Qui sont les rebelles syriens ?

Il faut louer le travail des journalistes d’investigation dans cette région du globe, tant est complexe l’entrelacs des conflits actuels. À entendre l’ensemble des médias français schématisant selon un cadre (certainement fortement orientée par …) déterminée par le ministère des affaires étrangères français couvrant divers intérêts, il y aurait d’un côté des bons, de l’autre des méchants. Ceci variant selon l’arbitraire et l’orientation du narrateur.

La réalité du terrain est tout autre et Sont bien imprudent celles, ceux analysant et formulant une vérité sur cet imbroglio où d’autres optent pour un pyrrhonisme de circonstance … à moins que ce ne soit par intérêt.  MC

 

(…) … de l’opposition armée au régime de M. Bachar Al-Assad, on discerne trois types de groupes : ceux qui combattent de façon autonome, ceux qui fusionnent entre eux et ceux qui coordonnent leurs assauts à travers une « chambre d’opérations » (ghourfat al’âmaliyyat).

À Alep-Est, où vivraient encore environ 250 000 personnes (1er quinzaine de dec), ainsi que dans les bastions rebelles proches, deux « chambres d’opérations » principales rassemblent au total entre 10 000 et 20 000 hommes.

  • La première, baptisée Jaïch Al-Fatah (Armée de la conquête), représente près d’un tiers des soldats rebelles. Elle est notamment composée du Front Fatah Al-Cham, l’ex-Front Al-Nosra (la branche syrienne d’Al-Qaida), et de ses alliés.
  • Plus modérée, la coalition Fatah Halab (Conquête d’Alep) rassemble plusieurs factions proches des Frères musulmans ou affiliées à l’Armée syrienne libre (ASL). Cette coalition représenterait environ la moitié des effectifs qui combattent le régime et ses alliés dans la région, selon Fabrice Balanche, maître de conférences à l’université Lyon-II.

Les 15 à 20 % restants correspondent à une dizaine de petits groupes indépendants sans idéologie clairement affichée, qui gravitent autour de ces deux pôles majeurs.

Dans l’ouest de la ville et ses environs, qui comptent près de 1,2 million d’habitants, les forces armées syriennes bénéficient du renfort de sept milices majoritairement chiites (1), dont trois très actives. Celles-ci ont largement contribué aux contre-offensives menées depuis début septembre pour maintenir le siège des quartiers est.

  • Harakat Hezbollah Al-Nujaba (Mouvement des nobles du parti de Dieu) est une milice irakienne idéologiquement proche du Hezbollah libanais. Selon Stéphane Mantoux, spécialiste des questions de défense en Syrie, elle compterait entre 4 000 et 7 000 hommes. Elle participe par ailleurs à la bataille contre l’Organisation de l’État islamique (OEI) à Mossoul, en Irak.
  • À ses côtés, Liwa Fatemiyoun (Brigade des Fatimides), dont le nom fait référence au califat chiite fatimide (909-1171), se compose essentiellement de Hazaras, des Afghans chiites persanophones entraînés et armés par les gardiens de la révolution iraniens. Cette brigade, dont les effectifs varient entre 5 000 et 10 000 combattants pour l’ensemble de la Syrie, intègre aussi des mercenaires pakistanais.
  • Enfin, le Hezbollah libanais, présent en Syrie dès 2012, joue un « rôle moteur » à Alep, selon Fabrice Balanche.

Quatre autres milices soutiennent l’armée régulière, très affaiblie par cinq ans de combats et par de nombreux départs.

  • On y trouve des combattants sunnites venus des camps palestiniens d’Alep, une « antenne » du Hezbollah libanais en Syrie et deux autres groupes formés par les gardiens de la révolution iraniens, qui seraient au total entre 600 et 900 dans la région.
  • Enfin, les Faucons du désert, basés à Lattaquié depuis 2015, interviennent sporadiquement à Alep. Ils comptent des membres de Liwa Assad Allah Al-Ghaleb (Brigade du lion conquérant de Dieu)
  • des Libanais du Parti social nationaliste syrien (PSNS
  • les forces kurdes (Unités de protection du peuple, YPG), qui entretiennent un pacte tacite de non-agression avec l’armée syrienne depuis 2011, continuent de contrôler le quartier à majorité kurde de Cheikh-Maqsoud.

Des modérés difficiles à distinguer

Les motivations politico-religieuses des forces progouvernementales sont assez simples à appréhender. Qu’elles soient partiellement ou totalement inféodées à l’Iran, il s’agit pour les milices chiites d’empêcher la chute du régime alaouite et de faire obstacle à la prise du pouvoir par ceux qu’elles qualifient de « salafistes (2) » et de « takfiristes (3) ».

À l’inverse, dans le camp rebelle, le jeu des alliances et la multiplication tant des acteurs que de coalitions souvent éphémères rendent difficile la distinction entre « radicaux » et « modérés » que le cessez-le-feu de septembre était censé établir.

En outre, plusieurs de ces groupes opposés au régime se sont radicalisés par opportunisme, par obligation tactique ou par conviction.

La situation est d’autant plus difficile à appréhender que des groupes radicaux salafistes ont été ou demeurent affiliés ou associés à l’ASL, présentée par ses soutiens occidentaux comme le plus modéré des acteurs de la rébellion. C’est le cas de Liwa Chouhada Al-Yarmouk (Brigade des martyrs de Yarmouk), dans le sud de la Syrie, soutenue jusqu’à l’été 2014 par les États-Unis car affiliée à l’ASL, alors que ses hommes avaient déjà prêté secrètement allégeance à l’OEI, précise Fabrice Balanche.

La situation au sein de la coalition djihado-salafiste Jaïch Al-Fatah illustre cette difficulté à labelliser les acteurs de la bataille d’Alep et, ce faisant, de la guerre civile syrienne. Le Front Fatah Al-Cham (ex-Front Al-Nosra) a récemment rompu avec Al-Qaida, dans le but évident de se démarquer de son encombrante tutelle. Pour nombre d’observateurs, cette démarche symbolique ne vise toutefois qu’à faciliter le soutien financier et militaire que lui apportent ses parrains étrangers, notamment certaines monarchies du Golfe. De son côté, le groupe Ahrar Al-Cham (Libres du Levant), soutenu par le Qatar et la Turquie, a longtemps été proche de l’OEI avant d’en devenir l’ennemi juré début 2014.

Comme son partenaire au sein de la Jaïch Al-Fatah, Ahrar Al-Cham, qui est l’une des principales forces rebelles du nord du pays, tente désormais une reconversion en prétendant faire partie des « modérés ». Sur le plan politique, les deux entités, qui coordonnent parfois leurs actions, revendiquent la création d’un État islamique et l’application stricte de la charia. Mais Ahrar Al-Cham, mouvement syrien en termes d’effectifs, n’appelle pas à un djihad global. À l’inverse, l’ex-Front Al-Nosra accueille des combattants venus du monde entier et demeure ambigu sur sa volonté ou non d’agir en dehors du théâtre syrien.

On considère en général la coalition Fatah Halab comme plus modérée, car elle ne se réclame pas du salafisme et n’appelle pas au djihad en dehors du pays. Elle est proche des Frères musulmans, et certains de ses groupes sont affiliés à l’ASL. Or la nature de cette dernière a évolué au fil du temps, explique Fabrice Balanche : « L’ASL est loin de correspondre désormais à la perception que l’on en a en Occident, c’est-à-dire modérée et en faveur de la laïcité, du moins sur le terrain alépin. Les groupes ou les brigades qui lui sont affiliés ne sont pas djihadistes, certes, mais les Frères musulmans, qui y sont largement représentés, cherchent bel et bien à instaurer la charia. »

À l’exception de quelques divisions adeptes d’un discours plus nationaliste, mais qui pèsent peu à Alep, toutes les composantes de l’ASL relèvent aujourd’hui de l’islam politique, estime le géographe. Pour autant, dans un pays musulman où le référent religieux demeure prégnant, ce lien à l’islam ne doit pas être surinterprété. Pour Raphaël Lefèvre, spécialiste de la Syrie et enseignant à l’université d’Oxford, il n’y a pas, concernant l’ASL ou d’autres formations gravitant dans l’orbite de Fatah Halab, de signe d’un radicalisme de fond : « Même quand certains groupes se revendiquent clairement d’un référent idéologique que l’on peut qualifier d’islamiste, ils tiennent un discours qui met en valeur leur volonté de construire un État qu’ils appellent “civil”, dans lequel la citoyenneté serait attribuée à tous sans distinction religieuse et qui serait régi par un système parlementaire. » Pour lui, « il n’est pas surprenant de trouver, dans une ville largement peuplée de musulmans sunnites et si profondément liée à l’histoire islamique, un discours à composante religieuse. La scène rebelle à Alep emprunte des tonalités islamiques ou islamistes, sans être pour autant dominée par les radicaux du Front Fatah Al-Cham ou par l’OEI ».

De son côté, M. Ahmad Alhaj Hamid, alias Ward Furati, ancien membre du bureau politique du Jaïch Al-Moudjahidin — une formation membre de la coalition Fatah Halab —, dénonce la « quête aveugle d’étiquetage, notamment en Occident ». Selon lui, beaucoup mélangent les courants en ignorant les nuances idéologiques et religieuses. Il cite le cas de groupes appartenant au courant salafiste djihadiste, tel le Jabhat Ansar Al-Dine, qui ne pratiquent pas le takfirisme et considèrent que leur seul ennemi est M. Al-Assad.

« L’usage de la rhétorique religieuse islamique leur apparaît comme une nécessité vitale, insiste Ward Furati. Les commandants de toutes les branches de l’ASL nourrissent leurs combattants d’une pensée religieuse. Ces derniers ont besoin, en sus d’une conviction politique révolutionnaire, d’un ancrage religieux susceptible de donner un sens à leur combat et surtout à leur éventuelle mort, notamment pour ce qui concerne la vie post mortem. C’est le propre de notre société orientale du Machrek. Cela ne veut pas dire que tous les rebelles sont des radicaux et que leur projet politique est d’instaurer un État islamique régi par la charia. Même le régime adopte cette stratégie : ses troupes scandent souvent des chants religieux. »

Les partis ou les personnalités laïques de l’opposition qui vivent à l’étranger, tout comme les Frères musulmans, n’ont pas de bras armé officiel. En revanche, la Coalition nationale syrienne (CNS), principal organe politique de l’opposition plurielle et « modérée », se coordonne avec l’ASL -dont quelques brigades resteraient à l’heure actuelle- réellement laïques. Cette composante, qui vise la construction d’un État moderne et civil, n’est pas à négliger, si l’on prend en compte l’ensemble du territoire syrien. Ces brigades ont une présence encore assez consistante à Hama et à Idlib, et ont participé à plusieurs opérations avec les troupes turques qui ont envahi le nord du pays.

Parmi la nébuleuse des groupes rebelles, seuls quatre figurent sur la liste américaine des organisations terroristes. Il s’agit de l’OEI, du Front Fatah Al-Cham (ex-Al-Nosra), du groupe Khorasan, disparu depuis quelque temps des écrans radar, et de Jund Al-Aqsa (Soldats d’Al-Aqsa), depuis septembre 2016.

La liste européenne est encore plus succincte (le Front Al-Nosra et un groupe formé par des Marocains, disparu depuis 2014), tandis que de nombreux médias, entreprises et institutions pro-Assad font l’objet de sanctions.

En outre, le Hezbollah ainsi que le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), proche des forces kurdes syriennes, figurent également sur les listes de groupes terroristes établies par les États-Unis et l’Union européenne.

La Russie a une vision plus extensive. Elle souhaiterait le bannissement de davantage d’entités paramilitaires opposées au régime de M. Al-Assad, son allié, par l’établissement d’une liste commune avec Washington, en prélude à la résolution politique du conflit. Le Kremlin souhaite ainsi que l’ensemble de la coalition Jaïch Al-Fatah soit classée « terroriste ». Il tient des propos ambigus à l’égard de l’ASL et, pour Alep, de Fatah Halab. Mais cette position semble tenir davantage à l’évolution du rapport de forces militaire qu’à une distinction idéologique.

Bachir El-Khoury, Journaliste – Le Monde Diplomatique – Source (Extrait).


  1. Les alaouites, dont fait partie le clan Al-Assad, représentent une branche hétérodoxe du chiisme.
  2. Courant islamiste fondamentaliste dont les adeptes prétendent défendre la seule vraie religion, celle du Prophète et des pieux ancêtres (al-salaf al-salih).
  3. Inspirés par le mouvement Al-Takfir wa-Hijra, lui-même en rupture avec les Frères musulmans, les takfiristes prônent l’excommunication, y compris par la mort, de tous ceux qui ne suivent pas leur lecture littérale du Coran.


 

 

4 réflexions sur “Qui sont les rebelles syriens ?

  1. Honorat 22/12/2016 / 8h54

    Il faut regarder l’origine du conflit et l’intervention des émirats et saoudiens pour éliminer Bachar par crainte de l’arc chiite qui isole les pays turcophones sunnites des arabes sunnites. La France de Sarko et Hollande a clairement choisi le clan des émirats fournissant armes et logistique, qui ont alimenté la branche extrémiste de Daesh. Et pour faire bonne figure elle a donné une image démocratique à des gens qui coupent les mains et les têtes au nom de Dieu. Les journalistes ont amplifié cette théorie d’une opposition des soit disant démocrates au tyran Bachar. Et aujourd’hui que, certes grâce à la Russie, les rebelles perdent, notre Hollande est bien obligé de reculer. Mais combien de morts cette politique débile de soutien aux islamistes radicaux aura causé? Pour moi il n’y a aucun doute Hollande, Busch, Obama, Cameron et les émirs doivent rendre des comptes à la CPI

    • Libre jugement 22/12/2016 / 11h28

      Merci pour ce commentaire.
      Il est vrai que la diplomatie française et internationale, viennent ajouter à l’imbroglio de ces guerres … car il y a plusieurs guerres dans cette région … région qui a été a travers les siècles, sources de conflits.
      Du conflit Israélo-Palestinien, Libanais, Libanais-Israëlien, Libanais-Syrien, Irak, Irak-Kurde, Irak-Turquie, Irak-Syrie , etc nous connaissons les enjeux géopolitiques joués par des puissances étatiques et commerciales à commencer par les USA, Russie, Grande Bretagne, France avec pour dénominateur médiatique d’établir un régime démocratique dans ces pays plutôt que des dictatures moins « souples » commercialement – a moins de vénalité patente.
      En postant l’article « général » issu du « monde diplomatique » j’entendais démontré l’impossibilité de déterminer aujourd’hui : qui participent, pour quelles raisons et comment en sommes-nous arrivés à ces guerres actuelles sur cette partie du continent du moyen-orient.
      Ainsi l’action d’une diplomatie est difficile en faveur de l’un ou de l’autre des belligérants, d’autant que vient se mêler également, des intérêts commerciaux internationaux, vendeurs d’armes, etc.

  2. alstamatiouphotographies 22/12/2016 / 14h00

    c’est un thème délicat, je suis d’accord avec le commentaire précédent. Je vais juste ajouter qu’on ne peut pas être crédibles quand on regarde nos intérêts avant tout dans des conflits comme ça. Puisque l’intérêt va l’emporter sur la vie humaine, quel que soit le camp de la vie humaine. Car ceux qui sont bons aujourd’hui seront méchants demain quand bon nous semblera ( idéologie de nos guignols de politiques).
    Juste une question le conflit syrien dure depuis 2011. Pendant ces dernières années on nous parlait sporadiquement de ce conflit, pourquoi depuis peu on nous bassine avec ça matin midi et soir?
    Autre question, si Al Assad est éliminé qui mettre a sa place?
    Ces régions sont contrôlés par des clans, le clan A fera au clan B, ce que le clan B lui a fait depuis toutes ces années, en quoi ça va améliorer la vie la bas?

    • Libre jugement 22/12/2016 / 14h07

      Oui, vrai question … pour quelle raison (où quelles raisons) les médias nous parlent autant de la Syrie actuellement ?
      Bah … p’t’et bien q’k’c’est parce le Smic a tellement augmenté brave gens, que c’est pas la peine de « faire une heure » sur ce sujet mirifique !

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