Une révolution aujourd’hui, est-elle possible ?

 L’idée que seul le prolétariat, réduit très rapidement à la notion sociologique de classe ouvrière, peut être l’instrument du renversement du capitalisme et de la construction d’une société sans classes a été historiquement largement dominante.

Une conception qui ne se vérifiera que très partiellement, la paysannerie, comme de nombreuses couches urbaines, ayant joué (dans des configurations très différentes d’une situation à l’autre) un rôle déterminant dans ces processus.

Mais c’est surtout une conception dont découle une hiérarchisation des combats et des priorités. Le féminisme, les questions environnementales ou le rôle des intellectuels seront ainsi historiquement subordonnés à la question sociale, et aux organisations qui la représentent.

Or il existe une multiplicité d’oppressions qui ne peuvent se réduire à la seule opposition capital/travail, même si cette dernière reste  cruciale. De plus, la domination du capital ne se réduit pas à la sphère des rapports de production, mais vise la société tout entière. Une même personne peut à la fois être exploitée par le capital, opprimée par d’autres exploités ou en opprimer d’autres, et prise dans des configurations discriminantes.

Dans le combat émancipateur, des orientations et des pratiques différentes peuvent tout à fait cohabiter, des voies multiples être explorées, des terrains disparates occupés. Lutter par exemple pour le développement du commerce équitable, les droits des femmes, l’abolition de la dette, les taxes globales, les droits sociaux, les normes écologiques, etc. n’est pas, en général, le fait des mêmes acteurs, mais peut participer d’un « mouvement réel qui abolit l’état actuel des choses », selon la définition que Marx dans L’Idéologie allemande.

Un mouvement d’émancipation ne peut donc être que « non classiste » et hétérogène, ce qui pose des problèmes stratégiques inédits.

Comment construire une cohérence stratégique si aucun acteur particulier (…) ne peut la donner a priori, comment construire un projet d’émancipation qui tienne compte de la multiplicité croisée des oppressions, et quel rôle pour une organisation politique ?

Pierre Khalfa, Coprésident de la fondation Copernic et membre du  conseil scientifique d’Attac.