l’avait « rendu un peu raciste », c’est qu’Anissa a « failli se faire revirer, parce qu’elle a accepté le chèque d’un Noir, un jeune, une grosse somme en plus, mais c’était un faux… Pourtant elle a demandé la carte d’identité ».

Une fin d’après-midi dans sa serre, l’air s’était alourdi sur la fertilité grasse du sol — mais nous avions enquillé les verres —, Éric me dit : « Tu répètes pas à Anissa, vu que t’es parisien, elle veut pas qu’on te dise, j’ai voté Marine, moi, deux fois… Quand je l’entends, elle me fout les poils cette femme… Je sais pas, c’est comme elle parle des Français, t’es fier…

Le parti à la Marine, dans le coin, je connais des gens qu’il a bien aidés… J’étais près de payer ma cotise et tout, mais j’ai arrêté, même de voter… On a été fâchés un an pour ça avec Thierry et Marie-Paule… Elle, c’est une rouge, elle bosse au collège, à la cantine… Moi j’étais pas fâché, c’est une connerie… Ils voulaient plus nous voir. Toi, tu te fâcherais pour ça ? Tu trouves que c’est grave, toi ? »

Je n’ai pas répondu, j’étais ivre, et dans la senteur âcre, profonde, des verdures de la serre, j’étouffais. Je n’ai pas trouvé ça grave non plus. Peut-être parce que mon existence s’était resserrée autour de ce hameau isolé ?

  • Peut-être parce que, depuis trois ans, des militants [œuvrant contre le FN en region parisienne], je n’en vois plus autant ?
  • De « 100 % militant », je suis devenu « militant en retrait », moins pris par les groupes auxquels j’ai donné tant.
  • Peut-être parce qu’avec la reconnaissance dans le milieu restreint où ma vie militante est « validée », je n’ai plus à prouver que je suis un militant modèle ?
  • Peut-être parce qu’Éric est une de ces personnes qu’on quitte en étant de meilleure humeur ?

À chaque aller-retour à Leclerc ou Carrefour, je croise des gens sans le sou, abandonnés. Alentour, des routes au goudron troué, des départementales parfois fermées… Dans les bourgs traversés, il n’y a plus ni bureau de poste, ni médecins, ni infirmières, ni pharmacie, quasiment plus de bistrots, pas d’accès Internet, mais des magasins clos et parfois, aux fenêtres, des drapeaux bleu, blanc, rouge.

Des classes de primaire et des églises ferment. Les associations de sport mettent la clé sous la porte. Les sociétés de chasse et les majorettes se renouvellent mal. Le volume des impayés EDF (5) explose. Les jeunes s’enfuient dès qu’ils peuvent. Les dénonciations de voisins au centre des impôts augmentent, les violences intrafamiliales et les « dragues » des filles à la limite de l’agression aussi. Pas d’emplois. Dans chaque village, des maisons anciennes et détériorées, en vente. À Noyon, Chauny, Compiègne, Soissons, hiver après hiver, des trains sont supprimés. Dans la campagne, les cars circulent de moins en moins.

Les lieux de rencontre se disloquent

Et puis, à l’entrée des bourgs, des panneaux jaune vif, un œil (iris bleu ciel) au centre, avec l’avertissement « Voisins vigilants » (les cambriolages sont pourtant exceptionnels). Ici, tout se dégrade continuellement depuis vingt ans. Ce ne sont pas seulement les lieux de rencontre qui se disloquent (faute de gens pour s’en occuper) ; les moyens d’y accéder disparaissent eux aussi : les routes, l’argent, les réseaux d’accès.

Les communes entre Chauny, Soissons, Noyon, Vic (sauf rares ghettos de riches) sont quasi ruinées. Les anciens sont trop pauvres pour secourir leurs enfants, et les enfants sont trop pauvres pour secourir leurs parents. C’est dans ce contexte que le FN réalise des scores élevés (6).

Le frère aîné d’Éric a hérité de la ferme familiale de cent vingt hectares. Éric lui donne des coups de main. Ils ont résisté mais se résignent à vendre. Seule la vaste monoculture de betteraves rapporte. Les petits exploitants se débarrassent comme ils peuvent des terres, achetées à bas coût par les gros propriétaires (dont les familles contrôlent fréquemment les mairies). Éric et son frère ont trois chevaux. Ils ne savent qu’en faire : cela coûte trop. La location-vente est un investissement lourd. Les travaux de rénovation de leur maison sont arrêtés.

Pour Anissa comme pour Éric, le chômage menace. Dans leur hameau et aux environs, les voisins sont des personnes âgées pauvres ou des salariés sans travail (souvent un sur deux dans chaque couple). Mais ceux qu’ils appellent des « Parisiens », et qui semblent « se la couler douce », habitent là aussi : des familles de cadres ou de professions libérales (en poste à Compiègne, Soissons, Amiens), qui rachètent pour leur « caractère » (et leur prix) des bâtiments de ferme (qu’ils refont).

Au travail, Éric estime qu’il n’est pas respecté par « les jeunes » : pourtant, il s’occupait d’une équipe de cadets, mais son club de foot a fusionné avec un autre. à vivre là, immobilisé dans un espace en déclin, impuissant face à l’écroulement d’un monde qui ne « tient plus », alors qu’il avait cru pouvoir s’en sortir (de la ferme) et que son territoire se peuple de « Parisiens », comment Éric pourrait-il se sentir « fier » ?

Le vote d’Éric, je ne l’ai pas trouvé « grave ». Je l’aurais spontanément détesté le 21 avril, invectivé même, le jugeant « super grave ». Mais je peine aujourd’hui à voir en lui l’« ennemi principal ».


Willy Pelletier, Coordinateur, avec Gérard Mauger, de l’ouvrage collectif Les Classes populaires et le FN. Explication de vote, à paraître en janvier 2017 aux Éditions du Croquant, en collaboration avec la Fondation Copernic. Ce texte est extrait de la contribution intitulée « Contre l’ethnocentrisme militant ». – Le Monde Diplomatique – titre original de l’article « Mon voisin vote Front national » – Source (Extrait)


  • Note 2 : certaines références peuvent ne plus correspondent fonction de l’extrait de texte restant. MC

  1. Claude Grignon et Jean-Claude Passeron, « Racisme et racisme de classe », Critiques sociales, n° 2, Treillières, décembre 1991.
  2. La Ligue communiste révolutionnaire (LCR), à laquelle a succédé en 2009 le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA).
  3. Lesbiennes, gays, bi et trans.
  4. Partie du Web non indexée par les moteurs généralistes.
  5. Électricité de France.
  6. Dans l’Aisne, aux élections régionales de 2015, la liste « Marine Le Pen » est arrivée en tête avec 43,5 % des suffrages exprimés, contre 25 % pour la liste de droite conduite par M. Xavier Bertrand, qui l’a emporté au second tour grâce à un report massif des votes de gauche.

 

2 réflexions sur “Libéralisme, Autarcie, Racisme : fondamentaux FN de l’anti-démocratie.

  1. Danielle ROLLAT 02/01/2017 / 14h55

    Tragique, mais hélas réaliste.

    • Libre jugement 02/01/2017 / 15h00

      Oui, ce texte décrit parfaitement … hélas, une partie de la société et un certain « malaise » actuel.

      Mais quel sera le % au jour des votes tant il est difficile de s’y retrouver avec toutes ces infos contradictoires.
      Tout va dépendre de la primaire du PS et de la « posture » de la gauche, surtout du pouvoir qu’auront les candidats (sérieux ! oui … il y en a parmi le 30-40 se déclarant !) a faire entendre leur programme et ce même si certains médias s’ingénient a présenter cette élection présidentielle et les législatives qui suivront, comme une vaste kermesse festive. Il ne faudra pas mollir mais plutôt tout mettre en œuvre pour faire valoir les programmes et ce qu’ils impliquent par la suite dans la société pour les cinq ans a venir.

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